Les délais de prescription diffèrent selon la nature de l’action en responsabilité envisagée, civile, pénale ou disciplinaire, mais imposent en toute hypothèse la plus longue conservation possible des dossiers médicaux.
Si le médecin est tenu de répondre des fautes qu’il commet dans sa pratique professionnelle, sa responsabilité est toutefois limitée dans le temps. Encadrer l’action du patient dans des délais répond à un but légitime, celui d’assurer la sécurité juridique du responsable en fixant un terme aux actions pouvant le concerner.1
Avant d’envisager précisément ces délais, il convient en préambule de rappeler que le médecin est susceptible d’engager, en cas de manquement avéré dans sa pratique professionnelle, sa responsabilité civile, sa responsabilité pénale et sa responsabilité disciplinaire. La distinction est d’importance, car les délais de prescription diffèrent en fonction du fondement de l’action envisagée par le patient.

Responsabilité civile

C’est la voie naturelle de l’action en responsabilité médicale. La mise en œuvre de la responsabilité civile ou administrative des professionnels et établissements de santé permet au patient d’obtenir réparation du préjudice subi par l’allocation de dommages et intérêts. L’action est portée devant le juge judiciaire ou administratif en fonction du lieu de survenance du dommage, et dispose aujourd’hui d’un fondement légal et unifié prévu à l’article L1142-1 du code de la santé publique.
Jusqu’à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, il existait une différence de traitement importante entre les usagers du service public hospitalier et les patients du secteur privé. En effet, l’action en responsabilité contre un établissement public de santé, portée devant le tribunal administratif, était soumise à une prescription fort brève de 4 ans.2 Pour les dommages subis dans le secteur privé, le délai était en revanche de 30 ou 10 ans (en fonction du fondement contractuel ou délictuel de l’action) pour saisir les juridictions de l’ordre judiciaire.
La loi de 2002 est venue mettre fin à cette différence de traitement injustifiée entre les patients, et les contentieux civils et administratifs sont désormais soumis aux mêmes délais de prescription. Ainsi, l’arti­cle L1142-28 précise aujourd’hui que toute action tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé, à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins, se prescrit par 10 ans à compter de la consolidation du dommage.
L’action du patient est donc limitée dans le temps, et le délai de prescription a comme point de départ la consolidation de son état de santé, qui peut se définir comme « le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent, tel qu’un traitement n’est plus nécessaire, si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ».3
Précisons que le délai de prescription de 10 ans peut être interrompu et/ou suspendu par les causes naturelles de suspension et d’interruption de la prescription.4 Lorsque le patient est un enfant mineur notamment, le délai de prescription est suspendu jusqu’à sa majorité.5 En pratique et dans cette hypothèse particulière, la responsabilité du médecin peut donc être recherchée pendant 28 ans, voire plus si la consolidation est fixée bien après la majorité du patient.

Responsabilité pénale

Outre l’engagement de sa respon­sabilité civile, le médecin peut s’exposer à des sanctions pénales lorsque les faits qui lui sont reprochés constituent une infraction. Il s’agit généralement des cas les plus graves, justifiant l’engagement de poursuites, la finalité étant ici répressive et non indemnitaire.6 Certaines infractions concernent précisément les professionnels de santé et l’activité médicale, par exemple l’exercice illégal de la médecine ou les infractions relatives à la recherche biomédicale, mais le plus souvent il s’agira d’infractions non spécifiques telles que les blessures ou homicides involontaires.
En matière de responsabilité médicale pénale, les délais de prescription étaient jusqu’à récemment de 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits et 1 an pour les contraventions. La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, entrée en vigueur le 1er mars 2017, est venue considérablement allonger les délais de prescription applicables en matière délictuelle et criminelle. Ainsi, aujourd’hui, les crimes se prescrivent par 20 ans (cette qualification demeure toutefois très exceptionnelle en responsabilité médicale) et les délits par 6 ans. Le délai reste fixé à 1 an en matière contraventionnelle. La prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise, ou du jour où l’infraction a été découverte pour les infractions dites occultes ou dissimulées.7
La loi nouvelle est d’application immédiate, ce qui signifie qu’elle s’applique aux prescriptions en cours lors de son entrée en vigueur. Les délits et les crimes déjà prescrits au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, en vertu des délais de prescription de la loi ancienne, ne peuvent en revanche plus être poursuivis.8

