Les effets potentiels de l’alimentation sur les maladies chroniques – notamment celles ayant une composante inflammatoire – sont régulièrement évoqués dans les médias. Y a-t-il des éléments scientifiques pour conseiller ou non certains régimes d’exclusion ou certaines supplémentations en cas de rhumatisme inflammatoire chronique ? Les premières recommandations françaises viennent d’être publiées. Trois questions au Pr Jérémie Sellam (service de rhumatologie, hôpital Saint-Antoine, Paris) qui a coordonné ces recommandations avec le Pr Claire Daïen (service de rhumatologie, CHU de Montpellier).
L’alimentation est une préoccupation fréquente des patients souffrant de rhumatismes inflammatoires chroniques… pourquoi ?
D’une part, la nutrition est un sujet très à la mode ; d’autre part, pour ces malades chroniques, l’alimentation est pour les patients un moyen de s’impliquer dans leur prise en charge. Nous avons constaté qu’ils font de nombreuses expériences alimentaires, en essayant différents régimes ou en excluant certains aliments (gluten, lactose, produits d’origine animale) pour voir si ces interventions soulagent leurs symptômes. Il était donc important d’élaborer des recommandations fondées sur l’evidence-based medicine, sur lesquelles s’appuyer pour recommander ou non certaines pratiques alimentaires et bien conseiller nos patients. Une analyse systématique de la littérature concernant trois pathologies – la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante et le rhumatisme psoriasique – a été réalisée par un groupe de travail sous l’égide de la Société française de rhumatologie, en partenariat avec les sociétés de nutrition (SFN, SFNCM, AFERO et AFDN*) et les associations des patients (ANDAR, AFLAR, AFPric**).
Quelles sont vos conclusions ?
Dans cette analyse, ni les régimes d’exclusion – sans gluten (qui semble associé par ailleurs à une augmentation des événements cardiovasculaires), sans laitage – ni la pratique du jeûne n’ont fait la preuve d’une efficacité suffisante pour les proposer dans les rhumatismes inflammatoires (études anciennes avec de nombreux biais, pour le sans gluten, et absence d’étude, pour le sans laitage). Leur tolérance aussi questionnée.
En revanche, le régime méditerranéen (riche en produits céréaliers complets, fruits, légumes, huile d’olive…) et/ou la supplémentation en oméga-3 à plus de 2 g/jour pourraient améliorer certains symptômes, tels que la raideur matinale et les douleurs ou gonflements articulaires. L’effet reste toutefois modeste, et ne dispense pas les patients de prendre leur traitement de fond. Cependant, ces interventions peuvent contribuer à améliorer leur vécu et leur quotidien, en atténuant les symptômes. Ainsi, si le patient souhaite faire une intervention alimentaire, on peut insister sur ces deux conseils, d’autant plus que le régime méditerranéen est en accord avec les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) pour la population générale : avoir une alimentation équilibrée associée à une activité physique (mesures qui ont également montré des effets cardio-métaboliques favorables).
Quels autres conseils donner aux patients ?
Je dis aussi à mes patients que le plaisir de l’alimentation est essentiel ! Certains suppriment totalement les laitages de leur alimentation, alors qu’ils adorent le fromage... Pourquoi s’en priver si cela n’est pas utile ? De plus, il ne faut pas oublier que les régimes très restrictifs favorisent l’isolement social, ce qui n’est pas souhaitable, surtout dans le contexte sanitaire actuel. Enfin, il faut rester à l’écoute des patients qui veulent à tout prix essayer des régimes – comme le végétalisme –, bien que ceux-ci n’aient pas fait la preuve de leur efficacité, et les accompagner. Aussi, je leur recommande fortement, s’ils essaient, d’avoir un suivi diététique et nutritionnel pour éviter les carences (B12, sélénium notamment).
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
* SFN : Société française de nutrition ; SFNCM : Société francophone nutrition clinique et métabolisme ; AFERO : Association française d’étude et de recherche sur l’obésité ; AFDN : Association française des diététiciens nutritionnistes.
**ANDAR : Association nationale de défense contre l’arthrite rhumatoïde ; AFS : Association France spondyloarthrites ; AFPric : Association française des polyarthritiques et des rhumatismes inflammatoires chroniques.
Pour en savoir plus
Daien C, Czernichow S, Letarouilly JG, et al. Recommandations de la Société française de rhumatologie sur l’alimentation des patients ayant un rhumatisme inflammatoire chronique. Rev Rhum, 10 décembre 2021.