Les systèmes de santé sont en crise partout dans le monde. Toute refondation s’appuiera sur l’engagement de tous les acteurs, avec une régulation reposant sur cinq piliers : l’évaluation, la transversalité, la territorialisation, la proximité, la réforme. La réalisation et la durabilité des transformations proposées seront d’autant mieux garanties qu’elles reposeront sur un terreau social cultivant les valeurs du vivre ensemble.
Une réflexion autour de la refonte du système de santé est nécessaire et doit inciter tous les acteurs à évaluer leur propre responsabilité sociale.
Un constat
La plupart des systèmes de santé à travers le monde sont en crise car, comme diraient les économistes, l’offre ne répond pas à la demande, notamment celle du citoyen pour un service de proximité accessible, celle d’une population vieillissante nécessitant suivi et accompagnement, ou celle des professionnels de santé pour un fonctionnement apaisé et valorisant de leur travail.
Les charges considérables que représentent et représenteront les maladies chroniques et leurs comorbidités, une précarité inquiétante et son incidence sur l’accès aux soins, l’indispensable investissement en matière de prévention et d’action sur des facteurs déterminant la santé en relation avec l’environnement et les modes de vie ne pourront être supportés qu’au prix d’une refondation du système de santé, impliquant une répartition nouvelle et plus efficace des fonctions et tâches et un assainissement durable de son financement. Face à ce tableau, les propositions de transformation ne peuvent pas être de nature tactique, comme trop souvent, mais doivent être de nature stratégique. En effet, des décisions ponctuelles sont prises pour calmer temporairement les crises de tel ou tel secteur aux dépens d’une vision holistique et anticipatrice des besoins sur le long terme, tenant compte des défis considérables auxquels les sociétés sont et seront confrontées pour vivre en sécurité et en harmonie au sein d’une même nation et entre nations.
Les charges considérables que représentent et représenteront les maladies chroniques et leurs comorbidités, une précarité inquiétante et son incidence sur l’accès aux soins, l’indispensable investissement en matière de prévention et d’action sur des facteurs déterminant la santé en relation avec l’environnement et les modes de vie ne pourront être supportés qu’au prix d’une refondation du système de santé, impliquant une répartition nouvelle et plus efficace des fonctions et tâches et un assainissement durable de son financement. Face à ce tableau, les propositions de transformation ne peuvent pas être de nature tactique, comme trop souvent, mais doivent être de nature stratégique. En effet, des décisions ponctuelles sont prises pour calmer temporairement les crises de tel ou tel secteur aux dépens d’une vision holistique et anticipatrice des besoins sur le long terme, tenant compte des défis considérables auxquels les sociétés sont et seront confrontées pour vivre en sécurité et en harmonie au sein d’une même nation et entre nations.
Un horizon
Toute refondation d’un système de santé devra compter sur l’engagement des principaux acteurs de santé à réfléchir à leur propre responsabilité sociale, c’est-à-dire à leur engagement à apporter de meilleures réponses aux priorités de santé, actuelles et futures de la société, la santé étant entendue dans sa plus large acception : un bien-être physique, moral et social, et non seulement l’absence de maladie ou d’infirmité – définition proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La responsabilité sociale repose sur un socle de valeurs qui peuvent être comprises comme quatre grandes aspirations : la qualité du soin, la justice sociale, la contextualisation et l’optimisation des ressources (figure ).1 Un soin de qualité est un soin adapté à satisfaire les besoins spécifiques d’une personne pour une existence digne dans son cadre de vie. La justice sociale est l’exigence que chaque personne, quelle que soit sa condition, ait le meilleur accès possible aux soins. Par contextualisation, on entend la prise en compte des déterminants de santé : facteurs personnels, sociaux, culturels, économiques et environnementaux. L’optimisation des ressources consiste à rechercher un meilleur usage du potentiel humain et des moyens techniques et matériels, y compris par des réformes institutionnelles, pour servir les trois valeurs précédentes.
Une régulation
L’adhésion des principaux acteurs de santé à servir les valeurs cardinales évoquées plus haut est essentielle pour une meilleure cohérence entre leurs missions et, partant, pour une atténuation de la fragmentation du système de santé. On constate, en effet, que pouvoirs publics, administrations sanitaires, établissements de soins, institutions académiques et écoles, associations professionnelles et société civile apparaissent comme autant d’îlots d’un archipel, usant de leurs prérogatives particulières avec une moindre préoccupation pour les répercussions de leurs actions sur l’intérêt de la société à long terme.
