Le confinement lié à l’épidémie de Covid-19 a amené les familles à vivre en huis clos pendant plus de 50 jours, exposant des enfants à une situation de danger intrafamilial. En effet, pendant cette période, les appels au 119 ont augmenté : des proches, des amis ou des voisins suspectant des situations de danger chez des enfants, voire les enfants eux-mêmes ont appelé.

La situation exceptionnelle de confinement que nous avons été amenés à vivre en raison de l’épidémie de l’infection par le Sars-CoV-2 a augmenté de façon très significative les sollicitations téléphoniques et par mail pour des situations de mineur en danger, en particulier au 119, numéro du ­Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger.1
C’est la raison pour laquelle il est ­essentiel, lors des consultations médicales menées lors des différentes étapes du déconfinement, de pouvoir évoquer le vécu des enfants et des adolescents lors de ce temps singulier.
Il est également possible que certains enfants ou adolescents évoquent la situation d’amis pour lesquels ils s’inquiètent : les appels au 119 de mineurs inquiets pour des amis vivant des violences intrafamiliales ont également considérablement augmenté. Ce numéro reste un lien précieux pour les enfants et les familles.

Quelques points de vigilance

Le carnet de santé doit être consulté et servira d’outil pour évoquer d’éventuels problèmes médicaux ­intercurrents.
Il est essentiel que le médecin soit prêt à repérer, entendre et accueillir les propos que l’enfant ou l’adolescent lui livrera, à réaliser une évaluation clinique et à transmettre ses éléments d’inquiétude le cas échéant.

Pour les nourrissons non déambulants (qui ne se déplacent pas)

Il est essentiel de repérer, dans le carnet de santé ou lors des entretiens avec la famille ou lors de l’examen somatique, les « lésions sentinelles ».2 Il s’agit de lésions traumatiques (ecchymose, hématome, plaie…) visibles par tous, pour lesquelles aucune explication plausible ne peut être retenue. Elles sont cutanées dans 90 % des cas, principalement situées à l’extrémité céphalique (fig. 1). Il peut s’agir aussi de lésions des muqueuses.
Une lésion de ce type impose un avis hospitalier en urgence pour réaliser un bilan, à la recherche de lésions profondes associées (radiographies du squelette, imagerie crânienne, fond d’œil) et un bilan de coagulation.3
Les pleurs, l’alimentation, la qualité du sommeil sont interrogés. Les courbes de croissance, poids, taille et périmètre crânien sont reconstruites à partir du carnet de santé.

Pour les enfants déambulants (qui se déplacent)

La découverte de nombreuses lésions d’allure traumatique, sans explication plausible, prenant la forme d’un objet « vulnérant » (main, bâton, câble…) [fig. 2 à 5], a fortiori dans des localisations suspectes (v. infra) [fig. 6], doit alerter le praticien et le conduire à demander un avis spécialisé.

Comment aborder le sujet avec les enfants et les adolescents ?

Évoquer lors de la première consultation post-confinement les possibles tensions, voire violences, intrafamiliales (physiques, psychologiques, sexuelles, conjugales ; négligences lourdes) est indispensable. Pour autant, il est important que celui qui n’est pas concerné n’en soit pas ­choqué, et que celui qui est concerné puisse en faire un récit libre, donc que les questions soient ouvertes et non suggestives.
Une bonne approche peut être d’aborder le sujet de manière générale et non intrusive. Il s’agit de montrer par ses questions à l’enfant ou à l’adolescent qu’en tant que professionnel nous connaissons la gravité et la fréquence des violences intrafamiliales. Ainsi, l’enfant ou l’adolescent sait qu’il peut aborder ce sujet avec le médecin, lors de cette consultation ou lors d’une consultation ultérieure, voire avec un autre professionnel.
Par exemple, afin de ne pas être suggestif, une manière d’aborder le sujet peut être, en fonction de l’âge, de formuler les choses de la façon suivante :5
« Il y a des enfants – ou des adolescents – qui m’ont dit que le confinement avait été très difficile pour eux et qu’il y avait eu de la tension et parfois même de la violence dans leur famille » ;
« Je sais qu’il y a beaucoup de familles où le confinement a été très difficile, avec des tensions et même des violences » ;
« Est-ce que tu as entendu parler de ça ? » ou « Qu’est-ce que tu en penses ? » ; « Peut-être que tu connais quelqu’un qui a eu ce genre de problème ? » ;
« Est-ce que c’est quelque chose qui a pu être compliqué pour toi ? » ;
« C’est important d’en parler parce qu’il y a des choses qu’on peut faire pour aider les familles quand c’est ­difficile… » ;
« Ce n’est peut-être pas du tout ton cas, mais en tant que médecin je t’en parle parce que les violences ça fait partie des choses qui peuvent faire qu’on est triste, en colère, et ça peut avoir un impact sur la santé… » ;
« Est-ce que pendant tout ce temps il y a eu des choses qui t’ont fait du ­chagrin, qui t’ont mis en colère ou qui t’ont fait peur ? ».
Il est important de proposer des ­formulations ouvertes :
« Est-ce que tu peux me parler du confinement ? ».
En fonction des réponses ou des orientations :
« Est-ce que tu peux m’en dire plus sur… ? » (par exemple : le sommeil, les activités, l’école…) ;
« Est-ce que tu peux m’en dire plus ou me raconter telle ou telle activité ? ».
Si une question directive est introduite, le faire par « comment » (par exemple : comment se passait le coucher, ou les repas).
Les propos sont notés fidèlement dans le dossier médical de l’enfant.

