Qualité des programmes et progression du patient ne suffisent pas pour juger du bénéfice de l’éducation thérapeutique, comme le montrent les résultats peu concluants des études d’évaluation. C’est son impact sur la morbi-mortalité qui doit prouver son efficacité.
L’éducation thérapeutique du patient (ETP) a pris une place importante dans le suivi des patients atteints de pathologies chroniques : elle « s’inscrit dans le parcours de soins du patient. Elle a pour objectif de le rendre plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie ».1 Les programmes d’ETP doivent être autorisés par l’Agence régionale de santé (ARS) selon un cahier des charges défini. Ils sont soumis à une procédure d’auto-évaluation annuelle et quadriennale, selon un plan et des indicateurs d’évaluation, structurés par les fiches de la Haute Autorité de santé (HAS). Parallèlement, différents travaux étudient l’impact des programmes d’ETP sur des paramètres spécifiques. La nature même de cette évaluation pose question, car les effets médicaux de l’ETP ne sont pas toujours analysés. Il est pourtant légitime de s’interroger sur le bénéfice clinique de l’ETP.
Des modalités d’évaluation subjectives
Le dossier de demande d’autorisation prévoit une évaluation des programmes, qui repose sur des indicateurs relatifs à l’activité, aux processus et aux résultats. Ces éléments renseignent la réalisation des actions, la nature des contenus, la satisfaction des participants et des formateurs vis-à-vis du programme. L’analyse concerne aussi les acquisitions de connaissances des patients, l’évolution de leurs représentations de la maladie, la modification de leurs habitudes de vie, leur adhésion thérapeutique, leur qualité de vie. L’évaluation concerne surtout des éléments pédagogiques et psychosociaux, beaucoup moins des facteurs cliniques. Les effets de l’ETP sur le devenir des patients sont appréciés sur des critères subjectifs. Ces évaluations sont contributives mais ne permettent pas de valider la pertinence des actions en termes de bénéfice médical pour les patients. Les études scientifiques évaluant l’ETP recherchent une amélioration de paramètres cliniques, mais elles ne sont pas toujours comparatives et reposent souvent sur des critères intermédiaires : hémoglobine glyquée et indice de masse corporelle (IMC) chez les patients diabétiques, nombre de crises et recours aux soins d’urgence chez les patients asthmatiques, consommation d’antalgiques et nombre d’arrêts de travail chez les patients lombalgiques. La HAS note que « l’intérêt de programmes structurés d’ETP, intégrés à une stratégie thérapeutique, fondée sur des recommandations de prise en charge médicale, a été démontré sur des paramètres limités ».2 Elle souligne que les études utilisant des critères de jugement de type score de risque ou morbi-mortalité sont très rares.2 Une revue de la littérature de la Cochrane Library relevait des preuves limitées à l’appui de l’utilisation d’interventions éducatives pour les personnes atteintes de maladie coronarienne, en termes de morbi-mortalité.3 Même si d’Ivernois et al considèrent que « cette évaluation bioclinique ne peut cependant prétendre au monopole de la preuve de l’efficacité » et qu’il est légitime « de s’intéresser autant au processus qu’au résultat »,4 le bénéfice médical reste un critère essentiel de toute intervention thérapeutique.
Des données scientifiques peu convaincantes
Les preuves de l’efficacité clinique de l’ETP sont limitées. Par exemple, pour les maladies cardiovasculaires, responsables d’une morbi-mortalité importante et à l’origine d’un grand nombre d’actions d’ETP, les résultats ne sont pas démonstratifs.
La Mutualité sociale agricole a proposé un programme d’ETP à ses assurés atteints de maladies cardiovasculaires.5 Les résultats montraient une acquisition de connaissances ; les patients déclaraient avoir changé leur comportement alimentaire et leur activité physique ; leur satisfaction vis-à-vis du programme était élevée. Plusieurs paramètres biocliniques (IMC, cholestérol, triglycérides...) étaient améliorés. L’étude n’était pas comparative et portait sur des critères intermédiaires.
L’étude ETIC (Éducation thérapeutique des patients insuffisants cardiaques) était un essai pragmatique en médecine générale. Elle a comparé le devenir de patients insuffisants cardiaques, entre un groupe participant à un programme éducatif et un groupe témoin.6 Après un suivi de 19 mois, les résultats ne montraient pas d’amélioration significative de la qualité de vie ni de la mortalité.
Le programme I-CARE (Insuffisance cardiaque éducation thérapeutique) impliquait plusieurs centres hospitaliers. L’évaluation recherchait l’impact de l’ETP sur la morbi-mortalité à l’aide d’un Observatoire de l’insuffisance cardiaque, avec un suivi moyen de 27 mois. L’ETP semblait associée à une mortalité toutes causes plus faible ; néanmoins, les patients du groupe témoin étaient plus âgés et leur insuffisance cardiaque plus sévère, et l’étude n’était pas randomisée.