La recherche d’un consensus sur l’analyse de la situation sanitaire du pays et sur le fonctionnement du système de santé pour l’améliorer facilitera l’émergence de prestations novatrices plus globalisantes et transversales, de nouveaux métiers, d’approches interdisciplinaires et d’un usage approprié des technologies numériques et de l’intelligence artificielle.2
Une progressive convergence de visions des acteurs pourrait se muer en une démarche stratégique de refondation, à condition que soient admises certaines mesures de régulation. On peut s’attendre à ce que l’idée même de régulation puisse hérisser le poil de certains, car elle est soupçonnée d’écorner le libre arbitre à entreprendre, même si l’assurance est donnée que les mesures préconisées seraient applicables suivant un échéancier négocié et que des incitatifs substantiels seraient octroyés par une administration centrale. De toute évidence, la nécessité de débats s’imposera, tant sur la pertinence de ces mesures au regard des enjeux de santé que sur les retombées positives auxquelles les acteurs de santé, public compris, pourraient prétendre.
Cinq mesures de régulation sont préconisées : l’évaluation, la transversalité, la territorialisation, la proximité, la réforme. Pour chacune d’elles, une intervention de nature tactique et une intervention de nature stratégique peuvent être envisagées, la première avec des effets limités dans le temps, la seconde contribuant davantage à un effort de refondation.
La recherche d’un consensus sur l’analyse de la situation sanitaire du pays et sur le fonctionnement du système de santé pour l’améliorer facilitera l’émergence de prestations novatrices plus globalisantes et transversales, de nouveaux métiers, d’approches interdisciplinaires et d’un usage approprié des technologies numériques et de l’intelligence artificielle.2
Une progressive convergence de visions des acteurs pourrait se muer en une démarche stratégique de refondation, à condition que soient admises certaines mesures de régulation. On peut s’attendre à ce que l’idée même de régulation puisse hérisser le poil de certains, car elle est soupçonnée d’écorner le libre arbitre à entreprendre, même si l’assurance est donnée que les mesures préconisées seraient applicables suivant un échéancier négocié et que des incitatifs substantiels seraient octroyés par une administration centrale. De toute évidence, la nécessité de débats s’imposera, tant sur la pertinence de ces mesures au regard des enjeux de santé que sur les retombées positives auxquelles les acteurs de santé, public compris, pourraient prétendre.
Cinq mesures de régulation sont préconisées : l’évaluation, la transversalité, la territorialisation, la proximité, la réforme. Pour chacune d’elles, une intervention de nature tactique et une intervention de nature stratégique peuvent être envisagées, la première avec des effets limités dans le temps, la seconde contribuant davantage à un effort de refondation.
Évaluation
L’évaluation permettrait à tout acteur de santé d’examiner son degré de responsabilité sociale, c’est-à-dire sa disposition à faire siennes les quatre valeurs citées plus haut. Cet exercice devra être perçu non comme une inspection mais comme une recherche de qualité et de pertinence à l’avantage de tous. Comment procéder ? L’organisation de rencontres nationales, régionales ou locales permettant aux acteurs de santé de se familiariser avec le concept de responsabilité sociale et d’en comprendre les implications concrètes est indispensable, sachant qu’il est loisible à chacun de pousser plus loin l’introspection par la suite. Cette approche permettrait d’appréhender l’écart entre les pratiques actuelles et les pratiques souhaitables pour l’avenir, et de faire émerger quelques projets novateurs. C’est une initiative de nature tactique, animée en bonne conscience, mais n’entraînant pas nécessairement de transformations durables. En revanche, plus stratégique, et donc efficace à long terme, serait une évaluation utilisant une grille critériée permettant de qualifier plus précisément le degré de responsabilité sociale de l’acteur de santé et de cibler les transformations institutionnelles qu’il pourrait entreprendre.3 Des incitatifs d’ordre logistique et financier devraient être accordés par le pouvoir politique et des organismes nationaux de tutelle pour inciter à ce type d’évaluation et accompagner les acteurs de santé pour qu’ils entreprennent une action réformatrice.
Transversalité
Alors que les savoirs et les pratiques sont souvent confinés dans des spécialités ou des départements étanches, la mise en synergie de talents et moyens relevant d’institutions diverses est souhaitable, notamment pour atteindre des priorités nationales. Par exemple, l’implantation de médecins dans des territoires dépourvus devrait être une ambition partagée à la fois par une faculté de médecine, une administration territoriale de santé publique et une association professionnelle. L’allocation de quelque avantage matériel pour attirer les jeunes diplômés à s’installer dans de tels territoires relève d’une tactique dont l’effet éphémère est avéré car rien ne peut se substituer à une motivation professionnelle. En revanche, une stratégie de sédentarisation a été démontrée, dans l’hémisphère Nord (Canada) comme dans l’hémisphère Sud (Philippines), lorsque convergent trois courants volontaristes : d’abord, une formation médicale plus proche des préoccupations du terrain conduite tout au long du parcours des études, à l’opposé de stages épisodiques, ensuite une campagne d’attractivité menée auprès des facultés de médecine par de potentiels employeurs issus de lieux défavorisés et, enfin, une politique de valorisation de la médecine générale, enrichie de prérogatives nouvelles, pour servir de véritable pivot à un système de santé performant.4,5 Pratiquer la transversalité exige des institutions concernées une ouverture d’esprit au-delà de leurs champs habituels d’interventions et l’engagement à mieux servir des causes nationales. En retour, le pouvoir politique s’engagerait à faciliter une coordination entre parties prenantes et à octroyer un soutien technique et financier pour assurer d’éventuelles nouvelles fonctions.
