Juridique. Le développement de la télémédecine modifie sensiblement la relation médecin-malade. Si son apport à beaucoup d’égards ouvre de nouvelles et passionnantes perspectives, il n’est pas dénué de risques que les praticiens doivent connaître pour s’en prémunir.
Si le colloque singulier gouverne la relation médecin-patient depuis l’Antiquité, les notions d’autonomisation et de responsabilisation du patient ont émergé récemment.
La loi Kouchner du 4 mars 2002 entérine les notions d’information et de consentement libre et éclairé de la personne, orientant le médecin vers un rôle de quasi-éducateur, et donnant ainsi au patient un rôle plus actif dans sa prise en charge, alors même que cette place ne lui est pas plus confortable. On parle de décision médicale partagée.
Parallèlement à ce mouvement d’autonomisation, le développement de la médecine à distance, à la faveur des nouvelles technologies, modèle, voire bouleverse la relation médecin- malade. Internet, téléconsultation, deuxième avis « virtuel » : la demande du patient est forte. Celui-ci s’infor- me sur les forums, pratique l’auto- diagnostic et parfois même l’automédication. Il souhaite une prise de rendez-vous directe par Internet (par exemple Doctolib), récupérer ses comptes-rendus d’hospitalisations et d’analyses par le même biais.
L’apparition de sites comme « deuxiemeavis.fr  » contribue également à distendre ce lien, le patient exprimant ses doutes ou recherchant simplement sa confirmation quant à la stratégie thérapeutique mise en œuvre par le médecin, ce dernier se sentant, parfois, mésestimé dans ses compétences.
Le lien médecin-malade s’effrite quelque peu, en tout cas il se modifie. Pour autant, parler de la fin du colloque singulier ne serait pas exact. Ce sont en réalité de nouvelles approches qui font sensiblement évoluer ce lien.
On pense en effet aux personnes qui rencontrent des difficultés pour se déplacer, d’autant plus qu’elles résident dans des « déserts médicaux ». Le cas de la télé-expertise est également parlant puisqu’il permet à un professionnel médical de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux.
Ce « deuxième avis », spécialisé, sollicité par le médecin lui-même, à la faveur de cet appui technologique, peut renforcer la confiance dans la relation de soin puisque le patient se sent pris en charge avec d’autant plus d’intérêt qu’il sait que son cas est abordé par une équipe médicale de manière pluridisciplinaire.

La tentation des nouvelles approches et ses risques

Nouvelles formes de la relation médecin-malade

Le développement des nouvelles technologies a, on le sait, considé- rablement modifié la relation de soin depuis plusieurs années.
Les formes de la relation médecin- malade se sont diversifiées, annonçant, en grande partie, le développement de la télémédecine. Aux termes de l’article R.6316-1 du code de la santé publique, quatre types d’actes sont spécifiquement désignés comme relevant de cette pratique :
– la téléconsultation, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ;
– la télé-expertise, où un professionnel médical sollicite à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux ; par exemple un médecin qui recueille, en temps différé, un deuxième avis d’interprétation d’une image radiologique ;
– la télésurveillance médicale, où un professionnel médical interprète à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient ;
– la téléassistance médicale, où un professionnel assiste à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte.
Si l’attractivité de ce nouveau mode d’exercice de la médecine est grande, les risques qui y sont attachés le sont tout autant.

Difficultés pratiques liées à la consultation à distance


L’absence d’examen clinique

Avec la télémédecine, la notion d’« acte médical » se transforme. Il n’est plus conditionné par la présence physique, dans un même lieu, d’un patient et d’un médecin.
Dans ce cadre, et cela va de soi, la parole du patient, ses déclarations mais également l’écoute du praticien auront d’autant plus d’importance. Cette nouvelle définition de l’acte médical soulève toutefois des interrogations évidentes. Elles touchent à l’absence d’examen clinique, et à la nécessité de s’assurer que les données médicales seront retranscrites fidèlement.
Par ailleurs, cette absence d’examen clinique n’est pas neutre psychologiquement pour le patient, tant on sait l’importance du contact physique lors de la consultation, entre le soignant et le soigné : « [...] la dimension spatiale devrait être prise en compte : les contacts corporels, l’abolition de la distance [...] Tout cela prend un sens exacerbé au moment de la maladie, quand le corps, comme autrefois, devient le centre de la vie. En tenir compte ne conduit-il pas à ce que le malade se reprenne en charge, ne considère plus son corps comme un objet manipulé par les autres et en même temps affectivement abandonné ? ».1