Le projet Pegase a testé et évalué un programme éducatif chez des patients à haut risque cardiovasculaire ayant une hypercholestérolémie.7 Une étude randomisée sur 6 mois a comparé deux types de prise en charge : une prise en charge habituelle et une prise en charge interventionnelle où les patients bénéficiaient du programme pédagogique. Malgré une amélioration du critère de jugement principal (score Framingham) et d’indicateurs de qualité de vie dans le groupe intervention, la différence des moyennes des deux groupes n’était pas significative.
L’étude ETHICCAR (Évaluation de l’éducation thérapeutique individuelle et collective du patient à risque cardiovasculaire) a concerné 189 patients suivis pendant 2 ans en médecine générale.9 L’objectif était d’évaluer l’efficacité de l’ETP individuelle ou collective sur la réduction du risque et de la morbi-mortalité des patients à risque cardiovasculaire par rapport au suivi habituel. Il s’agissait d’un essai d’intervention contrôlé randomisé par cluster, avec comme critères de jugement les équations de risque Framingham et SCORE, et la morbi-mortalité. Les résultats montraient une amélioration des scores de risque dans les groupes interventions, mais la différence n’était pas significative par rapport au groupe témoin ; la morbi-mortalité à 5 ans n’était pas significativement différente dans les 3 groupes. ETHICCAR n’a pas permis de conclure à l’efficacité de l’ETP par rapport au suivi habituel.
La Mutualité sociale agricole a proposé un programme d’ETP à ses assurés atteints de maladies cardiovasculaires.5 Les résultats montraient une acquisition de connaissances ; les patients déclaraient avoir changé leur comportement alimentaire et leur activité physique ; leur satisfaction vis-à-vis du programme était élevée. Plusieurs paramètres biocliniques (IMC, cholestérol, triglycérides...) étaient améliorés. L’étude n’était pas comparative et portait sur des critères intermédiaires.
L’étude ETIC (Éducation thérapeutique des patients insuffisants cardiaques) était un essai pragmatique en médecine générale. Elle a comparé le devenir de patients insuffisants cardiaques, entre un groupe participant à un programme éducatif et un groupe témoin.6 Après un suivi de 19 mois, les résultats ne montraient pas d’amélioration significative de la qualité de vie ni de la mortalité.
Le programme I-CARE (Insuffisance cardiaque éducation thérapeutique) impliquait plusieurs centres hospitaliers. L’évaluation recherchait l’impact de l’ETP sur la morbi-mortalité à l’aide d’un Observatoire de l’insuffisance cardiaque, avec un suivi moyen de 27 mois. L’ETP semblait associée à une mortalité toutes causes plus faible ; néanmoins, les patients du groupe témoin étaient plus âgés et leur insuffisance cardiaque plus sévère, et l’étude n’était pas randomisée.
Le projet Pegase a testé et évalué un programme éducatif chez des patients à haut risque cardiovasculaire ayant une hypercholestérolémie.7 Une étude randomisée sur 6 mois a comparé deux types de prise en charge : une prise en charge habituelle et une prise en charge interventionnelle où les patients bénéficiaient du programme pédagogique. Malgré une amélioration du critère de jugement principal (score Framingham) et d’indicateurs de qualité de vie dans le groupe intervention, la différence des moyennes des deux groupes n’était pas significative.
L’étude ETHICCAR (Évaluation de l’éducation thérapeutique individuelle et collective du patient à risque cardiovasculaire) a concerné 189 patients suivis pendant 2 ans en médecine générale.9 L’objectif était d’évaluer l’efficacité de l’ETP individuelle ou collective sur la réduction du risque et de la morbi-mortalité des patients à risque cardiovasculaire par rapport au suivi habituel. Il s’agissait d’un essai d’intervention contrôlé randomisé par cluster, avec comme critères de jugement les équations de risque Framingham et SCORE, et la morbi-mortalité. Les résultats montraient une amélioration des scores de risque dans les groupes interventions, mais la différence n’était pas significative par rapport au groupe témoin ; la morbi-mortalité à 5 ans n’était pas significativement différente dans les 3 groupes. ETHICCAR n’a pas permis de conclure à l’efficacité de l’ETP par rapport au suivi habituel.
