Le 10 août dernier, le rugbyman Louis Fajfrowski, 21 ans, trouvait la mort dans les vestiaires du stade de son club d’Aurillac (Cantal). Quelques minutes auparavant, il avait subi un plaquage thoracique « appuyé » mais jugé « régulier » lors d’un match amical contre le club de Brive (Corrèze).
« L’examen médico-légal a permis d’éliminer quelques pistes. Mais pas encore de lever le mystère », résumait L’Equipe au lendemain du décès. « Les constatations ne sont pas probantes et ne permettent pas de conclure à la cause du décès, expliquait le procureur de la République d’Aurillac. Des prélèvements ont été effectués sur les organes du défunt afin de procéder à des analyses toxicologiques et anatomopathologiques approfondies. »
Trois mois plus tard, les résultats sont connus. Selon le procureur, ce plaquage a été « responsable d’une commotion cardiaque avec accélération du rythme qui a entraîné son décès. L’enquête recherchant les causes de la mort n’a pas pu démontrer qu’il y avait une quelconque faute imputable à qui que ce soit. C’est un accident malheureux », a-t-il ajouté. Selon lui, « plusieurs facteurs ont conduit au décès », le joueur ayant subi « un traumatisme thoracique précordial, responsable d’une commotion cardiaque létale sur un cœur pathologique ». Pour sa part, Xavier Jouven, cardiologue (Hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP), avait d’emblée évoqué un cas de commotio cordis, un choc brutal au niveau du cœur pouvant induire une fibrillation ventriculaire. Connu dans le baseball, ce phénomène n’était jamais survenu lors d’un match de rugby.
D’emblée, cette affaire a profondément ému la communauté rugbystique française. Elle a aussi, de manière quelque peu paradoxale, mis en lumière les dangereuses dérives dont ce sport est devenu l’objet. Dès le lendemain du décès, dans un éditorial intitulé « La nausée »1, le journal spécialisé Midi Olympique avait vivement regretté qu’il soit « de plus en plus destructeur », mettant « ses propres acteurs en danger à force de collisions à très grande vitesse ».
Plusieurs voix se sont ensuite élevées pour regretter que l’une des stratégies fondatrices du rugby (la recherche de « l’évitement ») disparaisse, au profit de la quête récurrente de « l’affrontement ».
Pour sa part, Jean Chazal, neurochirurgien (CHU de Clermont-Ferrand), alerte depuis plusieurs années sur les dangers que ce sport fait courir aux joueurs. Réponse des responsables de la Fédération française de rugby (FFR) : une série de mesures préventives ont été mises en place ces derniers temps, à commencer par le « protocole commotion » qui impose la sortie du terrain et l’examen médical d’un joueur chez lequel on redoute cette complication. Mais, pour le Pr Chazal, « le problème, c’est que les mesures prises interviennent en aval des commotions. Ces mesures n’agissent pas sur la cause des accidents. La cause, c’est que les joueurs sont surdimensionnés. Quand ils sont blessés, la médecine les répare et on les renvoie au feu ».
Cette évolution commence à être prise très au sérieux dans le championnat de rugby anglais. Selon une étude, le nombre de commotions y a nettement augmenté depuis deux ans (15,8 commotions pour 1 000 heures de jeu en 2015-16 à 20,9 pour 1 000 heures en 2016-17) et ces blessures représentent 22 % des accidents recensés pendant les matchs. Simon Kemp, directeur du service médical de la Fédération anglaise de rugby, résumait ainsi sa position dans The Telegraph : « Pour faire simple, nous devons éviter les contacts tête contre tête, tête contre genou, tête contre hanche. On veut que le plaqueur entre en contact avec le porteur de balle de sa taille à sa ligne d’épaules ».

« Il y a désormais urgence, estime Midi Olympique. Il faut agir pour voir, demain, le rugby changer radicalement dans son approche du jeu, en assumant ses maux actuels et la propre menace qu’il génère pour avoir cédé au tout-physique. »
1. Massicard E. La nausée. Midi Olympique, 13 août 2018.