Une fois les urgences éliminées, il faut distinguer les saignements qui nécessitent un avis gynécologique de ceux pouvant être gérés par le médecin généraliste. Ce dossier pointe les éléments importants à rechercher à l’interrogatoire et à l’examen clinique afin d’orienter les explorations et la conduite à tenir.
Il s’agit d’un motif de consultation fréquent en médecine générale. Les causes étant nombreuses, la prise en charge initiale doit permettre une orientation rapide. Quatre grandes étiologies peuvent être facilement déterminées :
– une affection organique de l’appareil reproductif ;
– un effet secondaire lié aux thérapeutiques, notamment à visée contraceptive (hormones stéroïdes ou dispositif intra-utérin) ;
– une anomalie de l’hémostase, généralement congénitale ;
– un saignement fonctionnel utérin.
L’impact des saignements anormaux tant sur le plan physique que psychologique n’est pas à négliger. Les prendre en charge rapidement et efficacement c’est aussi favoriser une meilleure qualité de vie sociale et sexuelle.

Profils des saignements

Les règles dites « normales » correspondent à un volume moyen de perte sanguine compris entre 30 et 80 mL par cycle. Cette quantité équivaut à l’utilisation d’un tampon ou d’une serviette toutes les 3 heures au maximum. Elles durent typiquement de 2 à 7 jours. Les définitions des termes employés pour caractériser les différents profils de saignements sont résumées dans le tableau 1.
Les ménorragies sont définies par une perte de plus de 80 mL de sang ou des règles importantes pendant plus de 7 jours.
Les métrorragies sont des saignements survenant en dehors des règles, quel que soit leur volume.
Le terme ménométrorragies désigne l’association de saignements anormaux survenant pendant et en dehors des règles. Il est parfois difficile de déterminer le moment exact de ces dernières.
Le spotting désigne de petits saignements souvent brunâtres, de très faible abondance, survenant en dehors des règles.
Enfin, une hémorragie génitale est un saignement extrêmement abondant entraînant des signes cliniques de mauvaise tolérance et imposant une prise en charge urgente.
L’évaluation des pertes sanguines au long cours peut être délicate lors de la première consultation. Certains outils diagnostiques sont utiles pour les quantifier, comme le score de Higham (fig. 1).
La patiente doit reporter quotidiennement, sur un tableau dédié, le nombre de tampons et/ou serviettes hygiéniques utilisés, leur taux d’imprégnation (fig. 1), les épisodes de caillots et de débordement. Selon un consensus international, un score supérieur ou égal à 100 (total calculé sur la période des règles) définit une perte sanguine de plus de 80 mL.

Urgences à éliminer

Trois situations sont à évoquer immédiatement évoquées et prendre en charge en urgence : grossesse extra-utérine ; hémorragie cataclysmique ; infection pelvienne aiguë.
Certains signes cliniques associés aux saignements doivent alerter (encadré 1). En cas de douleurs pelviennes, mauvaise tolérance (hypovolémie, anémie brutale…), syndrome fébrile, la patiente doit être orientée vers les urgences gynécologiques, parfois même accompagnée d’une aide médicalisée (Samu, par exemple).
L’étiologie sous-jacente en cas de choc hémorragique est établie secondairement. De même, une fausse couche spontanée impose une prise en charge spécifique si l’hémorragie est importante.

Interrogatoire

Il précise l’âge de la femme, la date de ses dernières règles normales, la durée des anomalies des saignements, la notion de vie sexuelle, les antécédents (encadré 2). On recherche également la prise d’une contraception et/ou d’un médicament (de façon ponctuelle ou chronique) ayant une influence potentielle sur le cycle ou les règles.
Une grossesse doit toujours être suspectée même si l’anamnèse ne l’évoque pas.

Patiente sans traitement ni contraception

Si la femme n’est pas enceinte, la recherche d’une patho- logie organique reste la priorité. En effet, les causes fonctionnelles sont un diagnostic d’élimination.