Examen clinique

Un examen pédiatrique est réalisé sur un enfant déshabillé. La croissance staturo-pondérale est évaluée et rapportée aux courbes de croissance. L’examen cutanéo-muqueux est très attentif (fig. 7) ainsi que l’examen orthopédique. Ces éléments ­cliniques sont rapportés dans le ­dossier médical de l’enfant.

Chez les adolescents

Il est essentiel de tenir compte des demandes d’accès aux soins urgentes des adolescents et de les honorer ­rapidement même si l’adolescent est seul. Les entretiens peuvent être ­menés avec les mêmes questions que celles destinées à l’enfant plus jeune. Il doit bénéficier d’un temps d’entretien seul. Une attention particulière doit être portée sur des actes d’auto- ou hétéro-agressivité (scarifications, colères…) et les prises de risque (fugue, sexualité, consommation ­d’alcool, de cannabis, apparition ou majoration d’addiction…).6

Évaluer, soigner, protéger

Lorsqu’une situation de danger est repérée, le médecin doit l’évaluer sur trois axes indissociables :
– l’évaluation clinique : il est important de noter l’ensemble des lésions et de les renseigner dans le dossier médical du mineur ;
– les soins : quels sont les soins médico-psychologiques nécessaires pour cet enfant et avec quel degré d’urgence ? Le suivi est planifié, et l’orientation vers des partenaires peut être proposée ;
– la protection : il est important de se poser à chaque fois la question de la nécessité de protection et de son degré d’urgence.
Lorsqu’une situation de danger est suspectée, les praticiens de terrain peuvent prendre avis auprès du médecin référent « protection de l’enfance » de leur département, et adresser un écrit (information préoccupante) à la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) de leur dépar­tement. En cas de danger imminent pour l’enfant ou l’adolescent, ou d’infraction pénale pour laquelle des constatations urgentes doivent être faites sans délai, un signalement sera adressé au procureur de la République.
Le médecin peut également demander conseil auprès d’une structure hospitalière pédiatrique spécialisée dans l’accueil des mineurs victimes : unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED), unité hospitalière pédiatrique spécialisée en protection de l’enfance, unité médico-judiciaire, service de pédiatrie…
Pour une mise à l’abri, un avis et une évaluation, le médecin peut adresser l’enfant ou l’adolescent aux urgences pédiatriques ou dans une unité spécialisée en fonction du maillage territorial. 

* Ce texte validé par la SFP, le GPG, la SFSA et l’AFPA, a fait l’objet d’une publication sur le site de la Société française de pédiatrie médico-légale, www.sfpediatrie­medicolegale.fr

 

Remerciements : Claire Morival pour l’illustration mise à disposition de la SFPML ; la maréchale des logis-cheffe Cécile Peronnet, groupement de gendarmerie départementale d’Ille-et-Vilaine, brigade de protection des familles Rennes, pour sa relecture des éléments d’entretien afin qu’ils soient conformes aux préconisations en vigueur dans le cadre du protocole du National Institute of Child Health and Human Development (protocole NICHD) ; l’Association française de pédiatrie ambulatoire, le Groupe de pédiatrie générale, la Société française de pédiatrie et la Société française de santé de l’adolescent pour la validation de ce texte lors de sa diffusion le 13 mai 2020.

Composition du conseil d’administration de la SFPML signataire de ce texte : M. Balençon (Rennes), C. Garnier-Jardin (Caen), M. Lemesle (Nantes), A.-P. Michard-Lenoir (Grenoble), F. Paysant (Grenoble), C. Rambaud (Garches), C. Rey-Salmon (Paris), V. Scolan (Grenoble), B. Tisseron (Orléans), N. Vabres (Nantes).

Références

1. Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger – 119. Bilan relatif à l’activité du 119. Période de confinement du 18 mars au 10 mai 2020. www.allo119.gouv.fr ou https://bit.ly/2Z0ChV7
2. Sheets LK, Leach ME, Koszewski IJ, et al. Sentinel injuries in infants evaluated for child physical abuse. Pediatrics 2013;4:701-7.
3. Harper NS, Feldman KW, Sugar NF, et al. Additional injuries in young infants with concern of abuse and apparently isolated bruises. J Pediatr 2014;165:383-8.
4. Labbé J, Caouette G. Recent skin injuries in normal children. Pediatrics 2001;2:271-6.
5. Cyr M. Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime. 2e édition. Paris : Éditions Dunod, 2019.
6. Société française pour la santé de l’adolescent. Déconfinement et adolescence : recommandations. SFSA, avril 2020. www.sfsa.fr ou https://bit.ly/3dnGWp1

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Résumé

Le 16 mars 2020, l’État français a prononcé la nécessité d’un confinement de la population pour rompre la propagation du Sars-CoV-2. Les familles ont été amenées à vivre en huis clos pendant plus de 50 jours. Les sollicitations au 119 ont augmenté pendant cette période, avec une augmentation du nombre de situations de danger suspectées chez les enfants. Le but de cette mise au point pédiatrique est de mettre à disposition des praticiens de terrain un outil pour pouvoir parler de la situation de confinement avec les enfants et les adolescents. Des éléments cliniques permettant le repérage des situations de danger sont listés par tranche d’âge. Une démarche clinique face ces situations est proposée au regard de la nécessité d’évaluation, de soins et de protection dans ces situations de danger.