Délivrance et recueil de l’information

La délivrance de l’information a une résonance particulière dans le cas de la télémédecine. C’est le sens de l’article R.6316-2 du code de la santé publique : « Les actes de télémé- decine sont réalisés avec le consentement libre et éclairé de la personne, en application notamment des dispo- sitions des articles L.1111-2 et L.1111-4 du code de la santé publique. »
Toutefois, et c’est en ce sens que la télémédecine se démarque de la médecine habituelle, le patient doit être informé qu’il peut refuser cette forme « virtuelle » de prise en charge, et qu’il a la possibilité de recourir à une prise en charge en « face à face réel ».
Dans le cas d’une téléconsultation, le patient devra connaître l’identité, le lieu d’exercice et la qualification du médecin qui assure la prestation de consultation à distance, ainsi que les conditions de réalisation de cette prestation, sa durée et la façon dont il en fait le bilan.
Dans certains cas, comme la télé- expertise (un praticien qui recueille en temps différé un deuxième avis d’interprétation radiologique, par exemple), il n’y aura pas lieu d’exiger obligatoirement le consentement préalable du patient, ce qui pourrait conduire pour le patient soit à une perte de temps, soit à une perte de chance. L’information écrite ne pourra pas, bien sûr, être obtenue dans l’immédiat, mais elle devra être obtenue a posteriori, et il s’agit là évidemment du risque principal posé par ces nouvelles formes de la relation médecin-malade.

Problématique des honoraires et de leur encadrement (article 35 du code de déontologie)

S’agissant des honoraires, l’article 53 du code de déontologie dispose qu’ils « ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués même s’ils relèvent de la télémédecine ». Ainsi, même dans le cadre de la télémédecine, le simple avis ou conseil dispensé à un patient par téléphone ou par correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire.
Il faut que l’acte médical soit réel- lement effectué (diagnostic, pres- cription, suivi…) : un acte réel, par opposition à un simple avis ou conseil. Des honoraires peuvent donc être demandés pour une consultation effectuée par les moyens de la télémédecine à ces strictes conditions.
Il est regrettable que cette stricte limite au niveau des honoraires paralyse l’évolution, pourtant incontournable, de la télémédecine. L’acte de télémédecine induit nécessairement un risque en termes de responsabilité, constitue une réelle prestation médicale, et il peut paraître inéquitable qu’il ne reçoive pas sa contrepartie financière.

Conservation et transmission des données médicales

Les praticiens et professionnels techniques, intégrés dans le système de télémédecine, doivent veiller à la préservation des informations auxquels ils ont accès, dans le respect du secret médical. Le Conseil de l’Ordre des médecins exige ainsi que chaque contrat de télémédecine mentionne que le secret médical doit être préservé, et qu’en cas de violation, chacun doit savoir qu’il s’expose à des peines répressives.
Mais, parallèlement, la multiplication des lieux de stockage des données personnelles ne simplifie pas la tâche et constitue un risque de déperdition des informations, qu’il ne faut pas négliger. C’est dans cet esprit que le Conseil de l’Ordre a rappelé le peu de latitude dont disposent le praticien et les opérateurs techniques pour héberger leurs données : « Tout hébergement de données de santé effectué par un réseau de télémédecine ne peut être réalisé que par un hébergeur de données de santé agréé par le ministère de la Santé ».2

Un encadrement mesuré par le Conseil de l’Ordre

L’ouverture du site internet « deuxiemeavis.fr » au mois de décembre 2015 a suscité des réactions vives, notamment du Conseil national de l’Ordre des médecins.
L’encadrement est pour l’instant assez flou, mais celui-ci a déjà exprimé son inquiétude sur le « risque de dérive vers du commerce électronique non régulé qui réduirait la pratique médicale à une simple prestation électronique, moyennant rétribution, via des plates-formes du secteur marchand ».3
Certes, le Conseil de l’Ordre souhaite se placer dans une dynamique d’accompagnement des nouvelles voies offertes par la télémédecine en formulant de nouvelles propositions (encadrer déontologiquement les modes de rémunération, supprimer le régime de contractualisation avec l’agence régionale de santé).
Mais il désapprouve en l’état fortement toute initiative de ce type. Il faut donc rester prudent, attendre un positionnement plus précis de l’instance ordinale, ce qui n’est pas simple dans un contexte de développement technologique générant des innovations, lesquelles seront mieux contrôlées par des médecins que par des acteurs économiques extérieurs et spéculatifs.4

Des moyens pour se prémunir de ces risques

On l’a vu, dans un contexte où les nouvelles formes de la relation médecin-malade sont parfois décriées, critiquées, c’est la relation de confiance entre le soigné et le soignant qui est affaiblie. Pourtant, des garanties existent : contractualisation, avis ordinal préalable, exigences de confidentialité… Ces garanties permettent-elles pour autant de restaurer la confiance entre le soignant et le soigné ?

