Dépistage des cancers du poumon dans le monde
Aux États-Unis
Au Canada
En Australie
En Europe
En Asie
Mise en pratique en France
Dans les années 2000, un groupe académique avait initié l’essai DEPISCAN.22 Il s’agissait d’une étude randomisée, au design résolument avant-gardiste, comparant la radiographie au scanner dans une population éligible composée d’individus de 50 à 75 ans fumeurs actifs ou sevrés (< 15 ans) à 15 cigarettes par jour depuis plus de 20 ans. La phase pilote de cet essai était une phase de faisabilité et ambitionnait de recruter 1 000 participants en 1 an en se fondant sur le recrutement des médecins généralistes et des médecins du travail.23 L’essai a été clos en raison d’une difficulté de recrutement (765 sujets en 2 ans).
Dans les suites de la publication NLST, plusieurs sociétés savantes ont rédigé un avis favorable au dépistage opportuniste dans certaines conditions.24 Notre équipe s’était même attachée à modéliser l’impact de la mise en œuvre d’une campagne de dépistage en France, en termes de nombre d’individus éligibles, de nombre de vies sauvées mais également de coût.25 Avec les critères NLST, la population éligible en France serait comprise entre 1,65 et 2,3 millions de personnes. Le dépistage pourrait épargner jusque 7 500 vies par an (soit plus de 2 fois le nombre de décès par accident de la route, ou 7 fois le nombre de décès par cancer du col de l’utérus). Enfin, le coût induit par le dépistage (incluant l’exploration des faux positifs) pourrait être largement couvert par une augmentation de l’ordre de 1 % du prix du tabac.
En 2016, la Haute Autorité de santé a émis un rapport s’appuyant sur une revue de la littérature au parti pris initial particulièrement marqué.26 Sans surprise, ce rapport s’est prononcé contre la mise en place d’un dépistage en France, sur l’argument principal que des résultats américains n’étaient pas duplicables en France, encourageant toutefois la recherche dans le domaine.27 Ces conclusions eurent l’effet escompté : l’absence de soutien de toute initiative académique pour les instances publiques. Toutefois, la publication et la positivité de l’essai NELSON impliquent de facto la péremption de cet avis.
Quelques projets ont néanmoins réussi à s’extraire de cette situation. C’est notamment le cas de la cohorte DEP’80 portée par le dynamique service de pneumologie du centre hospitalier d’Abbeville, dans la Somme.28 Il s’agit d’une étude de cohorte suivant à la lettre les recommandations françaises de 2013, elle-même fortement inspirées de NELSON et de NLST. Le recrutement était fondé sur l’ensemble des médecins généralistes et pneumologues du département, avec un très fort investissement des investigateurs lors de la mise en place. Les résultats du 1er tour (tour initial) ont récemment été publiés.29 Ils mettent en lumière deux faits importants pour la France. En premier lieu, la participation est forte, puisque plus de 70 % des individus ayant eu une prescription de scanner l’ont réellement réalisé. En second lieu, les auteurs ont obtenu le même ordre de grandeur de résultat des scanners que dans l’essai NELSON. L’autre projet qui doit être souligné est celui du centre hospitalier universitaire de Nice sur la place des cellules tumorales circulantes comme biomarqueur associé au cancer dans cette indication. L’essai est malheureusement négatif mais démontre le fort dynamisme de la communauté hospitalo-universitaire française dans ce domaine.30
Vers de nouvelles recommandations
Des questions qui demeurent
Les débats autour du dépistage des cancers du poumon
Prétendre qu’il n’y a aucune controverse autour du dépistage des cancers du poumon serait mensonger. Si son efficacité ne fait plus débat, avec trois essais randomisés positifs sur la mortalité globale et la mortalité par cancer du poumon, de nombreuses questions scientifiques subsistent. La place des biomarqueurs, notamment, est un élément fondamental qui mérite une attention particulière. Ces biomarqueurs peuvent être de nature différente (sanguin, air exhalé, radiomique) et d’intérêt variable (sélection de la population à risque, analyse combinée avec le scanner, différenciation des types de nodules). Ils constituent sans aucun doute l’une des évolutions les plus probables, les plus rentables et les plus attendues dans ce domaine bien que les données actuelles ne soient que préliminaires. La personnalisation des critères de sélection de la population éligible représente également une piste pour l’amélioration des performances du dépistage. Dans ce domaine, les scores de risque sont particulièrement intéressants.
