Les inhibiteurs de Janus kinases (JAK) sont une avancée majeure dans les maladies inflammatoires rhumatologiques. Un risque de perforation gastro-intestinale leur est attribué, mais quelle est son incidence en conditions de « vie réelle », par rapport à d’autres thérapies ciblées ? Pour la première fois, une étude de cohorte nationale, menée par Épiphare, répond à cette question.

En rhumatologie, les inhibiteurs de JAK sont indiqués actuellement dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, du rhumatisme psoriasique, de la spondylarthrite ankylosante et de l’arthrite juvénile idiopathique. Ces traitements ont marqué une avancée importante dans la prise en charge de ces affections car ils sont aussi efficaces que les biothérapies et ont l’avantage d’une prise par voie orale et d’une action plus rapide. Des inquiétudes sur leur profil de tolérance ont néanmoins conduit les autorités sanitaires à émettre certaines restrictions et de nouvelles précautions d’emploi (v. encadré).

Les effets indésirables de cette classe médicamenteuse incluent : un risque accru d’infections, d’événements cardiovasculaires majeurs et de certains cancers.

La perforation gastro-intestinale (PGI) est aussi un événement indésirable, rare mais grave, mentionné dans les RCP. En effet, les anti-JAK peuvent entraver la réparation intestinale après une lésion, car ils inhibent la voie JAK-STAT qui est impliquée dans la signalisation de l’IL6 (cytokine qui joue un rôle dans la réparation intestinale en stimulant la prolifération épithéliale).

Néanmoins, étant donné sa faible fréquence, le nombre de cas constaté dans les essais cliniques est limité et ne permet pas des comparaisons fiables avec les autres médicaments utilisés par les patients atteints de pathologies rhumatismales. Chez ces derniers, des PGI ont été observées, liées à la maladie ou à la prise de médicaments comme les AINS, les glucocorticoïdes ou les traitements de fond ciblés tsDMARD (targeted synthetic disease-modifying antirheumatic drug).

L’objectif de cette étude épidémiologique était donc de comparer, sur des utilisations en vie réelle, l’incidence de la PGI chez les patients recevant un inhibiteur de JAK (tofacitinib, baricitinib, upadacitinib ou filgotinib) et chez ceux recevant de l’adalimumab (anti-TNF) pour différentes affections rhumatismales.

Pas de sur-risque comparé à l’adalimumab

Cette étude de cohorte en population au niveau national a puisé dans le Système national des données de santé. Toutes les personnes atteintes d’une maladie rhumatismale ayant eu leur première dispensation de l’un de ces traitements entre juillet 2017 et décembre 2021 ont été identifiées, et le suivi s’est achevé en mai 2022. Les personnes ayant eu un cancer digestif dans les 2 ans précédant l’inclusion ou une maladie inflammatoire de l’intestin dans les 10 ans précédents ont été exclus.

Les chercheurs ont ainsi inclus 12 335 patients recevant un anti-JAK (âge moyen : 58,2 ans ; 76 % de femmes) et 27 423 patients recevant de l’adalimumab (âge moyen : 47,3 ans ; 58 % de femmes). Dans le groupe anti-JAK, la plupart avaient une arthrite rhumatoïde (85 %), tandis que dans le groupe adalimumab prédominaient les spondylarthrites axiales ou le rhumatisme psoriasique (73 %).

Les doses les plus souvent reçues par les personnes prenant un anti-JAK étaient : 4 mg/j pour le baricitinib, 5 mg 2 fois/j pour le tofacitinib, 15 mg/j pour l’upadacitinib et 200 mg/j pour le filgotinib.

La survenue d’une PGI était le critère d’évaluation principal. L’analyse a pris en compte les facteurs de confusion tels que : âge, sexe, statut socioéconomique, antécédents de PGI, l’ulcère gastroduodénal ou maladie diverticulaire, utilisation d’autres traitements de fond pour les pathologies rhumatismales, de corticoïdes, AINS et IPP, etc.

Résultats : pendant un suivi de 378 jours en moyenne (groupe anti-JAK) et 352 jours en moyenne (groupe adalimumab), 38 et 42 PGI sont survenues respectivement. Les taux d’incidence étaient ainsi de 2,1 pour 1 000 personnes-années (IC à 95 % : 1,5 - 2,8) et de 1,1 pour 1 000 personnes-années (0,8 - 1,5) respectivement.

Les auteurs en ont conclu que les taux de PGI ne différaient pas significativement entre les deux groupes (rapports de risque pondérés : 1,1 ; IC95 % : 0,7 - 1,9, p = 0,65). Les résultats étaient cohérents quel que soit l’anti-JAK ou la maladie rhumatismale, même si certaines analyses de sous-groupes manquaient de puissance. Ils doivent être confirmés par d’autres études observationnelles de grande envergure.

Encadre

Précautions d’emploi avec les anti-JAK

Afin de réduire le risque d’effets secondaires associés aux anti-JAK, l’Agence européenne du médicament a émis plusieurs recommandations :

  • Les inhibiteurs de JAK ne doivent être utilisés qu’en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée chez les patients :
    • âgés de plus de 65 ans ;
    • avec des facteurs de risque d’événements CV majeurs (tels qu’une crise cardiaque ou un AVC) ;
    • avec des facteurs de risque de cancer ;
    • avec un tabagisme (présent ou passé).
  • Chez les patients ayant des facteurs de risque de thrombose, ils doivent être utilisés avec prudence.
  • La posologie doit être réduite pour certains groupes de patients ayant un risque de thromboembolie veineuse, de cancer ou d’événements CV majeurs.

L’EULAR a modifié également sa recommandation concernant les traitements de la polyarthrite rhumatoïde à proposer en cas de réponse inadéquate au méthotrexate. Si, auparavant, biothérapies et inhibiteurs de JAK étaient placés sur une même ligne après échec du méthotrexate, la recommandation propose actuellement l’addition d’une biothérapie au méthotrexate, un inhibiteur de JAK pouvant être considéré mais en tenant compte des facteurs de risque pertinents.

Attention ! Ces recommandations concernent les inhibiteurs de JAK indiqués dans les pathologies inflammatoires mais non ceux utilisés en hématologie pour le traitement de troubles myéloprolifératifs : Jakavi (ruxolitinib) et Inrebic (fédratinib).

Pour en savoir plus : Nobile C. Anti-JAK : de nouvelles précautions d’emploi.  Rev Prat (en ligne) 5 décembre 2022.

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