La recertification des médecins qui, voilà pas si longtemps, constituait un sujet explosif, vient de faire l’objet d’un rapport aux ministres concernés (Enseignement supérieur et Santé).
Le rapport récent sur la recertification des médecins et les propositions qu’il formule n’ont pas provoqué de réactions hostiles, ni même de commentaires notables si ce n’est une approbation volontiers relayée dans la population.
Pourtant il installe le principe d’une recertification professionnelle ; dans des conditions qui, il est vrai, favorisent au mieux son acceptabilité :
– d’abord, son délai – plutôt prolongé – de mise en œuvre, puisque le dispositif doit s’appliquer aux médecins diplômés à partir de 2021 (plus 6 ans au terme desquels chaque médecin aurait à faire la preuve du bon déroulement de sa démarche, ce qui nous amène en 2027) ; bref, on a le temps de voir venir ;
– ensuite, en veillant à ce que l’ensemble des institutions et instances professionnelles aient à tenir un rôle dans le dispositif, l’Ordre des médecins, bien sûr, instigateur de la démarche et dépositaire potentiel du suivi, les conseils professionnels (syndicats et sociétés savantes) soucieux d’asseoir leur action, alors que leur existence remonte déjà à 2010, et l’université, préoccupée par la pérennisation de son influence « tout au long de la vie » ;
– enfin, son contenu et ses critères, guère menaçants – ce qui est heureux – reprenant avant tout l’existant (formation médicale continue [FMC] et développement professionnel continu [DPC]) ouvrant sur des aspects plus actuels (relation médecin-malade, qualité de vie des soignants) et dessinant une perspective généreuse (à finaliser, ce qui est habile pour prolonger la mission) sur les valorisations possibles…
Tout cela en maintenant le principe primordial de l’autorégulation – malheureusement non explicitement formulé dans le texte du rapport – par lequel les instances professionnelles s’engagent sur la qualité des pratiques des médecins, indépendamment des pouvoirs publics.
Pour autant plusieurs points, traités ou non dans ce rapport, méritent d’être éclairés.

Certification initiale

En tout premier lieu, celui de la certification initiale (qui n’existe pas à ce jour) ; question laissée dans l’ombre alors même que certains réclament depuis plusieurs années une recertification… Le rapport le dit, tous les étudiants voient désormais leur formation initiale, à l’université, se conclure par un diplôme, le diplôme d’études spécialisées (DES) délivré au terme du troisième cycle de spécialisation. Ce diplôme est qualifiant (à l’échelle de l’Union européenne) et « vaut » donc – le rapport l’écrit – certification initiale, ce qui signifie que l’université garantit en quelque sorte les compétences de l’étudiant diplômé. Voilà une évolution cohérente avec le mouvement plus large, initié par l’Organisation mondiale de la santé, en faveur du développement d’une « responsabilité sociale des facultés de médecine/santé ».
En réalité, ce DES avait été institué voilà plus de 30 ans par la réforme de 1982-1984 qui créait justement le troisième cycle de formation théorique et pratique, par lequel tous les étudiants devaient passer (mettant ainsi un terme définitif à la « double voie » d’accès aux spécialités qui existait jusqu’alors, soit par l’internat des hôpitaux, soit par les certificats d’études spécialisées [CES]). La clarification est donc bienvenue.

Pas de sanctions

Ensuite, l’abandon de fait de l’approche « sanctionnante » pour caractériser le processus évaluatif qui conduit à la recertification proposée. Longtemps, les services de l’État, en particulier les secteurs de l’enseignement ou de la santé, et plus généralement les institutions de notre pays, ont privilégié – la plupart du temps de manière exclusive – cette approche sanctionnante, considérant l’évaluation comme un examen conduisant à un jugement binaire, soit la réussite, soit l’échec.
De cette sanction binaire résulte bien évidemment une crainte des impétrants et par là nombre de conduites d’évitement ou même de comportements déviants et finalement répréhensibles. Une première étape avait été franchie en 2008, quand un travail de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait consacré l’action menée à la Haute Autorité de santé (HAS), d’où avait émergé entre 2005 et 2007, une vision « formative » de l’évaluation des pratiques professionnelles. On peut à ce sujet relire avec profit la page 22 de ce travail.1
Si bien qu’il faut se féliciter que l’approche retenue pour la recertification proposée soit plutôt de l’ordre de l’accompagnement, on parlerait d’évaluation « formative » dans le jargon pédagogique ou métrologique. Dès lors, le but n’est pas d’attribuer un satisfecit ou au contraire un blâme ; le but est d’encourager chaque confrère dans une dynamique d’amélioration continue.

Quelle périodicité ?