Responsabilité disciplinaire

L’activité du médecin, en cas de manquement aux règles de l’art, est susceptible d’engager sa responsabilité disciplinaire lorsqu’une faute déontologique est mise en évidence.
Particularité du contentieux disciplinaire, l’action pouvant viser le professionnel de santé exerçant dans le secteur privé est imprescriptible. Véritable anomalie juridique, cela signifie qu’un médecin libéral peut être poursuivi devant ses pairs tout au long de sa carrière.
Jusqu’à récemment, les médecins fonctionnaires étaient soumis à la même imprescriptibilité, le Conseil d’État rappelant encore en 2014 qu’aucun texte ni aucun principe général du droit n’enfermait l’action disciplinaire à l’égard d’un fonctionnaire dans un délai déterminé.9 Depuis la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, plus aucune action disciplinaire contre un médecin fonctionnaire ne peut être engagée par les organismes habilités10 au-delà d’un délai de 3 ans à compter du jour où l’administration a eu « connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits passibles de sanction ».11 Une uniformisation des règles régissant les secteurs publics et privés serait évidemment souhaitable.12

En pratique, quel impact sur la durée de conservation du dossier médical ?

Le dossier médical constitue évidemment un élément de preuve essentiel en cas de litige, d’où l’importance des règles régissant sa conservation.
Pour rappel, lorsque le patient est pris en charge dans un établissement de santé, public ou privé, le délai de conservation du dossier médical est légalement fixé à 20 ans, à compter de la date du dernier séjour ou de la dernière consultation externe du patient.13 Si le patient est mineur et que le délai de 20 ans expire avant son 28anniversaire, il doit être prorogé au moins jusqu’à cette date. Par ailleurs, lorsqu’un patient décède moins de 10 ans après son dernier passage dans l'établissement, le dossier doit être conservé pendant 10 ans à compter du décès. Enfin, s’agissant spécifiquement des actes transfusionnels, ceux-ci doivent être conservés pendant un délai de 30 ans.
Lorsque le patient est pris en charge en cabinet libéral, aucun délai n’est prévu par les textes. Le code de déontologie rappelle simplement que la conservation des données s’effectue sous la responsabilité du médecin,14 et le Conseil de l’Ordre invite fort logiquement les praticiens libéraux à s’aligner sur les délais prévus par le législateur pour les établissements de santé.15
En toute hypothèse, précisons que les délais fixés par les textes ne sont que des délais minimaux, chaque établissement et chaque praticien étant libres de fixer des durées de conservation plus longues, ce qui est en réalité vivement conseillé.
En effet, le délai de conservation du dossier médical est déconnecté du délai de prescription de l’action en responsabilité civile, tant s’agissant des durées que des points de départ. En pratique, un litige peut tout à fait se révéler des années après la prise en charge du patient, la consolidation intervenir tardivement, et donc une action en responsabilité civile demeurer possible au-delà du délai de conservation prévu par les textes. Au surplus, il est utile de préciser que les règles de prescription issues de la loi du 4 mars 2002 ne s’appliquent qu’aux actes de soins postérieurs au 5 septembre 2001, date d’entrée en vigueur rétroactive de la loi. Ce qui signifie qu’un praticien libéral peut toujours, à l’heure actuelle, voir sa responsabilité civile recherchée dans un délai de 30 ans pour des faits commis avant l’entrée en vigueur du nouveau texte.
Quant à l’action disciplinaire, nous avons vu qu’elle n’était enfermée dans aucun délai de prescription pour les médecins libéraux.
Eu égard à tous ces éléments, il apparaît donc utile de proroger autant que possible les délais fixés par les textes, en adaptant les politiques de conservation à la nature de la prise en char­ge, au type de pathologie concernée et aux contentieux potentiels pouvant en découler.
L’informatisation des dossiers mé­dicaux n’a pas d’incidence sur ces délais de conservation, qui restent les mêmes quel que soit le support d’archivage. Seule exception pour le « dossier médical partagé » qui est un dossier médical numérisé non obligatoire, créé à l’initiative du patient et géré par l’Assurance maladie, dont les données restent conservées dix ans après sa clôture.16 
Encadre

Et le médecin retraité ?

