La loi du 4 mars 2002 portant sur les droits du malade et la qualité du système de santé a été le fondement majeur de cette évolution. Ce texte a été ensuite modifié ou adapté à de nombreuses reprises.
Les récentes évolutions sont les suivantes : un développement constant des mécanismes de conciliation, la faute désormais seul fondement de la responsabilité des acteurs de santé, l’installation de la solidarité nationale, la mise en place de l’action de groupe, l’émergence d’un phénomène de dépénalisation du contentieux médical.
Le développement constant de mécanismes de conciliation
Les établissements et les professionnels de santé ont adapté leurs pratiques à la croissance des réclamations adressées par les patients ou leurs proches. La plupart des établissements de santé disposent d’un service permettant d’assurer la réponse à ces demandes. Au-delà du dialogue entre le médecin traitant et le patient ou ses proches, les directions de la clientèle, services des relations avec les usagers, ou autres structures figurant dans l’organigramme de l’établissement sont les premiers lieux d’information. La plupart des sites internet des établissements proposent une rubrique « Patients », permettant une expression directe vers ces directions ou services spécialisés dans l’accueil, le dialogue et l’information.
Depuis la réforme de 2002, il existait dans chaque établissement de santé, qu’il soit public ou privé, une commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQ-PC). En 2016, cette commission a été remplacée par la commission des usagers (CDU), disposant de plusieurs missions. Elle doit notamment veiller à ce que les patients ou leur famille soient mis à même d’exprimer leurs griefs auprès des responsables de l’établissement. La commission examine au moins une fois par trimestre et chaque fois que nécessaire les réclamations adressées à l’établissement par les usagers. Elle peut rencontrer, si elle le juge utile, l’auteur d’une réclamation. Son fonctionnement inclut la présence de deux médiateurs, l’un médecin et l’autre non-médecin, appelés à rencontrer les auteurs des réclamations, à fournir toutes les explications et à résoudre au mieux les difficultés. Elle peut désormais être présidée par un représentant des usagers.
La confiance et le dialogue devant être établis sur une transparence dans l’activité, la loi du 4 mars 2002 a expressément prévu que soit délivrée, dans un délai bref, à toute personne victime ou s’estimant victime d’un dommage imputable à une activité de prévention de diagnostic ou de soin, une information sur les causes et les circonstances de ce dommage.1
Hors des murs des établissements, la pratique de la conciliation est également largement développée. Les compagnies d’assurances spécialisées dans le risque sanitaire font apparaître chaque année dans leurs rapports annuels quelques chiffres portant sur les transactions amiables réalisés à la suite de sinistres médicaux.*
De son côté, le Défenseur des droits dispose, depuis quelques années, au sein de ses services, d’un pôle santé investi d’une mission d’information, de médiation et de traitement des réclamations, et dont l’activité permet d’apporter une solution à un nombre important de litiges opposant usagers et hôpitaux publics.**
La notion de médiation a récemment été officialisée au sein des hôpitaux publics. Bien que ne concernant pas les litiges pouvant exister entre des professionnels et des personnes malades, la démarche mérite néanmoins d’être citée car elle a un même objectif de résoudre à l’amiable les conflits liés à la vie des établissements. Le but est de tenter de trouver une solution à un différend entre un ou plusieurs salariés de l’hôpital, opposés entre eux ou à leur hiérarchie, « dès lors que la situation porte une atteinte grave au fonctionnement normal du service ».2 Outre un médiateur national, des médiateurs régionaux ou inter-régionaux sont également prévus.
Allant au-delà, et afin d’éviter le recours à la justice tant pour les personnes ou les familles mécontentes de soins dispensés que pour les professionnels et les institutions de santé, la loi du 4 mars 2002 a par ailleurs créé de nouvelles instances, les commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI). Désormais installées dans chaque région et au nombre de 23 sur le territoire national, elles ont pour mission la conciliation et le règlement amiable des litiges.3
Ces commissions ne peuvent être saisies aux fins de règlement amiable que si le dommage a un certain seuil de gravité. L’instruction du dossier est encadrée en termes de délai. La procédure est gratuite pour le demandeur, y compris la phase d’expertise. Simples commissions administratives, elles rendent des avis, ne liant en rien toute autre instance qui serait saisie. Leur composition est multidisciplinaire. Présidée par un magistrat, elles se composent de représentants des usagers, des assureurs, des professionnels et institutions de santé, et de l’Office d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
La faute, fondement exclusif de toute responsabilité médicale
Désormais, les professionnels de santé, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont pratiqués des actes individuels de prévention, de diagnostic et de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de ces actes qu’en cas de faute.
Ce principe exclut toute décision retenant la responsabilité d’un acteur de santé en l’absence de faute. Il n’en était pas de même précédemment. Par une jurisprudence de principe, quelques hôpitaux publics avaient été condamnés sur la base d’un risque exceptionnel, mais connu, à indemniser un patient victime d’un dommage particulièrement lourd. De telles décisions ne peuvent plus être envisagées, ce qui allège d’autant le risque de mise en cause des professionnels et des institutions de santé. Les CCI, comme les juridictions judiciaires et administratives, sont tenues par le principe.
