Quels risques ?
De nombreuses données observationnelles font état d’un risque hémorragique accru – mais variable selon les études (site de l’hémorragie, sévérité…) – chez les patients sous ISRS.
Ces derniers auraient un risque 41 % plus élevé d’hémorragie, quel que soit le site, comparés aux témoins ne prenant pas ces molécules (odds ratio : 1,41 ;IC95 % : 1,27 - 1,57), selon une méta-analyse de 42 études observationnelles.
Les saignements digestifs – les plus fréquemment rapportés dans les études cas-témoins – semblent être les plus courants, avec un sur-risque de 55 % selon cette même méta-analyse. Selon une revue d’études épidémiologiques, la prise d’ISRS serait associée à un doublement du risque de saignements digestifs, et davantage en cas de prise concomitante d’AINS , d'anticoagulants ou d'agents antiplaquettaires (risque deux à quatre fois plus important, selon les études et les associations médicamenteuses). Toutefois, le risque absolu demeurerait faible. Par exemple, pour les hémorragies digestives hautes, le « nombre nécessaire pour nuire » (c’est-à-dire le nombre de personnes qu’il faut traiter pour observer un effet indésirable) était de 3 177 dans une population à faible risque et de 881 dans une population à haut risque, selon une méta-analyse d’études cas-témoins et de cohorte.
D’autres types d’hémorragie (cérébrale, gynécologique, post-opératoire…) sont aussi possibles mais ont été moins étudiés. Le risque d’hémorragie intracrânienne augmenterait de 51 % chez les patients sous ISRS, d’après une méta-analyse d’études épidémiologiques (mais le risque absolu reste faible). Celui d’hémorragies du post-partum a été évalué à + 32 % chez les femmes ayant pris des ISRS durant la grossesse, et d’autant plus s’ils étaient pris dans les 30 jours précédant l’accouchement, ou en cas de césarienne.
Les RCP de ces médicaments, notamment fluvoxamine, fluoxétine, sertraline et paroxétine, mentionnent ces événements en tant qu’effets indésirables (peu fréquents, rares ou de fréquence indéterminée selon la molécule).
Les mécanismes en cause : les ISRS diminuent la sérotonine intraplaquettaire, qui contribue à la vasoconstriction et l’agrégation plaquettaire, affectant ainsi l’efficacité de l’hémostase. Ils augmentent aussi l’acidité gastrique, favorisant les hémorragies digestives, d’autant plus s’ils sont combinés à des AINS.
Que faire en pratique ?
Il n’existe pas de contre-indication absolue à la prescription d’ISRS au regard du seul sur-risque hémorragique en l’état actuel des connaissances – en l’absence notamment d’études prospectives et d’essais randomisés permettant de l’évaluer plus finement.
Toutefois, une évaluation au cas par cas est utile, afin d’adapter le traitement et réduire ainsi le risque de survenue d’une hémorragie chez les patients qui y seraient particulièrement exposés. McFarland et al. (2023) proposent de considérer :
- Des facteurs de très haut risque incitant à la prudence (envisager de retarder la prescription, voire de la suspendre, et dans tous les cas de surveiller étroitement le taux de plaquettes et les paramètres de la coagulation) : antécédents personnels ou familiaux de saignements sévères, d’AVC, cancers (surtout hématologiques, mélanome, carcinome rénal, choriocarcinome), transplantation rénale ou de moelle osseuse, thrombocytopénie, hémophilie ;
- Des facteurs à prendre en compte pour une surveillance accrue : âge > 80 ans, consommation d’alcool, insuffisance rénale ou cardiaque, diabète, BPCO, maladies vasculaires périphériques… ; pour les patients cumulant les facteurs de risque, envisager des antidépresseurs non sérotoninergiques ;
- Des interactions avec les anticoagulants : notamment, l’association entre la warfarine et le citalopram, la fluoxétine ou la paroxétine semble engendrer le plus haut risque hémorragique (c’est le cas aussi avec d’autres antidépresseurs non-ISRS comme la mirtazapine et l’amitriptyline) ; pour ces patients, préférer la venlafaxine, la sertraline ou l’escitalopram.
Il convient d’éviter la prescription inutile d’AINS et de sensibiliser les patients au risque de la prise concomitante de ces médicaments avec les ISRS.
L’association d’un IPP peut être envisagée dans certains cas : nécessité absolue de prise d’AINS (en particulier si doses importantes), patients à risque d’hémorragie (cf. supra), voire en cas de survenue d’une hémorragie digestive si le risque d’arrêter le traitement antidépresseur est supérieur au bénéfice (Bixby et al, 2019). Prudence, toutefois, avec l’association entre citalopram et oméprazole, qui a été liée à un risque accru de survenue d’arrêt cardiaque dans une étude taïwanaise récente.
McFarland D, Merchant D, Khandai A, et al. Selective Serotonin Reuptake Inhibitor (SSRI) Bleeding Risk: Considerations for the Consult-Liaison Psychiatrist. Curr Psychiatr Rep 2023;25:113-24.
Korsia-Meffre S. Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et risque hémorragique identifié : penser aux IPP. Vidal 13 juin 2024.