La greffe de donneur vivant impose que donneur et receveur (la paire) soient compatibles : compatibilité immunologique (groupe sanguin ABO-compatible, compatibilité dans le système HLA ; absence chez le futur greffé d’anticorps anti-­HLA dirigé contre le donneur de rein) ; mais aussi compati­bilité chirurgicale.
Lorsque le don n’est pas possible au sein de cette paire, le don croisé peut être proposé : il consiste à réunir deux paires de donneur-­receveur, incompatibles au sein de chaque paire mais compatibles entre les paires. Ainsi, on espère pouvoir augmenter le nombre de greffes issues de donneurs vivants.
Les premières greffes en don croisé ont eu lieu aux États-Unis dès les années 2000, selon le principe d’une chaîne de don : à partir d’un donneur qui se propose en dehors de toute paire, et appelé « bon Samaritain »,* on peut ainsi greffer un premier receveur dont le donneur (D1) n’est pas compatible. Puis le premier donneur (D1) donne à un deuxième receveur. Le deuxième donneur donne à un troisième receveur, etc. Ce type de chaîne qui se prolonge dans le temps et l’espace permet ainsi de greffer plusieurs dizaines de patients, sur une période de plusieurs mois, voire plusieurs années.
En France, le programme, sensiblement différent du programme américain, a débuté en 2013, après la validation par la loi de bioéthique de 2011et la parution des décrets d’application en 2012.
La loi française prévoit que :
– les liens qui unissent donneur et receveur au sein d’une paire qui postule pour le don croisé soient les mêmes que dans le don du vivant compatible, puisque le donneur « bon Samaritain » est interdit ainsi que les chaînes ;
– les bilans des receveurs et des donneurs soient les mêmes que pour un don du vivant compatible : bilans médicaux, chirurgicaux, immunologiques, y compris les convocations devant le comité d’experts de l’Agence de la biomédecine, le tribunal judiciaire ;
– les cycles d’appariement (programme informatique de l’Agence de la biomédecine, qui apparie au mieux les paires proposées) aient lieu tous les 3 à 4 mois, selon le nombre de paires disponibles (idéalement, au moins 50 paires pour procéder à un cycle d’appariement) ;
– seuls les doublets soient autorisés en France : le donneur de la paire A donne au receveur de la paire B, et vice-versa ; pas de triplets, pas de chaînes ;
– les deux prélèvements et les deux greffes se fassent simultanément ; donneurs et receveurs restent dans leurs centres hospitaliers universitaires d’origine, ce sont les greffons qui voyagent ; les deux paires ne doivent pas se connaître, le don reste anonyme.
Au 31 décembre 2019, d’après le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine, après 8 ans d’existence, on recensait au total, depuis le début du programme, 97 paires. Le nombre total de cycles d’appariement au cours de ces 8 années n’a été que de 19, dont 2 seulement en 2019. À l’issue de ces 19 appariements, 12 échanges ont été proposés. Seules 12 greffes ont pu être réalisées. Aucune greffe par don croisé n’a été réalisée en 2018, 2019 et 2020.
Au total, on constate que ce type de greffe ne s’est pas développé comme l’espérait l’Agence de la biomédecine. Les raisons en sont multiples :
– d’une part, les contraintes techniques imposées par la loi française (uniquement des doublets, anonymat entre donneur et receveur, interventions chirurgicales de prélèvements et de greffes simultanées, transport des greffons qui augmente l’ischémie froide) ont découragé beaucoup d’équipes de se lancer dans de tels programmes ;
– d’autre part, la plupart des centres de transplantation rénale de France disposent de techniques de désimmunisation afin de réaliser des greffes ABO-incompatibles, principale indication du don croisé.
Enfin, 20 % des receveurs du programme de don croisé sont hyper­immunisés : ces patients, difficiles à greffer, bénéficient déjà des priorités pour leur trouver un greffon venant d’un donneur décédé national. Leurs chances d’appariement sont quasi nulles, ce qui plombe encore plus le programme. 
* Le don de type « bon Samaritain » est interdit en France.