La plan gouvernemental « Ma santé 2022 » prévoit l’apparition d’un nouvel acteur, l’assistant médical, censé redonner du temps au médecin à condition de sortir d’un exercice isolé. Mais quel serait son profil ?
Lors de la présentation du plan « Ma santé 2022 », le président de la République a prononcé une de ses formules chocs appelées à être reprises par les commentateurs (et c’est ce qui s’est produit, aussi bien dans la presse professionnelle que par les médias grand public) : « Je veux précisément que l’exercice isolé devienne progressivement marginal, devienne l’aberration et puisse disparaître à l’horizon de janvier 2022. » Bigre, s’agissant de médecins dont l’exercice est, depuis des temps immémoriaux, individuel et fondé sur le colloque singulier, l’annonce est audacieuse…

L’exercice regroupé : une tendance forte

Et pourtant, c’est bien une des orientations prioritaires du Plan santé de favoriser une évolution de l’exercice individuel vers l’exercice regroupé. C’est d’ailleurs ce qui se passe sur le terrain, avec depuis une dizaine d’années, singulièrement pour le « premier recours » (soins primaires), une tendance croissante des jeunes et des moins jeunes à s’installer ensemble, soit dans des structures innovantes comme les maisons et les pôles de santé, soit dans les centres de santé, qui peuvent y trouver une opportunité pour se réactiver.
On sait les raisons de cette tendance. Elles sont principalement de deux ordres (on les retrouve d’ailleurs dans l’ensemble des pays développés) :
– avant tout, les contraintes et les astreintes du métier médical sont devenues incompatibles avec les aspirations de la plupart des professionnels contemporains. Seul l’exercice regroupé, le cas échéant pluriprofessionnel, autorise chacun des membres d’un groupe à organiser un équilibre satisfaisant et pérenne entre vie personnelle et exercice clinique. La « permanence des soins » y est assurée par la structure et non plus par l’individu. De surcroît, l’exercice regroupé est plus sécurisant et confortable ;
– ensuite, une part croissante de malades vieillissants, polypathologiques, chronicisés et attachés à leur domicile – qui correspondent à la charge principale qui pèse sur notre système de santé – nécessitent auprès d’eux les interventions répétées de plusieurs professionnels, dont la proximité, les compétences complémentaires et la coordination sont à l’évidence déterminantes au maintien en ambulatoire.
Il se trouve également, mais c’est presque une autre question, que l’exercice regroupé est un facteur essentiel de la qualité/sécurité des pratiques, comme le montrent une multi­tude d’expériences de terrain ou d’études plus rigoureuses.
C’est donc dans ce contexte qu’il faut entendre l’adresse du président de la République (même s’il est probable qu’un exercice individuel minoritaire persistera au-delà de 2022).

Assistants médicaux et regroupement

Deux des dix mesures phares du plan « Ma santé 2022 » pré­senté en septembre dernier tendent à l’exercice regroupé.
D’abord la mesure n° 2 : « Déploiement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour mailler le territoire national à l’horizon 2022. Une stratégie nationale de déploiement sera arrêtée d’ici fin 2018 et une négociation conventionnelle sera engagée dès 2019 pour donner un cadre pérenne de financement aux CPTS. »
À ce jour, ces CPTS constituent encore un objet en cours d’identification, mais on perçoit bien l’intention de rapprocher les professionnels d’un territoire afin qu’ils échangent davantage et se coordonnent mieux, progressivement (jusqu’à exercer une responsabilité sanitaire et sociale explicite sur le territoire ?) ; incluant évidemment premier recours, plateaux techniques et établissements et plus largement l’ensemble des professions de santé. L’affichage d’emblée d’un financement pérenne atteste la volonté des pouvoirs publics d’accélérer ce mouvement. Les réseaux de soins qui, après plus de vingt années, n’ont jamais pu bénéficier de cette pérennité apprécieront… avant vraisemblablement de se fondre dans ces CPTS.
Ensuite, la mesure n° 3 du plan : « Soutien financier au développement des assistants médicaux auprès des médecins libéraux à condition que ces derniers exercent en groupe, s’inscrivent dans un exercice coordonné ou une CPTS et s’engagent sur un bénéfice mesurable pour la population en matière d’accès aux soins (augmentation de la patientèle, réduction des délais de rendez-vous…), dans le but de libérer du temps médical et de permettre aux médecins de se concentrer sur les soins. »
L’assistant médical constitue à l’évidence une première façon de sortir de l’exercice isolé ; cependant, l’intention gouvernementale va au-delà en posant trois conditions préalables : le groupe, l’exercice coordonné/CPTS, et une condition de productivité.

Quel profil ? Quelles compétences ? Quelle formation ?

