La réforme des études de santé permettra peut-être que, comme dans de nombreux autres pays, un véritable double diplôme médical et dentaire soit exigé pour devenir chirurgien maxillofacial.
« La cavité buccale a une grande importance dans le domaine de la pathologie. Outre les maladies des dents dont on connaît l’extrême fréquence, de multiples autres affections de gravité variable peuvent être observées. Deux spécialités ont ces maladies pour objet, la chirurgie dentaire pour les dents et la stomatologie pour la cavité buccale en général » Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965, p. 175.1

En 2006, en introduction au livre blanc de la stomatologie et chirurgie maxillo-faciale française, j’écrivais que « des gens bien intentionnés… font courir le bruit que la stomatologie n’existe plus » et qu’il était « temps de remettre… la bouche au centre de la face et la stomatologie au cœur de la spécialité chirurgicale qu’elle a enfantée, la chirurgie maxillo-faciale ».2 Treize ans plus tard, si le terme de stomatologie a été sacrifié sur l’autel de la réforme du troisième cycle des études médicales, la stomatologie vit toujours sous des appellations plus chirurgicales, et les médecins spécialistes de la pathologie de la bouche sont encore bien présents et pleins d’avenir.

Une certaine idée de la spécialité qui s’épuise…

Si la chirurgie maxillo-faciale est fille de la stomatologie, elle en est surtout l’emblème chirurgical. À la chirurgie maxillo-faciale s’associent d’abord la notion de traumatologie de la face et celle de reconstruction, comme l’illustrent les gueules cassées de la Grande Guerre. Remise sur le devant de la scène par la première greffe de face réalisée à Amiens en 2005 par l’équipe du Pr Bernard Devauchelle, c’est encore par la traumatologie que la chirurgie maxillo-faciale refait parler d’elle à l’occasion des dramatiques attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015 et au Bataclan en novembre de la même année.3 Pendant ce temps, la stomatologie semble s’éteindre. Mais plutôt que la stomato­logie, c’est une certaine idée de la spécialité qui s’épuise.

La proposition des odontologistes

Cette spécialité en difficulté, c’est celle qui avait oublié qu’elle est une spécialité médicale pour rétrécir son champ d’activité à la dent. Les dentistes ne comprenaient pas comment on pouvait acquérir en deux ans le certificat d’études spécialisées (CES), ce pourquoi il leur fallait cinq années de formation, oubliant volontiers le socle médical de la stomatologie. La formation par le biais du CES a disparu en 1984, remplacée par l’internat et le diplôme d’études spécialisés (DES). Le format de la stomatologie changeait, pour être porté à quatre années, mais pâtissait de l’image d’une spécialité trop « dentaire » quand il ne fallait pas plus de deux ans supplémentaires pour devenir chirurgien maxillo-facial.
Pendant ce temps-là, les odontologistes souhaitaient avec insistance se voir reconnaître une compétence spécifiquement chirurgicale. C’est ainsi que naissait le projet de la chirurgie buccale. En 2005, chargés de créer cette spécialité par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les représentants universitaires de l’odontologie nous faisaient la proposition de concevoir ensemble une spécialité qui serait à la fois accessible aux étudiants en odontologie par le biais d’un concours d’internat et aux étudiants en médecine par le biais des Épreuves classantes nationales (ECN). Fallait-il accepter ? Le débat au sein de la communauté universitaire de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale a été intense, pour conclure qu’il valait sans doute mieux y participer que voir apparaître une spécialité chirurgicale d’obédience strictement odontologique.

Chirurgie orale et chirurgie maxillo-faciale

En 2012 s’ouvrait donc aux étudiants de 3e cycle des études de médecine et d’odontologie classés en rang utile la spécialité de chirurgie orale dont le domaine de compétence était parfaitement défini, écartant en particulier tout geste chirurgical intéressant la peau de la face.
Puis vint la réforme du 3e cycle des études de médecine mise en œuvre à la rentrée universitaire 2017. Cette réforme fut l’occasion de reprendre une réflexion datant d’une dizaine d’années et voulant offrir aux chirurgiens maxillo-faciaux une double formation médicale et dentaire qui est la règle dans de nombreux pays. La contrepartie était naturellement que cette double formation puisse aussi être accessible aux étudiants en odontologie. Mais les textes réglementaires sont têtus, et l’accès à la chirurgie maxillo-faciale leur imposait de passer par le filtre des ECN. Le projet de chirurgie maxillo-faciale avec double formation était donc remis à plus tard. Par ailleurs, cette réforme du 3e cycle, devant la quasi-absence d’internes en stomatologie depuis plusieurs années et la création de la chirurgie orale qui s’y substituait, signait le glas du DES de stomatologie.
La situation actuelle est donc la suivante : un DES de chirurgie maxillo-faciale de cinq ans, choisi précocement par les lauréats des ECN ; un DES de chirurgie orale accessible aux étudiants en médecine après les ECN et aux étudiants en odontologie lauréats du concours de l’internat.

