Une étude publiée le 18 octobre 2023 dans la revue Environmental Health Perspectives1 compare l’environnement du lieu de résidence de 3 711 cas pédiatriques de leucémies aiguës diagnostiquées en France entre 2006 et 2013 et celui de 40 196 enfants tirés au sort par l’Insee dans une base nationale (groupe témoin de population générale). L’étude distingue les leucémies aiguës selon qu’elles sont lymphoblastiques ou myéloblastiques et fonde sa conclusion principale sur les leucémies lymphoblastiques. La conclusion est : « Nous avons mis en évidence une légère augmentation du risque de leucémie aiguë lymphoblastique chez les enfants vivant dans des zones à forte densité viticole. Cette découverte conforte l’hypothèse selon laquelle l’exposition environnementale aux pesticides pourrait être associée à la leucémie aiguë lymphoblastique chez l’enfant. »
Risques à moins de 1 kilomètre de vignobles
Parmi les enfants atteints d’une leucémie aiguë, les données de l’article montrent qu’il n’y en a pas plus qui habitent à moins de 1 km d’un vignoble que parmi les enfants du groupe témoin. Il y en a même plutôt moins (348/3 711 = 9,4 % versus 4 023/40 196 = 10 %). En ajustant sur l’âge, ce qui est plus précis, et en calculant l’association entre la leucémie aiguë et les deux expositions (résidence à moins de 1 km d’un vignoble et résidence dans une unité urbaine de moins de 100 000 habitants sans aucune culture dans un rayon de 1 km), on trouve un odds ratio de 0,86. Cet odds ratio est une approximation du risque relatif : ceci signifie donc que le risque de leucémie est plus petit chez les enfants résidant à moins de 1 km de vignobles que chez les enfants résidant dans une unité urbaine de moins de 100 000 habitants sans cultures dans un rayon de 1 km. On observe la même chose si on se limite aux leucémies lymphoblastiques (le sous-type le plus fréquent qui représente ici 83 % des leucémies aiguës), et l’odds ratio vaut 0,90.
Donc, sur cette base, il n’y a absolument aucune raison d’alarmer la population.
Par ailleurs, l’exposition de référence (aucune culture dans un rayon de 1 km et unité urbaine de moins de 100 000 habitants) correspond à des populations très petites (1 050 témoins et 103 cas de leucémies dont 85 leucémies aiguës). Si une autre référence avait été choisie, par exemple l’exposition à des cultures sans vignes dans un rayon de 500 mètres (21 544 témoins et 2 016 leucémies aiguës dont 1 696 leucémies lymphoblastiques), des estimations plus précises auraient pu être obtenues.
Risques en fonction de la densité des cultures
Résider à moins de 1 km de vignobles n’est donc pas associé à une augmentation du risque. Les auteurs s’intéressent alors à la densité de vignobles à moins de 1 km de la résidence des enfants. Ils recherchent s’il y a une relation linéaire entre cette densité et le risque de leucémie aiguë lymphoblastique, et trouvent que ce risque augmente de 5 % pour chaque augmentation de 10 % de la densité de vignes dans le rayon de 1 km. Les auteurs considèrent ce résultat global pour acquis malgré les variations très significatives entre régions, allant d’une réduction du risque de 44 % en Auvergne-Rhône-Alpes à une augmentation de 21 % dans les Pays de la Loire pour chaque augmentation de 10 % de la densité de vignes. Le papier ne présente pas la répartition des cas et des contrôles en fonction de la densité de vignes, ni la variation des paramètres en fonction de la densité pour l’ensemble du pays, mais seulement pour la région d’Occitanie.
Ce que les auteurs ne disent pas, c’est qu’avec un risque de leucémie aiguë lymphoblastique un peu plus faible chez les enfants habitant à moins de 1 km de vignobles que dans la population témoin, la moyenne des risques estimés pour les différentes densités de vignes doit logiquement être égale au risque moyen. Les risques pour des densités de vignes faibles sont donc inférieurs au risque moyen. Autrement dit, habiter à proximité de peu de vignes protègerait du risque de leucémie par rapport à habiter loin de tout vignoble, et c’est seulement pour une forte densité que le risque serait légèrement augmenté, ce qui ne paraît pas très logique.
En conclusion, les résultats de cette étude ne sont pas convaincants parce qu’ils ne sont pas cohérents d’une région à l’autre et parce qu’ils ne sont pas logiques. Ils ne justifient pas les informations alarmistes relayées par la plupart des médias.