Progrès ou innovation ? Un progrès thérapeutique est induit par une innovation (nouveau mécanisme d’action, nouvelle galénique…) si trois conditions sont associées : constituer une nouvelle modalité de prise en charge d’une maladie ; être susceptible d’apporter un progrès cliniquement pertinent en termes d’efficacité ou de sécurité d’emploi ; répondre à un besoin non ou insuffisamment couvert. Quantification du progrès. La meilleure appréciation d’un progrès résulte de la confrontation directe des performances de deux médicaments comparés dans un même essai dit de supériorité. Les essais thérapeutiques comparatifs dits de «non-infériorité» sont beaucoup moins convaincants. Les grands progrès, appelés progrès de rupture (ou disruption) parce qu’ils transforment fondamentalement le pronostic et la prise en charge des patients comme dans le cas de l’utilisation de certaines thérapies géniques, sont rares. La part d’incertitude et d’inconnu. Un développement précipité (à ne pas confondre avec un délai raccourci de l’instruction par les agences officielles d’évaluation, – fast track) se fait bien souvent au détriment de la complétude des informations nécessaires à une évaluation optimale. Un recul est indispensable. Il aura fallu, par exemple, plusieurs années pour passer de la démonstration de l’effectivité hypocholestérolémiante des statines à celle, autrement plus utile, de leurs bénéfices en morbimortalité en prévention secondaire. De même, quelques années ont été nécessaires pour découvrir que les effets indésirables cardio-vasculaires graves des anti-inflammatoires coxibs imposaient leur retrait. Accueillir le progrès avec une confiance prudente. En effet, si nombre de nouveaux produits confirment – voire amplifient – les espérances légitimes dont ils ont fait l’objet, d’autres ne révèlent leur part d’ombre que bien après qu’ils ont eu les faveurs – véritable lune de miel – des soignants et des patients. En médecine, comme dans bien d’autres domaines de la science, il est des certitudes précaires. Il s’agit donc de se garder de l’enthousiasme comme du procès d’intention : ni zélateur ni procureur. Et, pour ceux à qui revient la tâche d’évaluer le progrès au nom de la collectivité, si l’innovation mérite d’être accueillie avec faveur, il importe qu’elle soit estimée la tête froide, d’autant que le contexte thérapeutique et de prise en charge des patients peut être rapidement évolutif et rendre l’innovation très vite obsolète.  

Gilles Bouvenot, Académie nationale de médecine, service de médecine interne, gériatrie et thérapeutique (Prof. P. Villani), hôpital Sainte Marguerite, Marseille

17 novembre 2020