L’évolution technologique des scanners est également à scruter de près car elle pourrait permettre de réduire considérablement l’irradiation. Enfin, le rythme auquel peuvent être réalisés les scanners, possiblement personnalisable, est également un élément à suivre. Plus largement, la principale controverse autour du dépistage des cancers du poumon est la question éternelle pour tout type d’action préventive interventionnelle : quel est le niveau de risque que l’on peut faire prendre à des individus indemnes pour potentiellement en protéger d’autres. Cette question, essentielle, ne pourra jamais être tranchée par des essais cliniques. En effet, toute intervention, aussi minime qu’elle soit, induit obligatoirement un risque, et aucun test n’est parfait en termes de performance. Par conséquent, la réponse à cette question est sociétale et doit probablement s’appuyer sur une réflexion humaniste et sociologique professionnelle.
Un autre questionnement éthique et philosophique est celui de la place du sevrage tabagique chez les individus non sevrés souhaitant un dépistage. Les essais ont été réalisés avec des individus sevrés mais aussi non-sevrés. La réponse scientifique à cette controverse est donc qu’il est légitime, scientifiquement, de dépister des patients fumeurs actifs. On sait en plus, de manière très documentée, que le simple fait de s’engager dans un dépistage, induit bien souvent un comportement de sevrage. Quoi qu’il en soit, les recommandations imposent, logiquement, que le dépistage soit assorti d’une proposition d’aide au sevrage tabagique et que les centres de dépistage à venir intègrent cette compétence. Pour terminer, la question du coût d’un tel dépistage est souvent abordée. Pour le cancer du poumon, la réponse est plus aisée : son principal facteur de risque est taxable ; et le fait de le taxer induit une diminution de son usage ! En effet, notre équipe avait montré qu’il suffisait d’augmenter de manière très marginale le cout du paquet de cigarette (de l’ordre de 1%) pour financer l’intégralité du dépistage (dont le cout de l’exploration des faux-positifs !). Or, on sait que l’évolution de la consommation de tabac est directement inversement proportionnelle à son prix ! Une illustration du double effet KissCool en somme.
2. de Koning HJ, van der Aalst CM, de Jong PA, et al. Reduced lung-cancer mortality with volume CT screening in a randomized trial. N Engl J Med 2020;382:503-13.
3. Kinsinger LS, Anderson C, Kim J, et al. Implementation of lung cancer screening in the Veterans Health Administration. JAMA Intern Med 2017;177:399-406.
4. Moyer VA, U.S. Preventive Services Task Force. Screening for lung cancer: U.S. Preventive Services task force recommendation statement. Ann Intern Med 2014;160:330-8.
5. USPSTF proposes expanded lung cancer screening. Cancer Discov 2020;10:OF1.
6. dos Santos RS, Franceschini JP, Chate RC, et al. Do current lung cancer screening guidelines apply for populations with high prevalence of granulomatous disease? Results from the first Brazilian Lung Cancer Screening Trial (BRELT1). Ann Thorac Surg 2016;101:481-6; discussion 487-488.
7. Tammemagi MC, Schmidt H, Martel S, et al. Participant selection for lung cancer screening by risk modelling (the Pan-Canadian Early Detection of Lung Cancer [PanCan] study): a single-arm, prospective study. Lancet Oncol 2017;18:1523-31.
8. Manners D, Wilcox H, McWilliams A, Piccolo F, Liira H, Brims F. Current lung cancer screening practice amongst general practitioners in Western Australia: a cross-sectional study. Intern Med J 2018;48:78-80.
9. Wade S, Weber M, Caruana M, et al. Estimating the cost-effectiveness of lung cancer screening with low dose computed tomography for high risk smokers in Australia. J Thorac Oncol 2018;13:1094-105.
10. Lim KP, Marshall H, Tammemägi M, et al. Protocol and rationale for the International Lung Screening trial. Ann Am Thorac Soc 2020;17:503-12.
11. Kauczor HU, Bonomo L, Gaga M, et al. ESR/ERS white paper on lung cancer screening. Eur Respir J 2015;46:28-39.
12. Kauczor HU, Baird AM, Blum TG, et al. ESR/ERS statement paper on lung cancer screening. Eur Respir J 2020;55:1900506.