La question de la périodicité est plus ambiguë. Chacun peut comprendre qu’il faut définir une échéance au terme de laquelle la recertification est prononcée et demeure valable pendant une certaine durée. Et chacun sait aussi qu’aussitôt la recertification acquise, la démarche par laquelle elle a été obtenue peut être négligée,* ou même ignorée si ce n’est contestée. Dans un domaine connexe, la certification des établissements de santé, publics ou privés, l’a largement démontré au cours des vingt années passées…
Si bien que les processus modernes de certification s’attachent de plus en plus à s’assurer que les choses au quotidien se déroulent de manière optimale, avec des résultats en constante amélioration, plutôt que de constater, à échéance(s) fixée(s), que différents critères sont remplis.

Quelle finalité ?

Cela nous conduit à la question essentielle qui est celle de la finalité de la recertification. Question en réalité pratiquement escamotée par le rapport, lequel postule dès ses premières lignes qu’il s’agit d’exercer une médecine de qualité, grâce à des connaissances et des compétences entretenues… Certes.
Pourtant la ministre de la Santé avait précisé dans son adresse initiale « qu’il fallait qu’elle (la recertification) évalue bien ce qu’elle devait évaluer »
Dès lors, le rapport aurait dû aborder cette question de finalité, c’est-à-dire déterminer si les connaissances et compétences devaient être privilégiées ou si, en aval, il fallait également s’intéresser aux pratiques cliniques, jusqu’à en faire une priorité en les appréciant par quelques données simples ou même en intégrant le ressenti des malades (ce que les initiés appellent les patient-reported outcome measures [PROM] et les patient-reported experience measures [PREM], c’est-à-dire ces indicateurs qui traduisent les résultats cliniques objectifs du malade et, plus subjectivement, ses propres impressions sur l’utilité de la séquence de soins).
C’est en effet une telle évolution qu’ont suivi les pays dont l’antériorité en matière de recertification est reconnue, comme les États-Unis ou plus largement les pays anglo-saxons. Cette évolution a été fondée sur des constats, très largement diffusés par la presse médicale scientifique internationale2-5 au cours des 15 dernières années et qui peuvent être brièvement rappelés :
– d’abord, les médecins nord-américains « traînent les pieds » pour s’engager dans les démarches de recertification (majoritairement considérées comme scolaires, fastidieuses et très dispendieuses, ce qui est vrai…) au point que l’on peut considérer que c’est l’obligation portée par les employeurs d’être « recertifié » qui constitue leur principale motivation ;
– ensuite, nombre de médecins ne se reconnaissent pas – ne retrouvent pas leurs pratiques – dans une large part des tests et programmes constituant les démarches de recertification ;
– et surtout les publications, quelquefois polémiques, se sont accumulées, mettant en évidence les discordances fréquentes entre recertification et qualité des pratiques (induisant par-là que la qualité-sécurité des pratiques résultait sans doute bien davantage de l’organisation de l’exercice clinique que des compétences propres à chaque individualité).
C’est vraisemblablement ce dernier rappel qui a conduit le rapport à prendre en compte l’accréditation des « spécialités à risque » (actuellement gérée par la HAS) dans la démarche de recertification. D’autres initiatives portées par les professionnels comme l’accréditation d’équipe, les diverses formules de groupes de pairs ou plus largement les réunions de concertation pluridisciplinaire – au sein desquelles pratiques et connaissances sont étroitement intriquées – auraient pu être davantage reconnues et promues par le rapport ; d’autant qu’elles sont tout à fait en cohérence avec les évolutions en cours aussi bien à l’université que sur le terrain (où les conditions d’exercice se transforment rapidement). V
* Les organisations recertifiantes ont ainsi documenté que 74 % des praticiens américains attendaient la neuvième année pour se préoccuper de débuter leur démarche de recertification venant à échéance à 10 ans.
Références
1. Bras PL, Duhamel G. Formation médicale continue et évaluation des pratiques professionnelles des médecins. Rapport IGAS, novembre 2008 www.ladocumentationfrancaise.fr ou https://bit.ly/2HF0ZE4

2. Iglehart JK, Baron RB. Ensuring physicians' competence — Is maintenance of certification the answer? N Engl J Med 2012;367:2543-9. https://bit.ly/2HE7FCj

3. NEJM Knowledge + Team. Are internal medicine board questions relevant to medical practice? https://knowledgeplus.nejm.org/ ou https://bit.ly/2FBHGcN

4. Continuing board certification: vison for the future commission. Final report, February 2019. https://visioninitiative.org/ ou https://bit.ly/2Hhmp9o

5. Th L. Certifying the good physician: a work in progress. JAMA 2014;312:2340-2.

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