Les traitements de substitution sont d’un apport majeur dans la prise en charge du trouble de l’usage des opiacés. La cure à la méthadone est le modèle de prise en charge le plus instructif. En agissant spécifiquement sur l’appétence en opiacés, elle permet une compréhension de ce trouble ainsi que de l’intérêt et des limites des traitements substitutifs.
La notion de traitement de substitution aux opiacés apparaît pour la première fois avec les travaux de Dole et Nyswander en 1965.1 La méthadone est alors largement prescrite aux États-Unis avec une réduction significative de la morbidité et de la carcéralité chez les personnes traitées. Devant les premiers échecs (alcoolisations, violence, overdose…), nos collègues américains déterminent les facteurs de succès des cures : posologies adéquates, soutien psycho­­social.2
La méthadone est introduite en France par Deniker et Lôo en 1972.3 L’explosion du sida dans les années 1980, la pression des associations de patients et des médecins amenèrent les autorités sanitaires à imposer au dispositif de soins spécialisés en toxicomanie une politique de réduction des risques et un accès très large aux traitements de substitution aux opiacés.4 On estime à ce jour en France que près de 45 000 sujets sont traités par méthadone5 dans 375 centres spécialisés (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie [CSAPA]).
La pratique clinique de la méthadone, le composé le plus actif sur l’appétence opiacée, permet une meilleure compréhension des aspects cliniques du trouble de l’usage des opiacés et des limites et contraintes nécessaires à sa prise en charge.

Quelle action et quel objectif ?6

La méthadone est un agoniste morphinique pur de synthèse dont les effets sont bloqués par la naloxone. Elle se caractérise par :
– une longue demi-vie d’action, de l’ordre du nycthémère ; cette cinétique permet d’éviter les effets de pic plasmatique opiacé, source d’euphorie ;
– une fixation sur moins de sites cérébraux que les opiacés naturels.
Cliniquement, la méthadone traite :
– le syndrome de sevrage aux opiacés à des doses de l’ordre de 30 mg/j ;
– l’appétence opiacée, ou craving, à des doses plus élevées de l’ordre de 60 à 80 mg/j ;
– l’effet euphorisant de l’héroïne par un effet de blocage compétitif des récepteurs µ.
Prise régulièrement, elle n’a pas d’effet euphorisant : le sujet sous méthadone se présente comme sevré. Il est apaisé par rapport aux substances, n’a plus cette humeur dysphorique induite par la toxicomanie. Ses performances cognitives sont peu altérées.7
L’objectif du traitement par la méthadone est le maintien dans les soins, en incluant le patient dans un cadre de soins cohérent. Il permet une réelle prise en charge de la toxico­manie, et en particulier des troubles de la personnalité et des pathologies somatiques associés, voire des troubles mentaux sous-jacents.

Cure à la méthadone

Évaluation initiale globale de la dépendance

Avant toute initiation, il est indispensable d’établir le diagnostic de trouble de l’usage des opiacés et d’évaluer ses conséquences médicales, psychopathologiques et sociales ainsi que les co-addictions. Ce temps d’évaluation permet également de clarifier les objectifs du traitement avec le patient et de l’informer sur les modalités de prescription et de suivi.
Les caractéristiques de ce traitement sont résumées dans le tableau ci dessous.

Trépied pharmacologique de la cure : posologie, contrôle de la dispensation, suivi urinaire

La posologie doit être à dose efficace, 60 à 80 mg/j, voire plus. Cette posologie est potentiellement létale (surdosage et troubles de la vigilance) et est obtenue par une titration avec des paliers de 5 à 10 mg tous les 2 à 3 jours. Cette dose est stable tout au long de la cure en dehors des périodes de rechute. La prise est de principe unique, le matin. La méthadone est catabolisée par le cytochrome 3D4, sa pharmacocinétique se caractérise par de fortes variabilités individuelles avec des demi-vies d’élimination de 12 à 40 heures et, selon son action sur le cytochrome, un risque élevé d’interactions médicamenteuses.8
Le contrôle de la délivrance est essentiel, avec une prise régulière en centre spécialisé, quotidienne puis plus espacée selon l’évolution du sujet. C’est un facteur essentiel du succès de la cure qui permet d’éviter des fluctuations de dose avec de possibles effets euphorisants et des toxicomanies secondaires.
Les contrôles urinaires sont aussi un facteur essentiel de la réussite des cures.2 Ils permettent en début de cure d’éviter les doublons de prise en charge, et au cours du suivi d’avoir un reflet des consommations des patients. Ils doivent garder leur caractère d’examens complémentaires et leur positivité est un signe d’appel en cas de rechute.

