Un an après la publication par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français de la charte de la consultation de gynécologie-obstétrique puis de la charte de la salle de naissance, qu’en est-il des relations médecins-patientes ? Le CNGOF a entendu la parole des femmes se plaignant de violences gynécologiques et obstétricales et a réagi pour restaurer la confiance et éviter un potentiel renoncement aux soins gynécologiques.
En octobre 2021, les plaintes pour violences, et même viol, contre un gynécologue renommé ont mis sur le devant de la scène les violences obstétricales et gynécologiques (VOG), selon l’expression des associations de patientes. Cette formu­lation choque beaucoup de nos confrères car, si certains médecins ont probablement manqué de bienveillance, il est difficile de croire que certains ont été intentionnellement violents. Sans pour autant nier le ressenti de certaines femmes, nous préférons donc parler d’absence de bienveillance.
Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a entendu les ressentis de ces femmes et leurs plaintes, et a aussitôt réagi pour essayer de restaurer la confiance entre les médecins et les patientes et éviter que, par crainte, certaines femmes ne renoncent au suivi gynécologique.
Dès octobre 2021, le CNGOF a publié une charte de la consultation de gynécologie-obstétrique en partenariat avec cinq sociétés savantes : la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM), la Société de chirurgie gynécologique et pelvienne (SCGP), la Société française de gynécologie (SFG) et les Collèges nationaux des enseignants de gynécologie médicale (CNEGM) et de gynécologie-obstétrique. Cette charte a été soumise à une association d’usagères, leur demandant, comme à toutes les sociétés cosignataires, une réponse rapide, ce qu’a refusé l’association. Cette charte était destinée à être affichée dans les salles d’attente de tous les gynécologues de France afin que les femmes puissent en prendre connaissance avant d’entrer dans le cabinet du médecin. Nous y rappelions en préambule que les professionnels ont parfaitement conscience de la particularité de la consultation de gynécologie ou d’obstétrique qui touche à l’intimité psychique et physique des femmes, que cette consultation nécessite une écoute, une attitude, un dialogue et un examen physique dans un esprit de bienveillance et de respect mutuel. Et c’est la raison pour laquelle nous proposions à chaque praticien de France d’y adhérer et de l’afficher dans les lieux d’attente, et à chaque femme d’en prendre connaissance avant la consultation.
Nous rappelions, entre autres, que l’examen clinique est précédé d’une explication sur ses objectifs et ses modalités, que le praticien – médecin ou sage-femme – doit conduire la consultation avec bienveillance et respect, en gardant à l’esprit la particularité de cette consultation et les besoins d’écoute et de dialogue. Nous indiquions aussi que l’examen clinique n’est pas sys­tématique : par exemple, il n’est pas conseillé lors de la première consultation d’une jeune femme pour contraception, en l’absence de symptômes. Nous insistions sur le fait que si la femme désire ne pas être examinée, elle est invitée à en faire part en début de consultation, que son accord oral est recueilli avant tout examen clinique et qu’elle peut être assistée par l’accompagnant de son choix. Nous informions également sur le fait que l’examen fournit des renseignements que l’imagerie ne peut pas apporter (état de la vulve, du vagin et du col, mobilité des organes pelviens, contraction des muscles ou cartographie des zones douloureuses et typologie des douleurs, ou encore origine de saignements ou de pertes) ; il permet aussi la pratique de prélèvements.
Cette charte a été très largement diffusée : elle a été envoyée à tous les membres du CNGOF, de la FNCGM et de la SFG, elle a été publiée dans la revue Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie,1 et elle est en accès libre sur internet.
Malgré cette diffusion, il semble que les gynécologues ne l’affichent pas suffisamment, comme en témoigne une enquête réalisée à l’été 2022 par une association d’usagères, EndoFrance, auprès de ses adhérentes ; un questionnaire a été envoyé par mail à 2 576 femmes, lu à 70 % ; 611 réponses ont été reçues, soit un taux de retour de presque 24 % ;2 cinq questions étaient posées :
1. C’est votre première consultation chez un gynécologue pour suspicion ou suivi d’endométriose, vous attendez-vous à être examinée dès la première consultation ?
493 adhérentes ont répondu oui (81 %) et 118 non (19 %).
2. Lors d’une consultation gynécologique dans le cadre d’une endométriose, le médecin devrait vous expliquer la raison et le déroulé de l’examen et recueillir votre consentement préalablement. Pour cela, préféreriez-vous la signature d’un document écrit descriptif attestant votre consentement à l’examen pelvien ou un consentement oral ?
449 personnes ont indiqué préférer donner leur consentement oralement (74 %) et 161 par écrit (26 %).
3. Trouvez-vous trop pénible d’avoir un examen pelvien dans le cadre de l’endométriose ?
229 femmes ont répondu oui (37 %) et 379 non (63 %).
4. Certains médecins affichent une charte de la consultation et de l’examen dans la salle d’attente. En avez-vous déjà vu et/ou lu une ?