Territorialisation
Une pratique centrée sur un territoire (quartier urbain, commune ou canton) est valorisante, car elle rend perceptible l’impact de l’acteur de santé sur la population environnante, notamment quand le potentiel local est mobilisé dans les domaines sanitaire, éducatif, social et économique. Elle incite à créer des complémentarités entre pouvoirs publics, structures de santé, universités ou écoles, professionnels de santé et monde associatif, notamment pour démêler la complexité d’associations morbides, telles que « pauvreté-illettrisme-manque d’accès » ou « grand âge-morbidités multiples-solitude ». De plus, par une telle action partenariale à l’encontre de déterminants de santé, l’acteur de santé pourra relativiser sa contribution particulière et mieux apprécier un éventuel ajustement de ses propres missions. Quelles interventions seraient souhaitables pour l’encourager dans une telle démarche ? Par exemple, l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques pourrait être utile pour planifier, organiser et évaluer un partenariat entre acteurs de santé afin d’atteindre des objectifs prioritaires dans un territoire. Des formations menées pour son usage seraient bienvenues bien que de portée tactique, c’est-à-dire sans garantie d’effets durables, à moins qu’elles ne soient complétées par une contractualisation entre les parties prenantes qui expliciterait leurs obligations respectives, ainsi que les modalités de gestion, coordination et évaluation. Un tel arrangement serait susceptible d’être encouragé si une politique de décentralisation était à l’ordre du jour.
Proximité
La difficulté d’accès aux soins est un souci aux multiples facettes, notamment du fait du manque de professionnels en régions sous-dotées et du long délai d’attente de citoyens plus exigeants pour un rendez-vous. Alors que la responsabilité sociale invite à une vision systémique, c’est-à-dire à l’identification de toute ressource susceptible de contribuer au soin, le fait que l’hôpital et le médecin soient encore trop souvent considérés comme les principales voies d’entrée dans le système de soins est un frein à cette vision. Aussi, « désert médical » est-elle une expression mal choisie pour nommer un déficit d’accès, tant la santé ne peut pas reposer sur les seules épaules du médecin. Dans toute spécialité médicale, y compris la médecine générale, un grand nombre de tâches peuvent être transférées à une variété de professionnels de santé, offrant une meilleure accessibilité, à qualité égale et coût moindre. Bien que ce transfert de tâches tarde à s’installer en raison du conservatisme et du corporatisme de certains, on observe néanmoins un élargissement progressif du champ de compétences confié à certains professionnels de santé non médecins et l’implantation de maisons de santé pluridisciplinaires ouvertes sur leur environnement. Il faut espérer une stratégie de politique volontariste pour prioriser des services de santé primaires ou de premier recours, dont s’empareraient organisations de soins, associations professionnelles et institutions académiques. On se souvient que lors de l’Assemblée mondiale de la santé en 1978, la majorité des pays du monde signaient une résolution de l’OMS reconnaissant que les soins de santé primaires (dits aussi de premier recours) sont indispensables pour édifier un système de santé qui soit juste, efficace et pérenne.
Réforme
La responsabilité sociale est un engagement systémique à trois volets : identification des besoins de santé prioritaires de la société, engagement à opérer des transformations pour mieux y répondre et suivi des actions entreprises pour assurer leur impact à court ou plus long terme. Bien qu’exigeant, ce concept rencontre un intérêt croissant dans le monde, à en juger par le nombre de publications. Un réseau francophone s’est récemment constitué à cet égard.1
Par quelles interventions l’engagement de responsabilité sociale peut-il gagner les cadres de la santé : politiques, administratifs, enseignants, chercheurs, praticiens ? Prenons le cas de l’institution académique dans sa mission de formation. Une heureuse initiative consisterait à proposer une formation transversale en responsabilité sociale à tous les étudiants, quelle que soit leur faculté ou leur école, à l’université, au motif que la société devra s’appuyer à l’avenir sur un potentiel humain qui soit à la fois compétent dans son domaine d’expertise et apte à répondre aux enjeux sociétaux. Cet apprentissage à la réflexion et à l’action multidisciplinaire pour appréhender la complexité des problèmes de santé et de bien-être leur apporterait une ouverture d’esprit, voire une orientation vers de nouveaux métiers. Une telle formation serait crédibilisée et porterait davantage de fruits si l’institution académique elle-même appliquait les principes de responsabilité sociale dans sa stratégie de développement, adaptant ainsi ses fonctions de formation mais aussi de recherche, de prestation de services et de partenariat au regard des besoins de la société. Une telle décision tendrait à reconnaître que l’excellence académique doit pouvoir se mesurer aussi à l’aune de sa capacité à impacter la société. S’agissant des facultés de médecine, un groupe international d’experts vient de recommander que cette orientation soit institutionnalisée, et donc validée par une accréditation pertinente.6 Une belle référence pour les autres partenaires de santé !