Le praticien qui part en retraite va, dans la majorité des cas, résilier son contrat d’assurance. Toutefois et conformément aux règles de prescription en vigueur, sa responsabilité civile est susceptible d’être recherchée pendant 10 ans après la consolidation du dommage, soit possiblement bien après sa cessation d’activité. Par le mécanisme dit de la garantie subséquente, le praticien demeure couvert au minimum 10 ans après sa cessation d’activité par le dernier contrat d’assurance en date.1 À l’expiration de cette garantie subséquente, un fonds de garantie alimenté par une contribution de tous les professionnels de santé permettra l’indemnisation des victimes, sans possibilité de recours contre le médecin responsable.2 Attention toutefois, la garantie subséquente ne couvre pas les dommages susceptibles d’être provoqués par un médecin après son départ en retraite. Le Conseil national de l’Ordre des médecins conseille donc fortement aux praticiens retraités, qui continuent à prescrire, de conserver une assurance de responsabilité professionnelle.

Le médecin à la retraite peut tout à fait être poursuivi devant la juridiction disciplinaire, dès lors qu’il reste inscrit au tableau de l’Ordre des médecins. Cela peut concerner des actes et soins pratiqués lorsqu’il était en activité, mais également des actes postérieurs à son départ en retraite, puisqu’il est habilité à prescrire pour lui et ses proches et/ou à en être le médecin traitant. La sanction disciplinaire doit évidemment être adaptée à la situation particulière du médecin retraité. Il a ainsi pu être jugé qu’une interdiction temporaire d’exercice n’avait pas de sens après un départ en retraite et qu’une radiation était donc préférable.3

1. Article L 251-2 alinéa 5 du code des assurances.
2. Article L. 426-1 du code des assurances. Seules sont concernées par le mécanisme les réclamations mettant en jeu un contrat d’assurance conclu, renouvelé ou modifié à compter du 1er janvier 2012.
3. CDPI d’Île-de-France, n° C.2015-4068, 3 décembre 2015.
Références
1. Voir sur ce point CEDH Stubbings et al. Royaume-Uni, 22 octobre 1996 : 22083/93 et 22095/93.
2. Courant à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics.
3. Voir le rapport Dintilhac p. 29 ; Y. Lambert-Faivre S. Porschy Simon, Droit du dommage corporel, Systèmes d’indemnisation, 8e éd., Dalloz, 2016, p. 109. Voir également sur la notion de consolidation : M. Leroy, J.-D. Leroy, F. Bibal, L’évaluation du préjudice corporel, 20e édition Lexisnexis : p. 31 sq.
4. Articles 2233 sq., 2240 sq. du code civil ; articles 2 sq. de la loi du 31 décembre 1968.
5. Article 2235 du code civil. Attention toutefois devant le juge administratif, lorsqu’est en jeu la responsabilité d’un hôpital public, la minorité de la victime n’est pas une cause de suspension de la prescription. Voir l’avis du Conseil d’État du 11 juin 2003 n° 253465 et décision du Conseil constitutionnel n° 2012-256 QPC du 18 juin 2012.
6. Sur le caractère encore très résiduel de la responsabilité pénale en matière médicale : J.-B. Thierry, La responsabilité pénale des établissements de santé, AJ pénal 2012 : p. 376.
7. Sur la qualification du délit de tromperie dans l’affaire de l’hormone de croissance et le point de départ de la prescription : Cass. crim., 7 juillet 2005, n° 05-81119.
8. Sur l’application de la loi dans le temps : circulaire du 28 février 2017 présentant les dispositions de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.
9. CE, 12 mars 2014, foyer Louis-Philibert ; n° 367260.
10. Article L.4124-2 du code de la santé publique : le patient ne peut pas porter plainte directement devant l’Ordre contre un médecin hospitalier.
11. Article 19 du statut général de la fonction publique.
12. Cette problématique a notamment fait l’objet d’une question au gouvernement en 2018 insistant sur la nécessité d’une réforme législative ; question écrite n° 03595 publiée dans le JO Sénat du 1er mars 2018, p. 933.
13. Décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006, article R1112-7 du code de la santé publique.
14. Article R4127-45 du code de la santé publique.
15. CNOM, mars 2017. Tenue, conservation et archivage des dossiers médicaux.
16. Article R1111-34 du code de la santé publique.

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Résumé

Le médecin qui commet une faute dans l’exercice de son activité est susceptible de voir sa responsabilité engagée plusieurs années après la prise en charge de son patient. Si les responsabilités civiles et pénales sont encadrées par des délais de prescription, l’action disciplinaire pouvant viser un professionnel de santé libéral est quant à elle imprescriptible. La possibilité d’un contentieux plusieurs années après le fait dommageable impose donc aux professionnels de santé d’adapter au mieux leurs politiques de conservation des dossiers médicaux, lesquels constituent un moyen de preuve central en cas de litige.