105 adhérentes ont répondu oui (17 %) et 505 non (83 %).
5. Pensez-vous utile qu’une telle charte soit mise à votre disposition ?
193 adhérentes ont répondu « Oui, affichée ou diffusée en salle d’attente » (32 %), 113 « Oui, remise le jour de la consultation, via le personnel médical ou paramédical » (18 %) et 268 « Oui, je préfère la recevoir avant la consultation (courrier, messagerie) » (44 %). Seules 36 ont répondu « Non » (6 %).
En clair, la charte est souhaitée par 94 % des femmes, mais seules 17 % l’ont vue !
Comment expliquer ces chiffres ? Soit la charte était affichée mais peu visible, soit les médecins ne la connaissaient pas, soit ils n’ont pas jugé utile de l’afficher. Étant donné la très large diffusion de la charte, l’accessibilité n’est pas un obstacle. Quelles peuvent alors être les raisons pour lesquelles un médecin ne souhaite pas afficher cette charte ? Certains partagent leur salle d’attente avec des praticiens d’autres spécialités, ou craignent de créer des problèmes qui n’existeraient pas dans leur patientèle ; d’autres, enfin, refusent la charte.
Après avoir pris connaissance des résultats de cette enquête, le CNGOF s’est à nouveau mobilisé pour diffuser largement cette charte (dans les congrès médicaux...) et faire comprendre aux médecins que nombre de femmes souhaitent y avoir accès.
En juin 2022, c’est une femme gynécologue, par ailleurs ministre, qui a été accusée de viol par des patientes. Nombre de professionnels ont été choqués de l’assimilation d’un examen médical à un viol, et le Collège a réagi par une tribune et un communiqué de presse dont voici les grandes lignes :
« Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français porte la plus grande attention aux plaintes exprimées par les femmes. Cependant, notre société savante est très inquiète de l’usage actuel du mot viol pour qualifier des examens médicaux, notamment gynécologiques, réalisés sans la moindre intention sexuelle.
Nous appelons les pouvoirs publics à ouvrir une réelle discussion à ce sujet entre magistrats, avocats, représentants des patientes, philosophes et médecins de notre spécialité, mais aussi généralistes, urologues, gastroentérologues, radiologues, chirurgiens, sages-femmes, toutes celles et ceux qui, dans l’intérêt des patientes, pratiquent des examens vaginaux ou rectaux.
La loi qui définit la notion de viol (...) aboutit de plus en plus souvent à ce que les examens médicaux puissent être qualifiés de viol.
Le CNGOF, bien conscient de la particularité de l’examen gynécologique qui touche à l’intimité des femmes, a publié une charte de l’examen gynécologique, insistant sur la bienveillance et le consentement indispensables lors de cet examen (...)
Nous souhaitons expliquer à nouveau aux femmes que l’examen clinique même s’il n’est pas systématique reste essentiel dans certaines pathologies, par exemple l’endométriose ou les fibromes utérins. Nous souhaitons rappeler que la pose d’un spéculum est indispensable pour le dépistage, la prévention ou le traitement de certaines pathologies précancéreuses ou cancéreuses (...)
Nous avons rédigé la charte de l’examen en gynécologie pour essayer de restaurer la confiance des femmes pour éviter que, par crainte, elles ne se prêtent plus aux dépistages du cancer du col de l’utérus et que l’on voit réapparaître des cancers avancés (...) Si les médecins, les sages-femmes, de crainte de se voir traiter de violeurs sur les réseaux sociaux et d’être poursuivis en justice pour viol, renoncent à examiner les femmes, ce sont les femmes qui en paieront les conséquences. Nous plaidons pour que soit restauré un climat de confiance entre les femmes et les gynécologues-obstétriciens.
En conséquence, le CNGOF en appelle au discernement de tous afin que soient désormais bien distingués les actes à caractère sexuel relevant des juridictions pénales et les examens médicaux vaginaux ou rectaux pratiqués dans le cadre d’une prise en charge médicale. »
Le CNGOF a été (partiellement) entendu, puisque le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM ), après concertation avec les différents spécialistes concernés (dont le CNGOF), vient de publier une fiche pratique destinée aux médecins sur l’examen pelvien dans le respect de l’éthique et de la déontologie médicale.4 Celle-ci précise en introduction : « Il apparaît nécessaire à l’institution de rappeler dans cette fiche pratique que la personne a le droit, avant tout examen médical touchant à son intimité, d’être informée des raisons médicales pour lesquelles cet acte est envisagé, de son utilité, et d’y consentir ou non. »
Dans le même temps, la Première ministre a saisi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en juillet 2022, lui demandant une réflexion approfondie sur la notion de consentement dans le cadre des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité. Le CCNE vient de rendre l’avis 142,5 dont voici quelques éléments clés. « Le CCNE rappelle que les examens touchant à l’intimité requièrent une attention redoublée de savoir-être, de précaution et de tact à chaque étape de la consultation. Ils nécessitent une écoute et une considération de ce que les patientes ressentent et expriment, une prise en compte de la pudeur et du besoin d’intimité, et une attention à la douleur ou à l’inconfort que l’examen peut éventuellement occasionner, qu’ils soient exprimés ou non (...)