Nécessité d’une contractualisation et d’un avis ordinal préalable

La mise en place de la télémédecine exige la conclusion d’un contrat entre un praticien et un prestataire technique (par exemple un fournisseur internet), ou entre des établissements de soins et un prestataire technique. Ce contrat doit être soumis à l’Ordre.
La problématique assurantielle est également essentielle : normalement, l’assurance de responsabilité civile professionnelle couvre les actes de la télémédecine. L’assureur pourra rédiger un avenant au contrat d’assurance, précisant les conditions d’exercice de la télémédecine.

Nécessité d’une transmission exhaustive des éléments du dossier médical

Le Conseil national de l’Ordre des médecins recommande que tous les éléments objectifs en possession du médecin de proximité soient transmis, après information et consentement du patient, au médecin sollicité. C’est le sens de l’article R.6316-4 du code de la santé publique. Ce n’est d’ailleurs qu’à la faveur d’une transmission exhaustive du dossier médical que le médecin doit pouvoir préserver son indépendance.
On sait notamment que le Conseil de l’Ordre estime qu’un médecin doit pouvoir librement se récuser du processus de télémédecine, notamment lorsque son indépendance professionnelle ne lui paraît pas garantie. En cas de qualité médiocre des informations qui lui sont communiquées, le mettant dans l’impossibilité de les analyser, le médecin pourra, de façon argumentée, renoncer à sa mission.
Dans cette hypothèse, il devra en informer le médecin prescripteur, ou le médecin de proximité, et s’assurer que cette information a bien été reçue.
De même, le médecin devra être attentif à préserver sa responsabilité, en rappelant que l’avis qu’il donne par la télémédecine est fondé sur les documents qui lui ont été transmis.

Conservation des données médicales et consultation de la CNIL

Une avancée supplémentaire a été rendue possible par le décret du 9 octobre 2015, lequel autorise le traitement de données à caractère personnel pour certaines expérimentations d’actes de télémédecine (par exemple, des patients pris en charge en médecine de ville et en structures médico-sociales).5
Ce texte instaure une autorisation unique (n° AU-037) qui simplifie les démarches des médecins auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Il permet également la facturation à distance des actes de télémédecine.
Références
1. Loux F. Traditions et soins d’aujourd’hui. Paris : Inter Éditions, 1997.
2. Conseil national de l’Ordre des médecins. Vade-mecum Télémédecine. Vade-mecum, 11 septembre 2014. https://www.conseil-national.medecin.fr/node/1504
3. Conseil national de l’Ordre des médecins. L’Ordre des médecins lance une mission pour examiner la conformité de nouvelles prestations médicales relevant de « l’ubérisation de la santé ». Communiqué de presse, 18 décembre 2015.
4. Conseil national de l’Ordre des médecins. Télémédecine et autres prestations médicales électroniques. Rapport de mission, février 2016. https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/uberisation_de_la_sante.pdf
5. Conseil national de l’Ordre des médecins. La santé dans la société de l’information et de la communication. Communiqué de presse, 16 février 2016.
6. Devillier N. Nouveau départ pour les expérimentations en télémédecine. Paris : the conversation.com, 22 octobre 2015. http://theconversation.com/nouveau-depart-pour-les-experimentations-en-telemedecine-49481

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Résumé

La médecine n’échappe pas plus qu’aucune autre activité aux bouleversements induits par le développement des nouvelles technologies d’information. Mais ce n’est pas, précisément, une activité comme une autre. Par la proximité qu’elle suppose entre le soignant et le soigné, l’intimité, le secret même. Proximité qui est la condition de la confiance sans laquelle n’existe pas le fameux colloque singulier unissant le patient à son médecin. Or la télémédecine propose, au contraire exactement, l’éloignement et la diffusion. Comment alors concilier cet éloignement avec les impératifs traditionnels de la relation thérapeutique ? Avec le corpus protecteur des règles de la déontologie du médecin ? Avec l’institution du secret, tellement opposé à la culture du flux informatif ? Car si ces moyens modernes peuvent indiscutablement contribuer à l’amélioration de la qualité des soins, ils ne sont pas sans risque. Ni pour le patient ni pour le médecin.