L’ émergence progressive de résistances de Plasmodium falciparum aux antipaludiques constitue le principal obstacle pour la lutte antipaludique, avec la résistance des vecteurs aux insecticides.

Acquisition de résistances

Plusieurs facteurs influencent l’acquisition de résistances par P. falciparum.

Type de molécules utilisées en traitement curatif

Il existe deux familles d’antipaludiques : les schizonticides (actifs sur le cycle schizogonique) et les gamétocytocides (moins bien tolérés mais efficaces sur les formes exo-érythrocytaires hépatiques). Dans chaque famille, il existe une ou plusieurs molécules, avec des caractéristiques différentes de mécanisme d’action et d’acquisition de résistance, et de demi-vie.

Schizonticides

La quinine
Il s’agit de la molécule naturelle la plus anciennement connue ; elle a une demi-vie de onze à dix-huit heures, expliquant la quasi-absence de résistance jusqu’à ce jour (uniquement in vitro avec des sensibilités diminuées aux frontières thaïlandaises et en Amazonie).
Les amino-4-quinoléines (chloroquine, pipéraquine)
Contrairement à la quinine, leur demi-vie est très longue (30 à 60 jours pour la chloroquine et 5 semaines pour la pipéraquine) ; cette longue demi-vie entraîne l’exposition des Plasmodium à des concentrations plasmatiques subthérapeutiques ; les premières souches résistantes à la chloroquine sont apparues à la fin des années 1970, environ dix ans après son introduction, à la frontière Thaïlande-Cambodge et en Colombie ; ces souches résistantes, liées à l’accumulation de résistances, se manifestent sous forme de recrudescences après traitement bien conduit ; elles ont ensuite disséminé vers l’Afrique subsaharienne, alors que d’autres foyers sont apparus en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux Philippines puis en Amazonie. La résistance à la pipéraquine est apparue en Chine rapidement après son utilisation en monothérapie dans les années 1970, et elle est désormais uniquement utilisée en bithérapie. Malgré cela, devant l'apparition de résistances aux molécules associées, de nouvelles résistances à la pipéraquine commencent à émerger en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam) avec des échecs de traitement par arténimol-pipéraquine notifiés.
Les amino-alcools (méfloquine, halofantrine, luméfantrine)
La méfloquine a une demi-vie de quatorze à dix-huit jours, et la luméfantrine de trois à cinq jours ; la résistance à la méfloquine reste limitée aux zones frontalières de Thaïlande-Laos-Cambodge-Myanmar.
Les dérivés de l’artémisinine
L’artémisinine est une plante utilisée depuis des siècles en Chine, et ses nombreux dérivés semi-synthétiques sont utilisés en traitement curatif ; leur demi-vie est extrêmement courte (de 30 à 85 minutes). Malgré cela, leur utilisation en monothérapie en Asie du Sud-Est a déjà conduit à l’émergence de souches avec une vitesse de clairance parasitaire diminuée (premier pas vers la résistance ?). Une situation similaire a été notée sur le continent africain depuis 2014 (Rwanda, puis Ouganda). Ces molécules sont désormais uniquement utilisées en bithérapie à l’exception de l’artésunate intraveineux.
Les antifoliniques (proguanil, sulfadoxine, pyriméthamine)
Leur demi-vie est de quatre à cinq jours ; ils sont utilisés uniquement en asso­ciation (atovaquone-proguanil, par exemple) ; l’association sulfadoxine- pyriméthamine a été largement utilisée dans les années 1970, mais des résistances sont apparues après à peine une année.
Les antibiotiques (doxycycline)
Leur demi-vie est de quinze à vingt-cinq heures ; aucune résistance n’a encore été décrite.
Les hydroxynaphtoquinones (atovaquone)
Leur demi-vie est de deux à trois jours, mais l’émergence de résistance est rapide, due à une mutation unique ; elle est donc utilisée uniquement en association (avec le proguanil).

Gamétocytocides

Amino-8-quinoléines (primaquine, tafénoquine)
La primaquine a une demi-­vie de six heures. Cette molécule, qui aurait pu être une solution pour l’éradication des réservoirs humains, ne peut être utilisée en masse en raison de la contre-indication chez les sujets porteurs d’un déficit en G6PD, ce qui concerne jusqu’à 30 % de la population en Afrique subsaharienne et jusqu’à 10 % en Asie.
« Fitness » du parasite résistant
Le Plasmodium résistant a une « fitness » (= capacité réplicative) moindre que celui qui est sensible, l’acquisition de la résistance se faisant en général aux dépens d’une partie de cette « fitness », du moins en l’absence d’antipaludique.
Parasitémie
Une parasitémie élevée augmente la probabilité de mutation du parasite lors de sa multiplication. Et si celle-ci se fait en présence de concentrations plasmatiques d’antipaludiques sub­thérapeutiques, le risque de sélection de mutants résistants augmente.

Immunité de l’hôte

Il est maintenant établi que les zones de transmission instables et faibles sont les zones d’émergence de souches résistantes : dans ces régions, la population a une immunité faible contre le paludisme, conduisant à de fortes parasitémies, induisant des formes symptomatiques plus fréquentes qu’en zone de transmission stable, donc davantage de traitements. Le taux de traitement par infection est ainsi plus élevé (toutes infections confondues, symptomatiques ou asymptomatiques), ce qui augmente le risque de sélection de mutants résistants, d’autant que la probabilité de mutation est plus élevée en raison de la parasitémie plus élevée.

Dissémination des résistances

Une fois que les souches résistantes ont émergé, d’autres facteurs contribuent à leur dissémination. Le vecteur ne semble pas constituer le facteur majeur de dissémination, car son périmètre d’activité dépasse rarement le kilomètre, sauf dans le cas de transport par divers véhicules. L’agent de dissémination principal reste l’humain, d’une part par la longue durée d’infection (en moyenne 200 jours), qui augmente la probabilité de contact avec un traitement antipaludique et de transmission à un autre hôte, et d’autre part par l’importance de ses déplacements.
En addition à la lutte antivectorielle, le contrôle du paludisme implique donc le traitement des infections par des combinaisons de molécules actives. Ce qui a pour effet de limiter l’émergence de résistances car le parasite est éliminé rapidement de l’organisme, diminuant ainsi la durée moyenne d’infection et limitant la transmission des parasites résistants.
La résistance de P. vivax à la chloroquine est différente de celle de P. falciparum. Elle est apparue après trente ans d’utilisation de la chloroquine (versus 10 ans pour P. falciparum), en raison de la nécessité de plusieurs mutations complexes de P. vivax pour acquérir ce caractère résistant. Les gamétocytes de P. vivax sont sensibles à la chloroquine, diminuant la durée de l’infection et, par là, la transmission. Enfin, le système immunitaire semble être plus en mesure de contrôler les infections à P. vivax, conduisant à des parasitémies plus faibles. Mais les infections par des souches résistantes à la chloroquine semblent plus sévères.

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