Faire davantage valoir le principe d’équité
Améliorer la santé des migrants en situation de vulnérabilité est une ambition aussi complexe qu’impérieuse. Quelques précautions s’imposent avant de dessiner quelques pistes :
– parler des migrants n’est pas parler d’un groupe plus large, celui des « immigrés », mais cela permet de souligner que dans les deux cas se conjuguent des situations d’insertion réussie comme d’autres de plus grande vulnérabilité ;1
– parler « des migrants » en général a peu de sens si on réalise la diversité de leurs trajectoires et de leurs origines ;2
– reconnaître des situations de vulnérabilité particulières ne doit pas occulter que, contrairement aux idées reçues, selon une récente méta-analyse sur la mortalité réalisée par The University College London-Lancet Commission, la santé des migrants dans les pays riches est globalement meilleure que celle de la population des pays d’origine ;3
– cette situation globale se détériore au fil des années de présence dans le pays de destination en proportion de l’exposition à des conditions de vie et de travail globalement plus défavorables4 et du fait de difficultés spécifiques d’accès aux soins et à la protection sociale ;5
– certains sous-groupes, vivant dans des conditions particulièrement indignes (dans des « camps » ou à la rue, habitat dégradé) ou particulièrement fragiles (mineurs isolés, victimes de psychotraumatismes…), font dire à l’Académie de médecine6 qu’ils appartiennent aux populations qui, dans notre pays, nécessitent « qu’elles bénéficient d’une attention particulière du point de vue médical ».7

Prendre en compte la vulnérabilité structurelle

Proposer des « pistes » dans ces conditions peut s’envisager à plusieurs niveaux d’action, depuis la prise en compte de la « vulnérabilité structurelle » des demandeurs de soins dans le microsystème qui régit le colloque singulier entre soignants et soignés, jusqu’à l’application des traités internationaux dans le droit français (niveau « macro ») qui font de la protection de la santé de tout être humain un impératif catégorique, quelle que soit sa situation vis-à-vis du droit au séjour notamment (v. dans le numéro précédent l’article du Comede, p. 567). En passant par des mesures intermédiaires (« méso ») au niveau des organisations et des collectifs.
Le concept de « vulnérabilité structurelle » proposé par des auteurs de l’université de Californie de Los Angeles (UCLA)8, 9 suggère de prendre en compte dans la relation de soin deux ordres de considérations :
– l’influence sur la santé des caractéristiques économiques et sociales « objectives » des personnes (genre, citoyenneté, ressources financières, conditions de travail, niveau de littératie en santé) ; c’est s’inscrire dans une démarche de soin générique (même si incomplètement suivie) empreinte « d’universalisme proportionné » visant à réduire les inégalités sociales de santé ou au moins ne pas les aggraver, tel qu’a pu le proposer le Collège de la médecine générale ;
– l’influence sur l’accès aux soins de la « valeur » que la société accorde et renvoie à tout un chacun, particulièrement dégradée en situation de migration ; il s’agit là de s’interroger sur les effets de la stigmatisation de certaines catégories sociales, notamment les migrants, et l’ensemble des préjugés qui en découlent plus ou moins consciemment de la part des professionnels du sanitaire et du social, depuis la remise en cause de la recevabilité de certaines demandes de soins (health-related deserving­ness), ou la mise en cause de leur authenticité ou de leur crédibilité, jusqu’au doute sur la capacité des personnes à comprendre ce qui leur arrive, à suivre les prescriptions médicales et à s’orienter dans le système (de soins et de protection sociale) ou à naviguer dans la société en général (littératie et littératie en santé* anticipée). Ces valeurs influencent l’attitude et le comportement des professionnels, et risquent d’aboutir à des soins différenciés (v.tableau).7, 8

Adapter les soins

Adapter les soins à la « vulnérabilité structurelle » des personnes suppose une formation qui y prépare chaque professionnel individuellement. Il s’agirait de faire davantage valoir le principe d’équité, plutôt que celui de l’égalité républicaine, qui prévaut actuellement dans notre pays, en proportionnant l’effort de prise en charge au degré de vulnérabilité et de fragilité des personnes. Mais il faut aussi des institutions préparées qui valorisent et facilitent le travail en équipe pluriprofessionnelle et savent nouer hors les murs les alliances indispensables pour agir sur ce qu’elles ne peuvent résoudre seules, notamment ce qui relève des conditions de vie et de travail défavorables à la santé ou qui compliquent les soins. Ces alliances et réseaux se tissent en proximité aboutissant à la mobilisation des ressources d’un territoire : associations, collectivités locales, assurances maladie et familiales (v. en encadré les exemples : à Poitiers, le relais Georges-Charbonnier, ou à Rennes, le réseau ville-hôpital 35, spécifiques aux primo-arrivants privés de droit commun).
À ce niveau « méso », concernant plus spécifiquement les migrants, un accès effectif à des dispositifs de médiation et d’interprétariat suffisamment dimensionnés est essentiel, comme le recommande la Haute Autorité de santé, pour des soins réellement centrés sur la personne. Nos institutions gagneraient également à s’inspirer des démarches proposées initialement en Amérique du Nord de soins ou services culturellement et linguistiquement adaptés10 et qui ont fait la preuve de leur efficacité.11 De fait, selon l’Organisation mondiale de la santé Europe, il s’agit d’une politique qui devrait être mise en œuvre à tous les niveaux du système de santé et dans la société.12, 13
L’ensemble de ces « pistes » sont réalistes et déclinées de manière opérationnelle par les équipes ou institutions qui en sont à l’origine.
* La littératie en santé est définie par Sørensen comme « la connaissance, les compétences, la motivation et la capacité d’un individu à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des informations sur la santé lors de la prise de décisions dans les contextes des soins de santé, de la prévention des maladies et de la promotion de la santé pour maintenir la qualité de la vie au cours de la vie ». In Sørensen et al. BMC Public Health 2012;12:80. http://www.biomed­central.com/1471-2458/12/80
Encadre