Précautions d’emploi

L’allongement de l’espace QTc sur l’électrocardiogramme (ECG) est une complication non exceptionnelle (de 6 à 20 % selon les études).9 Elle interdit l’association à d’autres médicaments allongeant cet espace. En cas de posologie supérieure à 120 mg/j ou d’association à risque, un ECG est obligatoire et doit être pratiqué au pic de la méthadonémie (2 à 4 heures après la prise).
Les décès sous méthadone, seule ou en association (en particulier avec les benzodiazépines et l’alcool), concernent, en 2013, 37 % des 300 morts par surdosage médicamenteux dans le cadre d’abus. Un risque particulier est la perte de la tolérance aux doses thérapeutiques de méthadone chez le sujet sevré ou quasi sevré.
La bronchoconstriction, des crises d’asthme et des apnées du sommeil sont également décrites.
À l’inverse, la grossesse n’est pas une contre-indication et apparaît être une indication privilégiée de ce traitement.
Les risques de détournement et de mésusage existent. L’usage injectable de la méthadone est peu rapporté en France, probablement du fait de la galénique prescrite. Les addictions à la méthadone existent toutefois, avec la recherche de doses de plus en plus élevées ou une association à la cocaïne, l’alcool ou des psycholeptiques.

Importance de la prise en charge médico- psychosociale associée

Les cures de substitution s’étendent sur des années et peuvent évoluer, de façon non systématique, vers la maintenance. L’arrêt ne peut s’envisager que chez les patients stabilisés et motivés, les modalités sont variables. Dans une étude française, 41 % des patients sont toujours sous méthadone 6 ans après l’introduction.10
Le suivi psychologique, ou plutôt une vision psychothérapeutique, est essentiel. Il se fait dans une approche addictologique générale de soutien empathique centré sur la motivation et le maintien de l’abstinence. Les psychothérapies plus structurées sont utiles. La prise en charge sociale favorise la réinsertion et la resocialisation de ces patients souvent précarisés.

Cadre réglementaire

Le cadre réglementaire de prescription et de délivrance de la méthadone (tableau 2) s’explique par le risque d’overdose opiacée possible avec ce produit. La méthadone est classée comme stupéfiant et ses durées de prescription et de délivrance sont limitées.
La primo-prescription est réservée aux médecins exerçant en centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ou en établissement de santé, associée à des contrôles urinaires réguliers. La délivrance peut se faire au centre ou en pharmacie de ville.
La prescription peut être déléguée à un médecin de ville, en accord avec le patient et si celui-ci est capable de gérer son traitement, avec une posologie stabilisée et des dosages urinaires négatifs aux opiacés. Le médecin de ville peut à tout moment réadresser le patient à un service spécialisé pour réévaluation ou mise en place d’un suivi conjoint.

SUIVI PHARMACO- THÉRAPEUTIQUE

La méthadone est un opiacé de synthèse aux propriétés pharmacocinétiques spécifiques qui permettent un traitement de la substitution des pharmacodépendances aux opiacés.
Le clinicien doit connaître ces différentes propriétés, les interactions médicamenteuses et utiliser des outils comme le suivi pharmaco-thérapeutique adapté en collaboration avec le pharmacien, afin de réussir son approche thérapeutique substitutive.
Références
1. Dole V, Nyswander M. A medical treatment for diacetylmorphine (heroin) addiction. A clinical trial with methadone hydrochloride. JAMA 1965;193:645-50.
2. McLellan A, Arndt I, Metzgzer D, Woody GE, O’Brien CP. The effects of psychosocial services in substance abuse treatment. JAMA 1993;269:1953-9.
3. Deniker P, Loo H, Zarifian E, Cuche H. À propos de l’expérience française de méthadone. Encéphale 1975;1:75-91.
4. Lôo H, Laqueille X, Rémi P, Baylé F, Olié JP. Les traitements de substitution des héroïnomanes par la méthadone. Intérêt, limites et pratiques en France. Bull Acad Nat Med 1993;177:1315-25.
5. Brisacier AC, Collin C. Données récentes relatives aux traitements de substitution aux opiacés. Analyse des données de remboursement concernant l’échantillon généraliste des bénéficiaires en 2011. OFDT, ANSM, novembre 2013. www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxabtb.pdf ou https://bit.ly/2CFhsEk
6. Laqueille X. La pratique clinique des traitements de substitution à l’héroïne et les alternatives. Bull Acad Nat Med 2016;200:807-18.
7. Darke S, McDonald S, Kaye S, Torok M. Comparative patterns of cognitive performance amongst opioid maintenance patients, abstinent opioid users and non-opioid users. Drug Alcohol Depend 2012;126:309-15.
8. Vazquez V, Gury C, Laqueille X. Méthadone : de la pharmacocinétique à la pharmacologie clinique. Encéphale 2006;32:478-86.
9. Laqueille X, Richa S, Kerbage H, Scart-Gres C, Berleur MP. Revue des cas d’allongements du QTC et de torsades de pointe chez des patients traités par méthadone. Encéphale 2012;38:58-63.
10. Brisacier AC. Tableau de bord 2019 « Traitements de substitution opiacés ». OFDT, mars 2019. www.ofdt.fr ou https://bit.ly/2FGm9PQ
11. Fédération française d’addictologie, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution ». Recommandations de bonne pratique, 2004. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/2HQINYr

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