Des perspectives plus objectives
Ces résultats ne sont pas très concluants mais ne doivent pas remettre en cause l’intérêt de l’ETP. Tous les acteurs impliqués dans la démarche éducative constatent ses bienfaits sur les patients et perçoivent l’amélioration potentielle de la maladie. Mais ce n’est pas suffisant. Des données objectives doivent venir compléter les évaluations réglementaires demandées par l’ARS. Plusieurs arguments justifient cette proposition :
– une exigence comptable : l’efficience clinique des actions éducatives doit être démontrée. La collectivité ne continuera pas à financer l’ETP sans justification du rapport bénéfice-coût. Aucun dispositif médical n’échappe normalement à cette mesure ;
– une nécessité pédagogique : la comparaison des résultats des différentes méthodes d’ETP permettrait d’orienter les autorisations vers les programmes les plus efficaces. Par exemple, la pertinence respective des actions individuelles ou collectives mériterait d’être analysée. Dans l’étude ETHICCAR,9 une tendance se dégageait en faveur d’une ETP individuelle réalisée par les acteurs de proximité ; l’étude d’Afonso sur le ressenti des patients montrait leur souhait d’une personnalisation de la démarche éducative.10 Il serait intéressant de confirmer ces données pour guider le choix entre les méthodes individuelles ou collectives ;
– un besoin stratégique : l’analyse du bénéfice respectif des programmes hospitaliers et des programmes ambulatoires pourrait permettre de rééquilibrer la répartition des financements. La plupart des actions autorisées sont d’initiative hospitalière et celles réalisées en soins de santé primaires, à proximité du lieu de vie des patients, sont peu développées. Le Haut Conseil de la santé publique propose de « s’intéresser d’abord à l’éducation thérapeutique de premier recours : reconnaître et valoriser le rôle du médecin traitant dans ce domaine, prendre en compte ce que font ou ce que pourraient faire les professionnels de santé de proximité en matière d’ETP ».11 Il serait utile de valoriser cette ETP de terrain ;
– un intérêt opérationnel : l’évaluation d’une démarche éducative coordonnée qui se prolonge dans le parcours de santé du patient pourrait confirmer son intérêt. L’impact de l’ETP sur le long terme est un objectif essentiel pour le patient, qui permet une modification durable des habitudes de vie. Il faut sortir des actions ponctuelles dont la rémanence est faible. Une approche coopérative interprofessionnelle sur la durée, telle qu’elle peut être réalisée dans les maisons de santé, mériterait d’être analysée.
– une exigence comptable : l’efficience clinique des actions éducatives doit être démontrée. La collectivité ne continuera pas à financer l’ETP sans justification du rapport bénéfice-coût. Aucun dispositif médical n’échappe normalement à cette mesure ;
– une nécessité pédagogique : la comparaison des résultats des différentes méthodes d’ETP permettrait d’orienter les autorisations vers les programmes les plus efficaces. Par exemple, la pertinence respective des actions individuelles ou collectives mériterait d’être analysée. Dans l’étude ETHICCAR,9 une tendance se dégageait en faveur d’une ETP individuelle réalisée par les acteurs de proximité ; l’étude d’Afonso sur le ressenti des patients montrait leur souhait d’une personnalisation de la démarche éducative.10 Il serait intéressant de confirmer ces données pour guider le choix entre les méthodes individuelles ou collectives ;
– un besoin stratégique : l’analyse du bénéfice respectif des programmes hospitaliers et des programmes ambulatoires pourrait permettre de rééquilibrer la répartition des financements. La plupart des actions autorisées sont d’initiative hospitalière et celles réalisées en soins de santé primaires, à proximité du lieu de vie des patients, sont peu développées. Le Haut Conseil de la santé publique propose de « s’intéresser d’abord à l’éducation thérapeutique de premier recours : reconnaître et valoriser le rôle du médecin traitant dans ce domaine, prendre en compte ce que font ou ce que pourraient faire les professionnels de santé de proximité en matière d’ETP ».11 Il serait utile de valoriser cette ETP de terrain ;
– un intérêt opérationnel : l’évaluation d’une démarche éducative coordonnée qui se prolonge dans le parcours de santé du patient pourrait confirmer son intérêt. L’impact de l’ETP sur le long terme est un objectif essentiel pour le patient, qui permet une modification durable des habitudes de vie. Il faut sortir des actions ponctuelles dont la rémanence est faible. Une approche coopérative interprofessionnelle sur la durée, telle qu’elle peut être réalisée dans les maisons de santé, mériterait d’être analysée.
La perception intuitive favorable ne suffit pas…
Ce bilan pose question : aucun médicament démontrant aussi peu de bénéfice clinique n’obtiendrait l’autorisation de mise sur le marché de l’Agence nationale de sécurité des médicaments. Même si la perception intuitive des intervenants en ETP est favorable, la démonstration de l’efficacité de l’ETP en termes de morbi-mortalité est indispensable à sa pérennité. La qualité des programmes, la progression du patient ne suffisent pas. Les financements engagés justifient des résultats cliniques concrets que des études comparatives doivent apporter. Il reste à trouver le financement de ces travaux !