Le CCNE ne considère pas pertinent le recueil du consentement de la patiente par l’écrit, ni de demander qu’un tiers soit systématiquement présent pendant l’examen. Il insiste en revanche sur le fait que le consentement ne doit plus être tacite ou présumé, mais explicite et différencié pour chaque examen pratiqué durant une consultation (...)
Les soignants sont, dans leur immense majorité, soucieux du bien-être de leurs patient.es. Mais tous les professionnels auditionnés affirment que l’effort de pédagogie requiert du temps dont ils ne disposent pas suffisamment. Les contraintes auxquelles ils font face favorisent la mise en place d’automatismes faisant obstacle à une lecture fine des interactions et parfois des réticences (…).
L’immense majorité des soignants respecte la souveraineté des patient.e.s et met tout en œuvre pour une prise en charge bienveillante et professionnelle.
Deux recommandations spécifiques en ressortent :
– le ministère de la Santé et de la Prévention doit veiller à ce que les modalités organisationnelles du soin permettent aux examens de se dérouler dans de bonnes conditions, notamment en ce qui concerne l’information et la mise en place d’un consentement revisité et adapté ;
– le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et la Conférence des doyens de médecine doivent non seulement tenir davantage compte des enjeux de formation aux humanités et à l’éthique du soin mais aussi les renforcer dans la constitution des programmes d’enseignement de façon systématique. »
Certaines directives de l’avis 142 concernent les praticiens :
« – mettre en place, au sein de la consultation, un espace d’information sur le bien-fondé, le déroulement et les risques éventuels des examens touchant à l’intimité et recueillir le consentement explicite et différencié du patient ou de la patiente. Respecter son éventuel refus ;
– renforcer la vigilance quant à la difficulté à subir des examens touchant à l’intimité pour les femmes victimes de violences sexuelles ;
– améliorer et renforcer les dispositifs permettant aux personnes victimes ou témoins de violences ou de maltraitances par un professionnel de santé de s’adresser à des tiers de confiance de manière confidentielle ;
– prévoir des aménagements spécifiques pour l’accueil en consultation gynécologique des personnes en situation de vulnérabilité (personnes en situation de précarité, de handicap, personnes migrantes, mineurs et jeunes adolescent[e]s, personnes âgées, patients souffrant de détresse psychologique, de troubles psychiques et/ou cognitifs…) ;
– encourager dans la mesure du possible l’intervention de patients dans la formation des professionnels de santé pour aborder les enjeux multiples des examens touchant à l’intimité ;
– systématiser et renforcer la sensibilisation aux humanités, à l’éthique et aux droits des patients dans la formation initiale des soignants ;
– développer des enseignements spécifiques sur la réalisation des examens touchant à la sphère intime dans la formation des soignants ;
– encourager et privilégier la co-construction de recommandations et chartes de bonnes pratiques par les organisations professionnelles et les associations de patients. »
Lors de son dernier congrès national, en 2023, le CNGOF, avec d’autres sociétés savantes et avec la participation de l’association des usagers le CIANE, a initié des recommandations pour la pratique sur l’examen pelvien et la pose de spéculum. Les principales sont résumées dans les figures 1 et 2.
La bientraitance et l’amélioration du ressenti des femmes sont placées au cœur de l’activité du Collège depuis de longs mois, avec des formations à la bientraitance dans le cadre du label CNGOF-Maternys et tout particulièrement depuis l’automne 2021, comme l’attestent nos différentes actions.
Pour restaurer la confiance des femmes, éviter le renoncement aux soins gynécologiques et travailler dans un contexte de respect et de confiance mutuels, on ne peut que recommander à tous les personnels de santé qui pratiquent des examens pelviens d’afficher la charte et de respecter les recommandations. 
Références
1. Belaisch-Allart J. Charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique. Gynecol Obstet Fertil Senol 2022;50:289-90.
2. Candau Y, Collinet P, Huissoud C, Robin G, Belaisch-Allart J. Du bon usage de la charte du CNGOF de la consultation en gynécologie ou en obstétrique. Gynecol Obstet Fertil Senol 2023;51:295-296.
3. CNGOF. Examen pelvien en gynécologie et obstétrique. Recommandations pour la pratique présentées au Congrès Pari(s) Santé Femmes Lille 2023 et qui seront publiées dans la revue Gynecol Obstet Fertil Senol.
4. L’examen pelvien dans le respect de l’éthique et de la déontologie médicale. Fiche pratique du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), mars 2023. https://vu.fr/lrWM
5. Consentement et respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité. Avis 142. Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). https://vu.fr/qryn