Deux initiatives : Poitiers et Rennes

Le relais Georges-Charbonnier, à Poitiers, est un partenariat entre un centre communal d’action sociale, deux centres hospitaliers dont un spécialisé en santé mentale et des associations. Il permet une prise en charge inclusive des patients privés de droit commun, avec une offre de soins (en santé mentale, physique, et bucco-dentaire), un accompagnement dans les démarches administratives, et des repas.

À Rennes, le réseau ville-hôpital 35 est une association dont l’objectif est la prise en charge inclusive des migrants primo-arrivants privés de droit commun. À l’origine destinée aux patients vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine, elle a étendu ses activités à une prise en charge psycho-médico-sociale des migrants. La prise en charge va de la prévention aux soins curatifs, en passant par l’accompagnement vers les appartements de coordination thérapeutique et la promotion de la santé.

Références
1. Beaud S. La France des Belhoumi. Portraits de famille (1977-2017). Paris : La Découverte, 2018.
2. Beauchemin C, Hamel C, Simon P (sous la direction de). Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France. Paris : INED, 2015. www.ined.fr
3. Aldridge RW, Nellums LB, Bartlett S, et al. Global patterns of mortality in international migrants: a systematic review and meta-analysis. Lancet 2018;392:2553-66.
4. Hamel C, Moisy C. Migration et conditions de vie : leur impact sur la santé. In Beauchemin C, Hamel C, Simon P (sous la direction de). Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France. Paris : INED 2015:263-87.
5. Berchet C, Jusot F. État de santé et recours aux soins des immigrés en France : une revue de la littérature. Bull Epidémiol Hebd 2012;2-3-4;17-20.
6. Académie nationale de médecine (Alfred Spira, rapporteur). Précarité, pauvreté et santé. Paris : Académie nationale de médecine, 2017. http://bit.ly/2X0pEqy
7. Collectif. La santé et l’accès aux soins des migrants : un enjeu de santé publique. Bull Epidémiol Hebd 2017;19-20. http://invs.santepubliquefrance.fr ou http://bit.ly/2WjXidZ
8. Bourgois, P, Holmes SM, Sue K, Quesada J. Structural vulnerability: operationalizing the concept to address health disparities in clinical care. Acad Med 2017;92:299-307.
9. Abubakar I, Aldridge RW, Devakumar D, et al. The UCL–Lancet Commission on Migration and Health: the health of a world on the move. Lancet 2018;392:2606-54.
10. Brach C, Dreyer BP, Schillinger D. Physician's roles in creating health literate organizations: a call to action. J Gen Intern Med 2012;29:273-5.
11. Farmanova E, Bonneville L, Bouchard L. Organizational health literacy: review of theories, frameworks, guides, and implementation issues. Inquiry 2018;55:1-17.
12. Rowlands G, Russell S, O'Donnell A, et al. What is the evidence on existing policies and linked activities and their effectiveness for improving health literacy at national, regional and organizational levels in the WHO European Region? Copenhagen: WHO Regional Office for Europe, 2018 (Health Evidence Network (HEN) synthesis report 57).
13. World Health Organization Technical guidance series on the health of refugees and migrants. WHO, December 2018.

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Résumé Quelles pistes pour améliorer la santé des migrants en situation de vulnérabilité ?

Les migrants sont exposés, du fait de leur situation de migration, à des facteurs structurels de vulnérabilité, qui affectent leur santé. Après une brève revue de la littérature mondiale qui confirme l’impact négatif de ces facteurs structurels sur la santé des migrants, nous proposons quelques pistes pour mitiger ces facteurs, aux niveaux « micro », « méso » et « macro » du système de santé. Nous fournissons entre autres une liste d’attributs qui qualifieraient une organisation de « conscience à la littératie en santé », ce qui contribuerait à tendre vers l’équité en santé.