Les multiples scandales agro-alimentaires des dernières années et l’engouement pour la défense de la cause animale ont largement participé à l’émergence de nouveaux modes de consommation comme le régime sans gluten ou sans lait de vache.
Le végétalisme, caractérisé par l’exclusion de tout produit d’origine animale (viande, poisson, œufs, voire miel) en est l’exemple extrême. De plus en plus d’adultes et adolescents l’ont adopté.
Or, viande, poisson et lait sont la source essentielle de nutriments indispensables à l’organisme (calcium, fer, vitamine B12, oméga-3 et 6 ; encadré) au cours de la vie. Des apports insuffisants tout au long de l’enfance exposent à des carences aux conséquences potentiellement graves.

Risque fracturaire accru ?

Les besoins en calcium sont importants chez l’enfant et évoluent avec l’âge. Ils sont particulièrement augmentés à l’adolescence en raison du pic de croissance pubertaire. Les apports recommandés sont de 900 mg/j de 7 à 9 ans et de 1 200 mg/j entre 10 et 18 ans.
Une minéralisation osseuse insuffisante au cours des 2 premières décennies augmente le risque fracturaire pour toute la vie, et notamment après la ménopause.1 Les études observationnelles, mais aussi interventionnelles, ont bien montré la corrélation entre les ingesta calciques et la densité minérale osseuse (DMO) chez l’adolescent.
Chez les enfants végétaliens, peu d’essais ont évalué les apports de calcium, avec des résultats divergents. Ces derniers seraient insuffisants (aux alentours de 550 mg/j chez les adolescents) ; de plus, des cas d’épiphysiolyse de la tête fémorale ou de diminution de la DMO ont été décrits. Notons que, chez les adultes végétaliens, la baisse de la DMO est bien établie.2
La consommation de lait et de produits laitiers est le moyen le plus simple pour couvrir les besoins calciques. En effet, l’équivalent est difficilement atteignable via une consommation exclusive de fruits et légumes (300 mg de calcium = 250 mL de lait ou 2 yaourts ou 150 g d’amandes ou 700 g de légumes verts cuits ou 1 kg de légumes secs cuits).
Si les eaux fortement minéralisées sont une option intéressante, leur goût et le volume requis peuvent être des freins (300 mg de calcium = 620 mL de Contrex = 570 mL de Courmayeur).

Carence en fer ?

Les conséquences d’un déficit martial sont plus graves chez l’enfant et l’adolescent que chez l’adulte : anémie avec asthénie, retard de croissance, déficit cognitif, troubles neuropsychiques et susceptibilité accrue aux infections. Ces manifestations sont réversibles après une supplémentation, excepté le déficit cognitif en cas de carence avérée au cours des premiers mois de vie.
Les besoins recommandés en fer absorbé (et non ingéré) sont actuellement de 0,7 mg/j entre 1 et 6 ans ; 1,1 mg de 7 à 11 ans ; 2,4 mg/j chez les adolescentes entre 11 et 18 ans. Entre 1 et 6 ans, le lait de croissance enrichi en fer est le moyen le plus simple pour les couvrir. Puis, dès que l’enfant n’en boit plus suffisamment, soit moins de 300 mL/j, seule la consommation de 2 portions de produits carnés par jour permet de prévenir tout risque de carence martiale. Il en est de même chez les adolescents.
En pratique, peu de jeunes ingèrent cette quantité de viande. Toutefois, en cas d’anémie ou de carence martiale, grâce à la diminution de la sécrétion d’hepcidine (hormone inhibant l’absorption intestinale du fer), le coefficient d’absorption du fer non héminique est augmenté (de 2 voire 3 fois). C’est probablement par ce mécanisme que les adolescentes ne sont pas carencées alors que la majorité d’entre elles ne consomment pas 430 g de produits carnés par jour !3
Les apports recommandés en fer in- géré (6 à 10 mg/j avant la puberté puis jusqu’à 16 mg/j chez l’adolescente réglée) sont le plus souvent respectés chez les végétaliens.
Par exemple, les taux de fer dans les légumes secs (1,6 mg/100 g) et les épinards (2,1 mg/100 g) sont proches de ceux des produits carnés (1,1 à 2,1 mg/100 g).
Toutefois, le coefficient d’absorption du fer non héminique étant beaucoup plus bas (≈ 2,5 %) que celui du fer héminique (20-30 %), il faudrait ingérer un volume astronomique de végétaux pour couvrir les besoins (1 mg de fer absorbé = 510 mL de lait de croissance = 57 L de lait de vache = 180 g de produits carnés en moyenne = 800 g de poisson en moyenne = 1,3 kg d’épinards = 1,8 kg de légumes secs en moyenne).
Ainsi, de manière générale, la prévalence de la carence en fer est 2 fois plus élevée chez les adolescents végétaliens que chez les omnivores.3 Cependant, certains ont un statut martial normal, probablement en raison d’une modulation de la sécrétion d’hepcidine.

Déficits en vitamine B12 ?