Par quelles interventions l’engagement de responsabilité sociale peut-il gagner les cadres de la santé : politiques, administratifs, enseignants, chercheurs, praticiens ? Prenons le cas de l’institution académique dans sa mission de formation. Une heureuse initiative consisterait à proposer une formation transversale en responsabilité sociale à tous les étudiants, quelle que soit leur faculté ou leur école, à l’université, au motif que la société devra s’appuyer à l’avenir sur un potentiel humain qui soit à la fois compétent dans son domaine d’expertise et apte à répondre aux enjeux sociétaux. Cet apprentissage à la réflexion et à l’action multidisciplinaire pour appréhender la complexité des problèmes de santé et de bien-être leur apporterait une ouverture d’esprit, voire une orientation vers de nouveaux métiers. Une telle formation serait crédibilisée et porterait davantage de fruits si l’institution académique elle-même appliquait les principes de responsabilité sociale dans sa stratégie de développement, adaptant ainsi ses fonctions de formation mais aussi de recherche, de prestation de services et de partenariat au regard des besoins de la société. Une telle décision tendrait à reconnaître que l’excellence académique doit pouvoir se mesurer aussi à l’aune de sa capacité à impacter la société. S’agissant des facultés de médecine, un groupe international d’experts vient de recommander que cette orientation soit institutionnalisée, et donc validée par une accréditation pertinente.6 Une belle référence pour les autres partenaires de santé !
Refonder le système en s’appuyant sur les règles du vivre ensemble
La réalisation et la durabilité des transformations proposées seront d’autant mieux garanties qu’elles reposeront sur un terreau social où sont cultivées les valeurs d’humanisme, d’altruisme, de solidarité, de tolérance à la diversité des opinions et des cultures, d’appréciation des mérites de l’esprit et de recherche d’un compromis heureux pour vivre ensemble. Réciproquement, ne pourrait-on pas prétendre que cette quête elle-même de refondation du système de santé fondé sur le concept de responsabilité sociale contribuerait en partie au soubassement de ce terreau ?
Une lecture critique de cet article a été effectuée par Sylvain Meuris, Alain Le Vigouroux, Jean-Michel Chabot et Thomas Hanslik, que nous remercions vivement.
Références
1. RIFRESS (Réseau international francophone pour la responsabilité sociale en santé). www.rifress.org.
2. Boelen C. Vers l’unité pour la santé. Défis et opportunités des partenariats pour le développement de la santé, OMS, Genève, 2001.
3. Boelen C, Heck J. Définir et mesurer la responsabilité sociale des facultés de médecine. OMS, Genève, 2000.
4. Strasser R, Hogenbirk JC, Minore B, Marsh DC, Berry S, McCready W, et al. Transforming health professional education through social accountability: Canada’s Northern Ontario School of Medecine. Med Teach 2013;35(6):490-6.
5. Woollet T, Cristobal F, Siega-Sur J, Ross S, Neusy AJ, Halili S, et al. Positive implications from social accountable, community-engaged medical education accross two Philippines regions. Rural Remore Health 2018;18(1):4264.
6. Boelen C, Blouin D, Gibbs T, Woollard R. Accrediting excellence for medical school’s impact on health of population. Educ Health 2019;32(1):41-8.
2. Boelen C. Vers l’unité pour la santé. Défis et opportunités des partenariats pour le développement de la santé, OMS, Genève, 2001.
3. Boelen C, Heck J. Définir et mesurer la responsabilité sociale des facultés de médecine. OMS, Genève, 2000.
4. Strasser R, Hogenbirk JC, Minore B, Marsh DC, Berry S, McCready W, et al. Transforming health professional education through social accountability: Canada’s Northern Ontario School of Medecine. Med Teach 2013;35(6):490-6.
5. Woollet T, Cristobal F, Siega-Sur J, Ross S, Neusy AJ, Halili S, et al. Positive implications from social accountable, community-engaged medical education accross two Philippines regions. Rural Remore Health 2018;18(1):4264.
6. Boelen C, Blouin D, Gibbs T, Woollard R. Accrediting excellence for medical school’s impact on health of population. Educ Health 2019;32(1):41-8.