Plusieurs voies de formation

Chirurgie maxillo-faciale

Si la formation du 3e cycle en chirurgie maxillo-faciale voit cette spécialité passer du statut de DESC appuyé sur le DES de chirurgie générale au statut de DES, les principes de formation n’ont pas changé. Les semestres en chirurgie viscérale et orthopédique, voire vasculaire, restent la base indispensable sur laquelle elle s’appuie. Les exigences en chirurgie maxillo-faciale sont de cinq semestres, les autres étant effectués dans d’autres spécialités. Parallèlement, les internes reçoivent un enseignement théorique national qui rassemble environ 75 étudiants. Le dernier temps de la formation en 3e cycle, phase de mise en responsabilité, dure deux ans, nécessaires pour à la fois assumer la chirurgie d’urgence (infectieuse et traumatologique), de semi-urgence (cancérologie, si consommatrice de temps et d’énergie), se faire connaître des correspondants et préparer son futur réseau, s’aguerrir dans des domaines surspécialisés comme la chirurgie orthognathique ou préimplantaire.

Chirurgie orale

La formation en chirurgie orale est de quatre ans et s’appuie sur un diptyque chirurgie-odontologie. Cette formation, lors de sa conception, avait pour ambition de donner une même compétence à tous les étudiants, qu’ils soient d’origine médicale ou dentaire. Le principe posé est que, au cours des deux premières années de formation, chacun acquiert les connaissances complémentaires et indispensables du 2e cycle de l’autre filière, en odontologie pour ceux qui ont passé les ECN et en médecine pour ceux qui ont passé l’internat d’odontologie. La liste de ces connaissances est parfaitement définie et leur acquisition contrôlée en fin de 2e année. L’enseignement théorique au cours des 3e et 4e années est commun à tous, national, et spécifique à la spécialité.
La formation pratique repose sur le principe de trois stages dans des services de chirurgie maxillo-faciale, trois stages dans des services d’odontologie ayant une activité de chirurgie orale et deux stages « libres ». Ces deux derniers stages, en phase de consolidation, représentent une difficulté, car effectués de façon différente selon la filière d’origine, et entretiennent une distinction. Lorsque les internes sont dans la filière odontologique, ils effectuent plus volontiers ces stages libres dans des services d’odontologie ; en revanche, les internes de la filière médicale les effectuent plus volontiers sur des postes d’interne en médecine d’autres spécialités, selon les règles communes de l’internat. Cela renforce la différence établie pendant le 2e cycle entre les étudiants en odontologie qui ont une activité quasi exclusivement ambulatoire et les étudiants en médecine qui sont immergés dans le monde hospitalier.

Orthopédie dento-maxillo-faciale

Il existe une troisième formation, qui est l’orthopédie dento-maxillo-faciale, DESC de type 1, longtemps appuyée sur le DES de stomatologie, maintenant sur la chirurgie orale. Elle n’est accessible qu’aux étudiants du 3e cycle des études médicales puisqu’en odontologie il existe une filière d’orthodontie dento-faciale accessible par l’internat.
L’orthopédie dento-maxillo-faciale est volontiers remise en cause par le monde dentaire. Elle n’a pas été reconduite dans la version initiale de la réforme du 3e cycle des études médicales sous le prétexte que « l’orthodontie, c’est de l’odontologie » ! Cette vision historiquement fausse et réductrice de la spécialité ne peut satisfaire les enseignants de chirurgie maxillo-faciale et notre Conseil national professionnel.

La pratique des spécialités

Le domaine de compétence de la stomatologie a parfaitement été défini en 2004. Jusqu’alors, pour des raisons historiques, d’évolution des pratiques et des autorisations, la stomatologie était une spécialité au périmètre extrêmement large, de la dent à la chirurgie de la face. Cependant, l’image dentaire en était dominante. Cet éclectisme n’est plus accessible aux praticiens issus des filières chirurgie maxillo-faciale et chirurgie orale. Les domaines de compétences sont clairs, et un monde idéal voudrait que chacun s’y cantonnât.
Malgré cela, de jeunes chirurgiens oraux s’aventurent sur le terrain de la chirurgie maxillo-faciale pour réaliser ostéotomie maxillo-mandibulaire ou prélèvement de greffon calvarial, alors même que la formation reçue ne permet pas d’en assumer les complications éventuelles.

Quelle évolution ?

En l’état actuel de la réforme des études médicales, nos spécialités participent à la mise en place des formations spécialisées transversales, hyperspécialisations du 3e cycle des études médicales :
– la chirurgie maxillo-faciale et la chirurgie orale dans la formation spécialisée transversale « sommeil » ;
– la chirurgie maxillo-faciale dans les formations spécialisées transversales « chirurgie orbito-palpébrale » et « chirurgie d’urgence ».
Le sort de l’orthopédie dento-maxillo-faciale reste en suspens. Une démarche est en cours de la part de la profession (Collège des enseignants et Conseil national professionnel) pour obtenir qu’elle devienne une formation spécialisée transversale accessible par la chirurgie maxillo-faciale et la chirurgie orale.
L’évolution de nos spécialités pourrait être une véritable double formation médicale et dentaire, cette dernière ayant disparu avec la fin du CES de stomatologie. Dans de nombreux pays, c’est un véritable double diplôme médical et dentaire qui est demandé pour devenir chirurgien maxillo-facial, au prix d’un cursus excessivement long. Trouver la durée acceptable en ne mettant pas la passerelle trop tôt au cours du 2e cycle sera peut-être possible grâce à la réforme annoncée des études de santé.
Références
1. Legent F. Une brève histoire de la stomatologie. Bibliothèque numérique Medic@, mars 2012.

2. Goudot P, Bonnel M. Livre blanc de la stomatologie et chirurgie maxillo-faciale. Paris : ESV production, 2006.

3. Lançon P. Le Lambeau. Paris : Gallimard 2018.

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