La vitamine B12 ou cobalamine n’est contenue que dans les produits d’origine animale (foie, poisson, viande, œuf, lait). Bien que les réserves hépatiques puissent assurer les besoins pendant plusieurs mois à années, les végétaliens stricts les épuiseront à plus ou moins long terme en l’absence d’apports exogènes.
Les conséquences sont parfois dramatiques. Si l’anémie mégaloblastique ou la glossite sont réversibles après supplémentation, l’atteinte neurologique (troubles neurosensoriels, ataxie) peut évoluer vers une sclérose combinée de la moelle si la prise en charge est trop tardive, avec des séquelles parfois définitives.
La carence, très fréquente chez les enfants et les adolescents végétaliens, doit être prévenue par une supplémentation systématique (25 à 50 μg tous les jours sous forme de gouttes ou comprimés à macher). Notons que certaines algues contiennent des équivalents de vitamine B12 (mais ils ne sont pas tous métaboliquement actifs).4

Nourrissons : les plus à risque

Les parents qui imposent un régime végétalien à leur bébé substituent aux formules infantiles à base de protéines de lait de vache des boissons végétales (châtaignes, amandes, noisettes, riz ou soja). Or, ces dernières sont inadaptées aux besoins spécifiques des nourrissons, avec le plus souvent des teneurs trop faibles en lipides, protéines, calcium, fer, zinc, vitamines D, K et B12.
Leur consommation expose à des carences nutritionnelles gravissimes allant jusqu’à la dénutrition sévère, voire le décès. Ces complications sont d’autant plus graves que leur utilisation a débuté tôt au cours de la vie car ces boissons sont alors le principal apport alimentaire.5
S’il faut respecter les choix des familles, il est indispensable de leur proposer de remplacer les boissons végétales par des préparations infantiles à base de protéines végétales dont la composition respecte la réglementation européenne : hydrolysat de protéines de riz, protéines entières de soja ou d’amandes (Modilac riz, Novalac riz, Modilac soja…). Cependant, la teneur en fer et calcium est parfois inférieure aux autres laits pour nourrissons, avec un risque de carences en cas d’utilisation prolongée ; ainsi, il faut conseiller aux parents la formule infantile la plus riche en ces éléments.
Les régimes « sans » sont actuellement en plein essor dans notre société. Notre rôle de pédiatre et médecin est donc capital auprès de ces familles : s’assurer que les besoins nutritionnels des enfants sont couverts, prescrire un bilan nutritionnel régulier (NFS, plaquettes, ferritine, vitamine B12) au moins 1 fois par an, et si besoin une supplémentation orale en fer, calcium et vitamine B12 ; proscrire les boissons végétales au profit de formules infantiles adaptées pour nourrisson. Il est de notre responsabilité de ne pas participer à cette maltraitance nutritionnelle !
Encadre

Apports en acides gras essentiels : manger des algues ?

Les acides gras de la série n-3 et n-6 sont essentiels pour le développement du système nerveux, en particulier central, et de la rétine. Les produits de la mer en sont les principales sources, en particulier pour les acides éicosapentaénoïque (EPA) et docosahexaénoïque (DHA). Car seuls les acides gras de la série n-3 et notamment l’acide α-linolénique (ALA) sont présents dans les végétaux (graines de chia, de chanvre, de lin, noix, huiles de noix, colza et soja). Ainsi, la seule source possible pour l’EPA et le DHA chez les végétaliens est la consommation d’algues. Une étude a montré que les adolescents végétariens et végétaliens avaient des taux élevés d’ALA par rapport aux omnivores et un ratio n-6/n-3 plus haut ; cependant, les taux d’EPA, DHA et n-3 restaient toujours abaissés. Or un apport insuffisant, notamment pour le DHA, a été associé à des troubles du développement chez l’enfant. Ainsi, afin de couvrir les besoins chez les végétaliens, les huiles riches en oméga-3 (colza, noix, soja) doivent être systématiquement ajoutées au cours d’1 ou 2 repas par jour au moment de la diversification alimentaire. partir de l’âge de 1 an, on préconise une supplémentation de 100 mg/j ou la consommation d’algues.

Références
1. Rizzoli R, Bianchi ML, Garabédian M, et al. Maximizing bone mineral mass gain during growth for the prevention of fractures in the adolescents and the eldrely. Bone 2010;46:294-305.
2. Ambroszkiewicz J, Klermarczyk W, Gajewska J, et al. The influence of vegan diet on bone mineral density and biochemical bone turnover markers. Pediatr Endocrinol Diabetes Metab 2010;16:201-4.
3. Tounian P, Chouraqui JP, et le groupe de travail sur le fer de la Société française de pédiatrie. Fer et Nutrition. Arch Pediatr 2017;24(5S);5S23-5S31.
4. Pawlak R, Lester SE, Babatunde T. The prevalence of cobalamin deficiency among vegetarians assessed by serum vitamin B12: a review of litterature. Eur J Clin Nutr 2014;68:541-8.
5. Lemale J, Salaun JF, Assathiany R, et al. Replacing breastmilk or infant formula with a nondairy drink in infants exposes them to severe nutritional complications. Acta Paediatr 2018;107:1828-9.

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essentiel

Le régime végétalien chez l’enfant entraîne inexorablement des carences nutritionnelles.

La prévention du déficit en vitamine B12 impose une supplémentation orale systématique.

Le remplacement des préparations infantiles par des boissons végétales doit être proscrit chez le nourrisson