Telle qu’elle est présentée, cette mesure n° 3 suscite d’emblée trois questions et une remarque.
On peut d’abord se demander pourquoi une telle mesure n’a pas été envisagée au cours des précédentes négociations conventionnelles ; soit à l’initiative de l’Assurance maladie (comme cela semble être le cas aujourd’hui), soit à l’initiative des représentations professionnelles. Voilà déjà longtemps que les médecins généralistes et plus largement l’ensemble des 110 000 libéraux sont surchargés de tâches, en particulier non médicales.
Il faut ensuite s’interroger sur le profil professionnel et les compétences assumées par les assistants médicaux. Certes, le site du ministère de la Santé apporte des informations : « […] Redonner du temps aux médecins c’est leur permettre de se concentrer sur le cœur de leurs missions… Les assistants médicaux assureront des missions d’assistance des médecins et d’aide au parcours des patients. Ils pourront ainsi se voir attribuer des missions : d’accueil des patients, de recueil de certaines données et constantes, ainsi que de certaines informations relatives à l’état de santé, de vérification de l’état vaccinal et des dépistages, de mise à jour des dossiers et de gestion de l’aval de la consultation (préremplissage de documents administratifs, prise de rendez-vous avec les spécialistes de recours, programmation des admissions en établissements hospitaliers…). Cependant, ces informations sont au conditionnel ; il existe pourtant des données internationales, qui peuvent être utilisées et le cas échéant adaptées à notre contexte particulier (v. encadré). Ce travail a peut-être été fait, mais il n’a pas été suffisamment diffusé par les pouvoirs publics, si bien que des résistances et des contestations se manifestent, en particulier chez les professions de santé existantes. L’Ordre des infirmiers vient ainsi de publier un communiqué dans lequel on peut lire : « Les assistants médicaux : la "fausse bonne idée" du Plan santé. L’Ordre des infirmiers se félicite que les syndicats de médecins refusent à leur tour un projet dicté par une logique de productivité… Pourquoi instaurer dans le même temps une mesure qui n’incitera en rien les médecins à s’ouvrir à une prise en charge coordonnée, à la logique de parcours de soins, mais au contraire tendra à les enfermer dans un exercice isolé dont ils ne veulent plus ? Dans de nombreux pays confrontés à ces problématiques d’accès aux soins, les infirmiers sont devenus des acteurs centraux des soins de premier recours en leur donnant davantage d’autonomie. »
Il faut enfin se poser la question de la formation de ces futurs assistants médicaux. On sait l’universitarisation de la formation de l’ensemble des professions de santé en chantier depuis déjà plusieurs années (par exemple, les premières conventions entre les facultés de médecine et les instituts de formation en soins infirmiers avaient été passées dès 2010…). Cette universitarisation devrait être rapidement conduite à terme, sans pour autant négliger le caractère nécessairement professionnalisant des formations aux différentes professions de santé. C’est naturellement dans ce cadre que la formation des assistants médicaux devrait s’inscrire.
Une remarque pour finir : les assistants dont la création est en marche aurait pu dans leur titre être dédiés à l’équipe et au patient et ainsi se dénommer « assistant de santé » et non pas « assistant médical ».

Des exemples internationaux

Une priorité peut être cependant rappelée : l’objectif étant l’avènement d’un exercice coordonné entre les diverses professions de santé, il est essentiel que les formations s’attachent à développer l’esprit et les moyens de la coopération et de la meilleure complémentarité entre les différentes professions (alors que les formations d’aujourd’hui, en silo, privilégient plutôt la singularité et le rôle propre de chaque profession). Là aussi, il existe de nombreux exemples internationaux, qui peuvent éclairer les orientations à suivre. 
Encadre

États-Unis : qui sont (et que font) les * ?

Alors qu’ils n’existent pas encore en France, les medical assistants constituent l’une des catégories professionnelles qui connaît la plus rapide expansion aux États-Unis. Leur rôle habituel consiste à accueillir le patient, à l’accompagner en salle d’examen, à préciser son motif de consultation principal et à le noter au dossier, et à vérifier les constantes physiques (fréquence et rythme cardiaques, pression artérielle, poids et taille, température…). Et à moins que le médecin ait besoin d’être « assisté », par exemple pour mobiliser un malade, leur rôle s’arrête là. Cependant, de plus en plus et dans de nombreux « ambulatory practices » où exercent des équipes pluriprofessionnelles, le rôle des medical assistants se diversifie.

On dénombre près de 600 000 medical assistants aux États-Unis (soit un peu moins que les 700 000 médecins). Les projections démographiques en prévoient environ 150 000 de plus au terme des dix prochaines années. Dans la plupart des cas, leur formation s’effectue dans des instituts privés à but lucratif et dure une année (avec des extrêmes de 3 mois et 2 ans). Il n’y a pas de régulation fédérale encadrant leur activité, chaque État prenant ses propres dispositions (le cas échéant avec le concours d’organismes privés d’accréditation). Leur niveau de rémunération est assez bas, de l’ordre de 15 dollars par heure.

C’est particulièrement au sein des équipes de soins primaires que les medical assistants diversifient leurs activités. Cette diversification les conduit dans deux directions distinctes, mais non nécessairement exclusives l’une de l’autre. La première concerne le patient (ou des groupes de patients), auprès duquel le medical assistant assure des missions de médiation, et de coaching (motivation/éducation/suivi). La seconde concerne l’équipe pluriprofessionnelle, au sein de laquelle le medical assistant veille à la meilleure coordination et occupe des fonctions de « soutien » en lien avec le secrétariat, particulièrement pour ce qui concerne la tenue des dossiers des patients et l’utilisation et l’exploitation la plus pertinente des données (indicateurs) issues du système d’information. Bien entendu, cette diversification s’accompagne d’un accroissement sensible de la rémunération (jusqu’à +50 %).

De leur côté, et pour assumer au mieux cette diversification du rôle, les instituts privés, très réactifs, adaptent en temps réel les formations qu’ils proposent.

* Une analyse fine de ces évolutions, datée de 2017 est accessible via ce lien : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5269548/ ou

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