13. Field JK, Duffy SW, Baldwin DR, et al. UK Lung Cancer RCT pilot screening trial: baseline findings from the screening arm provide evidence for the potential implementation of lung cancer screening. Thorax 2016;71:161-70.
14. Becker N, Motsch E, Trotter A, et al. Lung cancer mortality reduction by LDCT screening-results from the randomized German LUSI trial. Int J Cancer 2019;146:1503-13.
15. Saghir Z, Dirksen A, Ashraf H, et al. CT screening for lung cancer brings forward early disease. The randomised Danish Lung Cancer Screening trial: status after five annual screening rounds with low-dose CT. Thorax 2012;67:296-301.
16. Pastorino U, Silva M, Sestini S, et al. Prolonged lung cancer screening reduced 10-year mortality in the MILD Trial. Ann Oncol 2019;30 :1672.
17. Infante M, Cavuto S, Lutman FR, et al. Long-term follow-up results of the DANTE trial, a randomized study of lung cancer screening with spiral computed tomography. Am J Respir Crit Care Med 2015;191:1166-75.
18. Paci E, Puliti D, Lopes Pegna A, et al. Mortality, survival and incidence rates in the ITALUNG randomised lung cancer screening trial. Thorax 2017;72:825-31.
19. Nawa T, Nakagawa T, Mizoue T, et al. A decrease in lung cancer mortality following the introduction of low-dose chest CT screening in Hitachi, Japan. Lung Cancer 2012;78:225-8.
20. Sagawa M, Nakayama T, Tanaka M, Sakuma T, Sobue T, The JECS study group. A randomized controlled trial on the efficacy of thoracic CT screening for lung cancer in non-smokers and smokers of <30 pack-years aged 50-64 years (JECS Study): research design. Jpn J Clin Oncol 2012;42:1219-21.
21. Tang W, Wu N, Huang Y, et al. [Results of low-dose computed tomography (LDCT) screening for early lung cancer: prevalence in 4 690 asymptomatic participants]. Zhonghua Zhong Liu Za Zhi 2014;36:549-54.
22. Blanchon T, Bréchot JM, Grenier PA, et al. Baseline results of the Depiscan study: a French randomized pilot trial of lung cancer screening comparing low dose CT scan (LDCT) and chest X-ray (CXR). Lung Cancer 2007;58:50-8.
23. Lefébure P, Blanchon T, Kieffer A, Sarter H, Fournel F, Flahault A. Profil des investigateurs actifs au cours d’un essai clinique en médecine générale. Rev Mal Respir 2009;26:45-52.
24. Couraud S, Cortot AB, Greillier L, et al. From randomized trials to the clinic: is it time to implement individual lung-cancer screening in clinical practice? A multidisciplinary statement from French experts on behalf of the French intergroup (IFCT) and the Groupe d’oncologie de langue francaise (GOLF). Ann Oncol 2013;24:586-97.
25. Gendarme S, Perrot E, Reskot F, et al. Modélisation de l’impact économique d’un dépistage organisé du cancer du poumon en France. Rev Mal Respir 2017;34:717-28.
26. Coureau G, Salmi LR, Etard C, Sancho-Garnier H, Sauvaget C, Mathoulin-Pélissier S. Low-dose computed tomography screening for lung cancer in populations highly exposed to tobacco: a systematic methodological appraisal of published randomised controlled trials. Eur J Cancer 2016;61:146-56.
27. Haute Autorité de santé. Cancer du poumon : conditions non réunies pour un dépistage chez les fumeurs. Dossier de presse, HAS 2016. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/3n2TnwA
28. Leleu O, Auquier M, Carre O, et al. Dépistage du cancer du poumon par scanner thoracique basse irradiation dans la Somme : résultats à 1 an. Rev Mal Respir 2018;35:A17.
29. Leleu O, Basille D, Auquier M, et al. Lung cancer screening by low-dose CT scan: baseline results of a French prospective study. Clin Lung Cancer 2020;21 :145-52.
30. Marquette CH, Boutros J, Benzaquen J, et al. Circulating tumour cells as a potential biomarker for lung cancer screening: a prospective cohort study. Lancet Respir Med 2020;8:709-16.
31. Black WC, Chiles C, Church TR, et al.; National Lung Screening Trial Research Team. Lung cancer incidence and mortality with extended follow-up in the National Lung Screening Trial. J Thorac Oncol 2019;14:1732-42.