La maltraitance au sens où on l’entend s’apparente à l’indicible et relève de sanctions juridiques. Mais les patients et proches font face aussi parfois à une maltraitance que l’on peut qualifier d’« ordinaire ». Si celle-ci peut paraître sans conséquence pour certains, elle peut laisser néanmoins des dégâts psychologiques chez des personnes déjà fragilisées par la maladie.
Les exemples ci-dessous proviennent de témoignages issus de courriers que nous avons reçus ou d’entretiens que nous avons eus dans le cadre de nos missions de représentants des usagers ou de patientes ayant animé un blog et une communauté à destination d’autres patients. Certains de ces exemples nous ont également été transmis par des professionnels choqués par des situations qu’ils ont pu observer dans leur fonction.
Ces lignes ne reflètent bien entendu que le ressenti de leur auteur, elles ne contextualisent pas la situation. Elles viennent néanmoins en résonance à ce que nous avons pu observer dans le cadre de nos différentes fonctions ou parcours de soins. Ces situations montrent que la maltraitance peut être liée à des faits relevant de la réalisation de certains actes de soins mais également de l’indifférence à l’autre, de la routine, du manque d’empathie, elles sont donc très diverses mais toujours très préjudiciables pour les personnes qui les subissent et inacceptables d’un point de vue éthique.

Gaver

Mme P. n’est plus en capacité de se nourrir seule et bénéficie donc d’une aide au repas apportée par une aide-soignante à son domicile. Cette dernière ne semble plus se rendre compte qu’elle s’occupe d’une femme âgée n’ayant plus la capacité de parler ou de montrer qu’il faut ralentir le rythme. L’aide-soignante enchaîne rapidement les bouchées et la dame ne parvient plus à avaler les quantités qui lui sont enfournées successivement dans la bouche.
Les professionnels sont amenés à prodiguer les soins les plus simples parfois dans l’urgence, parce que d’autres patients attendent ou de façon mécanique et répétitive jusqu’à oublier le sens même de leur métier, de leur engagement, qui est de prendre soin. Replacer tous les soins aussi banals soient-ils dans une dynamique bienveillante permettrait de redonner du sens à tous ces professionnels dont les actes sont essentiels pour la qualité de vie des malades dont ils ont la charge.

Insulter

Mme G, résidente dans un établis- sement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), est atteinte de la maladie de Parkinson avec un profil psychiatrique, elle est très en demande vis-à-vis des aides- soignants. Un jour, une aide- soignante ne supportant plus d’être appelée lui a hurlé dessus avec des propos odieux et obscènes. Deux étudiantes présentes ont rempli une feuille d’événement indésirable, et cette professionnelle a été reçue par la direction.
Dans tous les domaines et particulièrement dans celui de la psychiatrie, il est nécessaire de former tous les professionnels aux problématiques auxquelles ils risquent d’être confrontés. Tous les malades en demande doivent être entendus et respectés quelle que soit leur pathologie. Si les insultes sont inacceptables dans tous les cas, elles sont encore plus insupportables lorsqu’elles sont prodiguées à l’encontre de personnes en situation de fragilité. Il est intéressant de noter que le signalement de cette situation a été réalisée par deux étudiantes qui portent encore un regard extérieur face à ces situations qui ne choquent peut-être plus des professionnels plus anciens.

Humilier

« Étant en situation de handicap physique et en surpoids important, je suis allée dans un grand hôpital faire une batterie de tests pour trouver une solution pour perdre du poids. À la suite de l’échographie cardiaque, le radiologue me dit : "Vous avez autant de gras autour du cœur qu’autour des hanches ". Comment vous dire ? je suis sortie dans un état psycho- logique déplorable. Comment peut-on être aussi cruel ? »
La « grossophobie » médicale est rapportée par de nombreux patients obèses. Bien souvent confrontés à des appareils peu adaptés, des professionnels mal formés, les malades font parfois face à des moqueries qui ajoutent de la souffrance psychologique à leur souffrance physique. Un constat en total désaccord avec le sens même de la fonction du soin.

Ironiser

Une patiente récemment diagnostiquée d’un cancer du sein, doit faire face à une proposition d’ablation d’un sein par un chirurgien. Choquée et désemparée par cette annonce, elle se met à pleurer. Le médecin, un homme, lui répond avec ce qu’il croit être de l’humour : « Ne pleurez pas, madame, moi, cela fait 50 ans que je vis très bien sans sein ! ».
Faire face à la souffrance infligée par une annonce est certainement difficile pour un professionnel d’autant qu’il est lui-même l’oiseau de mauvais augure. Le médecin, dans ce cas, tente de gommer son malaise en se retranchant derrière un « bon mot ». Si l’humour peut parfois dédramatiser une situation, il est des cas où, déplacé, il peut faire plus de mal que de bien. Entendre la douleur psychologique, la peur, recevoir la plainte, même si celle-ci semble disproportionnée (perdre un sein peut paraître dérisoire face à l’éventualité de perdre la vie) sont des éléments indissociables d’une prise en soin respectueuse des personnes.

Nier la douleur

La femme d’un patient pris en charge dans un service hospitalier d’oncogériatrie témoigne et interroge : des manipulations répétées d’un malade douloureux et très affaibli sans aucune précaution, accompagnées d’injonctions permanentes à faire un effort, à se bouger, à supporter, à ne pas être douillet. Est-ce une preuve du respect de la personne humaine qu’est le malade ? Ces comportements sont-ils compatibles avec l’éthique du personnel soignant ? Est-ce un manque de formation des équipes en place dans ce service qui ignorent la douleur liée au cancer ? Est-ce un manque d’encadrement ? En tout cas, c’est le malade qui subit de plein fouet cette maltraitance.
Cet exemple montre que les professionnels ont des difficultés à entendre la plainte de la personne qu’ils soignent. Il n’est pas demandé aux professionnels de se mettre « à la place du patient », mais d’être tout simplement à son écoute, d’être attentif à ses réactions, de penser que l’acte technique que l’on réalise ou la maladie que l’on soigne peuvent intrinsèquement provoquer de la douleur.
Pour les patients, il est essentiel que les professionnels s’interrogent en permanence sur la finalité de leur action. En effet, réfléchir à la maltraitance dans le domaine de la santé d’un point de vue général et dans sa pratique professionnelle d’un point de vue individuel, c’est aussi pouvoir se poser un instant pour réfléchir au sens de ce que l’on fait. Pourquoi on le fait, comment on le fait et pour qui on le fait. Est-ce que l’acte que je prodigue peut devenir maltraitant ? En quoi pourrais-je devenir maltraitant ? Est-ce que, en voulant trop bien faire, je ne nie pas la volonté du patient ou de ses proches ? Dans la même situation est-ce que j’accepterais que l’on me fasse ce que je fais ?
S’interroger sur la maltraitance s’inscrit donc dans une dynamique positive qui ne doit pas être culpabi-lisante, à l’inverse c’est l’esquiver qui serait une faute. 

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