En responsabilité médicale, toute faute, établie par la victime, permet une réparation si le préjudice est établi. Les décisions récentes les plus intéressantes portent sur l’information du malade, la carence fautive des établissements dans la tenue des dossiers médicaux, la perte de chances, la faute de surveillance en établissement psychiatrique, le partage de responsabilité entre les différents professionnels ou institutions intervenant auprès d’un même patient, ou encore l’évaluation financière des préjudices subis qui atteint maintenant des niveaux considérables.
Quelques domaines d’activité médicale ont néanmoins justifié l’aménagement du principe de la faute, soit en faveur du patient, soit en sa défaveur. Ainsi dans le cas où une infection nosocomiale survenue dans un établissement de santé est à l’origine d’un dommage, la victime bénéficie d’un régime de réparation plus souple. La responsabilité est automatique sauf preuve d’une cause étrangère, sous réserve d’un mécanisme différent de réparation si le dommage est supérieur à un certain seuil. La recherche impliquant la personne humaine, ou encore le défaut d’un produit de santé font également l’objet de dispositions plus favorables pour la victime. À l’inverse, le droit à réparation des parents à l’occasion d’un diagnostic anténatal erroné est limité par les textes.
Installation de la solidarité nationale
La solidarité nationale s’applique avant tout à des accidents survenus en l’absence de faute, à certaines conditions.4 L’accident médical, l’affection d’origine iatrogène ou l’infection nosocomiale doivent être directement imputables à des actes de soins, de diagnostic ou de prévention. Ils ont pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé et de l’évolution prévisible de celui-ci.# Ils doivent avoir un seuil de gravité énoncé selon plusieurs critères alternatifs. L’un d’entre eux, le plus souvent invoqué, est un pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique fixé à 24 %. La jurisprudence admet notamment, au bénéfice de la victime, une réparation fondée de manière cumulée sur la faute d’un acteur de santé, et sur la solidarité nationale.
Par ailleurs, l’Oniam intervient directement, sans qu’il soit besoin de mettre en cause un professionnel ou un établissement de santé et en l’absence de tout seuil de gravité, dans une série d’hypothèses dont la liste n’a cessé de croître depuis 2002##.Seules quelques-unes sont citées ici, étant les plus significatives de la volonté du législateur :
– les dommages résultant d’infections nosocomiales correspondant à un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % ou ayant entraîné un décès sont ainsi de la compétence de l’Office. Celui-ci peut exercer un recours subrogatoire contre le responsable dans la seule hypothèse d’une faute de l’acteur de santé, notamment par manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales ;
– cette solidarité s’applique également aux dommages résultant de contaminations par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le virus de l’hépatite C (VHC), le virus de l’hépatite B, le virus T-lympho-tropique humain causées par une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang ;
– plus récemment, un régime spécifique a été mis en place pour faciliter la réparation de préjudices éventuels liés à la prescription de benfluorex (Mediator). Les victimes sont indemnisées soit par le laboratoire, soit par l’Oniam qui se retourne ensuite vers le laboratoire ;
– enfin a été institué, à compter du 1er juin 2017, un dispositif d’indemnisation pour les victimes de prescription de valproate de sodium (Dépakine) ou de l’un de ses dérivés. La réparation concerne les dommages liés à une exposition au valproate de sodium pendant une grossesse, avant le 31 décembre 2015. L’instruction des demandes est faite par un collège d’experts qui se prononce sur l’imputabilité. Un comité d’indemnisation intervient ensuite pour statuer sur la réparation éventuelle. Là encore, les victimes sont indemnisées par le responsable identifié, ou par l’Oniam qui se retourne ensuite vers ce responsable.
Dans toutes ces hypothèses, l’Office, lorsqu’il fait une offre d’indemnisation, se fonde sur un référentiel. Il en existe deux à ce jour, élaborés il y a quelques années par l’établissement public, le référentiel des victimes d’accidents médicaux et le référentiel des victimes du virus de l’hépatite C d’origine transfusionnelle. Ces « outils de gestion », régulièrement actualisés, ont pour fonction de faire correspondre un montant financier à un dommage établi. Les éléments qui y figurent sont une référence et non une norme. Figurant sur le site de l’Oniam, ils peuvent être consultés par toute personne intéressée et permettent une transparence sur la politique suivie par l’établissement public. Ils sont actuellement fréquemment repris aussi bien dans le cadre assurantiel que par des juridictions.