Références
1. Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine. Développer des actions de prévention. L’éducation thérapeutique du patient. ARS NA, 2019. https://bit.ly/2WBPBQ9
2. Haute Autorité de santé. Actualisation de l’analyse de la littérature. Éducation thérapeutique du patient : évaluation de l’efficacité et de l’efficience dans les maladies chroniques. Service évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours. Paris : HAS, 2018.
3. Anderson L, Brown JP, Clark AM, et al. Patient education in the management of coronary heart disease. The Cochrane Database of Systematic Reviews 2017;6(CD008895).
4. D’Ivernois JF, Gagnayre R. Propositions pour l’évaluation de l’éducation thérapeutique du patient. Act Dossier Santé Publique 2007;58:57-61.
5. Crozet C, Van Bockstael V, Devos J, d’Ivernois JF. Évaluation d’un programme national en France d’éducation thérapeutique pour des patients du régime agricole atteints de maladies cardio-vasculaires. Éduc Thér Patient 2009;1:33-8.
6. Vaillant-Roussel H, Laporte C, Pereira B, et al. Impact of patient education on chronic heart failure in primary care (ETIC): a cluster randomised trial. BMC Fam Pract 2016;17:80.
7. Bruckert E, Giral P, Paillard F, et al. PEGASE group. Effect of an educational program (PEGASE) on cardiovascular risk in hypercholesterolaemic patients. Cardiovasc Drugs Therap 2008;22:495-505.
8. Juillière Y, Jourdain P, Suty-Selton C, et al. Therapeutic patient education and all-cause mortality in patients with chronic heart failure: a propensity analysis. Int J Cardiol 2013;168:388-95.
9. Gay B, Demeaux JL, Afonso M. Evaluation de l’éducation thérapeutique individuelle et collective chez les patients à risque cardiovasculaire: l’étude ETHICCAR. Bull Acad Ntle Med 2020;204:79-86.
10. Afonso M. L’apport de l’éducation thérapeutique dans l’empowerment du patient atteint d’une pathologie chronique. Mémoire master 2 santé publique. Université de Bordeaux, 2014.
11. Haut Conseil de la santé publique. L’éducation thérapeutique intégrée aux soins de premier recours. Paris : HCSP, 2009. https://bit.ly/2wxAhJu
2. Haute Autorité de santé. Actualisation de l’analyse de la littérature. Éducation thérapeutique du patient : évaluation de l’efficacité et de l’efficience dans les maladies chroniques. Service évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours. Paris : HAS, 2018.
3. Anderson L, Brown JP, Clark AM, et al. Patient education in the management of coronary heart disease. The Cochrane Database of Systematic Reviews 2017;6(CD008895).
4. D’Ivernois JF, Gagnayre R. Propositions pour l’évaluation de l’éducation thérapeutique du patient. Act Dossier Santé Publique 2007;58:57-61.
5. Crozet C, Van Bockstael V, Devos J, d’Ivernois JF. Évaluation d’un programme national en France d’éducation thérapeutique pour des patients du régime agricole atteints de maladies cardio-vasculaires. Éduc Thér Patient 2009;1:33-8.
6. Vaillant-Roussel H, Laporte C, Pereira B, et al. Impact of patient education on chronic heart failure in primary care (ETIC): a cluster randomised trial. BMC Fam Pract 2016;17:80.
7. Bruckert E, Giral P, Paillard F, et al. PEGASE group. Effect of an educational program (PEGASE) on cardiovascular risk in hypercholesterolaemic patients. Cardiovasc Drugs Therap 2008;22:495-505.
8. Juillière Y, Jourdain P, Suty-Selton C, et al. Therapeutic patient education and all-cause mortality in patients with chronic heart failure: a propensity analysis. Int J Cardiol 2013;168:388-95.
9. Gay B, Demeaux JL, Afonso M. Evaluation de l’éducation thérapeutique individuelle et collective chez les patients à risque cardiovasculaire: l’étude ETHICCAR. Bull Acad Ntle Med 2020;204:79-86.
10. Afonso M. L’apport de l’éducation thérapeutique dans l’empowerment du patient atteint d’une pathologie chronique. Mémoire master 2 santé publique. Université de Bordeaux, 2014.
11. Haut Conseil de la santé publique. L’éducation thérapeutique intégrée aux soins de premier recours. Paris : HCSP, 2009. https://bit.ly/2wxAhJu