Création de l’action de groupe
Désormais, une association d’usagers du système de santé agréée peut agir en justice afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par ces usagers placés dans une situation identique ou similaire, et ayant pour cause commune un manquement d’un producteur, ou d’un fournisseur de l’un des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme ou à finalité cosmétique, ou encore d’un prestataire utilisant l’un de ces produits, à leurs obligations légales ou contractuelles.5
Seuls les dommages corporels peuvent être ainsi réparés. Le texte prévoit les conditions d’utilisation de l’action de groupe par les victimes. Notamment le juge saisi statue sur la responsabilité du ou des défendeurs, ainsi que sur le champ du dommage. Il ordonne les mesures de publicité adaptées pour faire connaître sa décision aux personnes éventuellement victimes. Il peut faire précéder sa décision d’une phase de médiation, donnant lieu à une convention d’indemnisation amiable. Ces nouvelles dispositions se sont appliquées à compter du 1er juillet 2016.
À ce jour, quelques actions de groupe ont été engagées devant les juridictions à l’encontre de laboratoires, par des associations d’usagers de produits de santé.
Le constat d’une dépénalisation
Certaines affaires concernent un sinistre que l’on peut qualifier d’individuel. Un accident s’est produit, à la suite d’une prescription, de soins ou d’une intervention chirurgicale. Face à celui qui se prétend victime se présentent un ou quelques acteurs de santé.
La seconde catégorie de dossiers porte sur des risques sériels, dont se plaignent plusieurs victimes, se comptant quelquefois par dizaines ou mêmes par centaines. Depuis une vingtaine d’années, plusieurs risques sériels ont été fortement médiatisés : contaminations par le VIH ou par le VHC à la suite de transfusions, injections d’hormone de croissance pour lutter contre le nanisme suivies de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, sur-irradiation en radiothérapie, implants mammaires PIP, prescription de produits contenant du benfluorex.
L’instruction de ces dossiers, s’étendant toujours sur une très longue période, a montré combien il pouvait être difficile, si ce n’est impossible, en matière médicale, de parvenir, par le biais de la justice pénale, à apaiser la douleur des victimes ou de leur famille. Ainsi, dans l’affaire de l’hormone de croissance, après plus de 20 années d’instruction, le dossier s’est achevé par une relaxe des professionnels mis en cause, ce qui n’a fait qu’accentuer la douleur des proches des victimes décédées.
Dans le même temps s’est mis en place le mécanisme simplifié de règlement amiable des préjudices, tel qu’il a été exposé. Une procédure rapide et gratuite de réparation financière était désormais à la disposition des justiciables, ce qui a incité les professionnels du droit à éviter le plus possible l’engagement de poursuites pénales dans les dossiers individuels.
Dès lors, une nette tendance à la dépénalisation des affaires les plus simples se constate. Le contentieux pénal connaît depuis une dizaine d’années une baisse significative, comme le démontrent les études les plus récentes.6-8
Cette dépénalisation ne concerne pas les risques sériels et les sinistres de grande ampleur pour lesquels de toute évidence une instruction pénale s’impose. Celle-ci est alors conduite par l’un des deux pôles de santé publique mis en place en 2002, composés d’équipes spécialisées d’enquêteurs et de magistrats.7
la prudence reste nécessaire
Le recours aux CCI : une demande croissante
Depuis leur création, les CCI ont reçu 60 863 demandes initiales d’indemnisation, dont 5 457 présentées au cours de l’année 2018 donnant lieu à 4 120 expertises. Le nombre de ces demandes croît chaque année et 31 % des avis sont des avis positifs d’indemnisation (rapport annuel de l’Oniam 2018, www.oniam.fr).
Responsables qu’en cas de faute
Art. L1142-1-I du code de la santé publique : « …Les professionnels de santé… ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».
9445 dossiers liés au benfluorex
Depuis sa mise en place en 2002, le dispositif de l’Oniam a permis d’instruire 75 000 dossiers de demandes d’indemnisation. Depuis 2011, l’Office a été saisi de 9 445 dossiers liés au benfluorex (Mediator), donnant lieu à 3 574 avis positifs d’indemnisation (rapport annuel de l’Oniam 2018, www.oniam.fr).
2. Décret n° 2019-897 du 28 août 2019 instituant un médiateur national et des médiateurs régionaux ou interrégionaux pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médicosociaux. http://bit.ly/35SM95P
3. Avram F. Présentation des commissions de conciliation et d’indemnisation. Bull Acad Med 2014;198:703-7.
4. Code de la santé publique. Art L1142-1-II.
5. Code de la santé publique. Art L.1143-1 à L1143-13.
6. Hocquet-Berg S. Place respective et influences réciproques des responsabilités civiles et pénales en droit médical. Responsabilité civile et assurances, mai 2013, n° 5, dossier 26.
7. Carton D. Quelle place pour la victime d’un accident médical devant le juge pénal ? Responsabilité civile et assurances, mai 2013, n° 5, dossier 27.
8. Wester-Ouisse V. Dépénalisation du droit médical. Revue générale de droit médical, hors-série juillet 2008. http://bit.ly/35ODVvD
9. Gand P. Le pôle de santé publique face à un contentieux technique et des délits « sériels ». Bull Acad Med 2014;198:715.*