Maladies de l’appareil génital

L’examen gynécologique oriente parfois d’emblée le diagnostic s’il retrouve un col pathologique (bourgeonnant par exemple), des leucorrhées malodorantes, un gros utérus ou une masse latéro-utérine.
Cependant, des bilans complémentaires simples sont le plus souvent nécessaires selon le contexte clinique, en particulier un prélèvement vaginal et/ou une échographie pelvienne (idéalement par voie vaginale si la patiente n’est pas vierge). Cette démarche aboutit dans la majorité des cas à un diagnostic : infection pelvienne, utérus fibromateux ou adénomyosique, polype endo-utérin, hypertrophie endométriale, pathologie annexielle (salpingite, tumeur de l’ovaire, de la trompe).
En fonction des résultats de l’examen clinique complété par l’échographie, d’autres explorations (du ressort du spécialiste) peuvent être nécessaires :
– frottis cervical si le col est suspect ; il est parfois différé en cas de saignements qui peuvent en altérer la lecture ;
– biopsie endométriale ;
– ± hystéroscopie, réalisée après arrêt des saignements, pour obtenir une vision complète de la cavité utérine et effectuer éventuellement des prélèvements à visée anatomopathologique ;
– ± échosonographie : l’injection intra-utérine de 3 à 5 mL de sérum physiologique augmente la sensibilité de l’exploration pour les pathologies endocavitaires (polypes, fibrome intra-cavitaire par exemple) en l’absence d’hystéroscopie accessible rapidement ;
– IRM pelvienne : pour analyser les masses annexielles et utérines.
Le tableau 2 résume le profil des saignements selon les différentes pathologies.

Causes générales

Dans certains cas, examen pelvien et bilans complémentaires classiques sont strictement normaux. Des étiologies d’ordre général sont alors évoquées. L’absence de caillots et des saignements provenant d’autres muqueuses (épistaxis, gingivorragies…) doivent faire suspecter une anomalie de la coagulation (encadré 2).
En effet, 90 % des femmes atteintes de coagulo- pathie ont des ménorragies. Certains éléments sont très évocateurs :
– durée des règles supérieure à 7 jours et ménorragies pouvant faire renoncer aux activités habituelles ;
– antécédent de traitements pour anémie ;
– histoire familiale d’anomalie de la coagulation ;
– antécédent de saignement anormal lors d’une extraction dentaire, d’un accouchement, d’une fausse couche ou d’une intervention chirurgicale.
Au moindre doute, il faut faire un bilan biologique incluant NFS, plaquettes, fibrinogène, ferritine, facteur VIII et facteur de Willebrand activité + antigène (encadré 3). En effet, la maladie de Willebrand est la plus fréquente des anomalies de la coagulation entraînant des saignements. Elle concerne environ 1 à 2 % de la population générale et plus de 10 % des femmes ayant des ménorragies.
Plus rarement, des endocrinopathies sont à l’origine d’anomalies du cycle et/ou des règles en rapport avec des dysovulations.
Une dysthyroïdie (hyper- ou hypothyroïde) ou une hyperprolactinémie modérée sont facilement éliminées à l’aide des dosages plasmatiques de TSH et de prolactine. Le syndrome des ovaires polykystiques est la plus fréquente des pathologies endocriniennes associant des troubles du cycle et/ou des règles.
D’autres maladies, rénales, hépatiques ou hématologiques (hémopathies), plus rarement en cause, peuvent être recherchées (encadré 4).

Étiologie fonctionnelle

C’est un diagnostic d’exclusion une fois les causes organiques éliminées. Il s’agit d’un défaut de maturation de l’endomètre lié à un déséquilibre hormonal. Des troubles de l’ovulation induisent un déficit de production de la progestérone. L’endomètre continue de s’épaissir sous l’influence non contrebalancée des estrogènes ; il reste prolifératif, sans évoluer vers un caractère sécrétoire ; il desquame alors de façon totalement anarchique, désordonnée. D’où les irrégularités menstruelles accompagnées ou non de métrorragies et/ou ménorragies.

Patiente prenant une contraception ou un autre traitement

Une grossesse est toujours à écarter chez les femmes sexuellement actives avant tout autre diagnostic.
Toutes les pathologies organiques décrites précédemment (encadré 4) peuvent également exister chez ces patientes. Il faut toujours les exclure avant d’incriminer les thérapeutiques employées.

Contraceptions hormonales

Les saignements anormaux sont fréquents. Certains sont propres au contraceptif, liés à son mode d’action. C’est le cas des contraceptions progestatives pures, par insuffisance de blocage de l’axe gonadotrope ou atrophie endométriale. De même, une contraception combinée très faiblement dosée en estrogènes (contenant 15 ou 20 microgrammes d’éthinylestradiol ; EE) peut faire saigner. Là encore le blocage de l’axe gonadotrope peut être insuffisant en particulier chez les jeunes patientes.
Dans d’autres cas, une mauvaise utilisation de la contraception peut être en cause : oubli d’un comprimé de la plaquette, décalage dans le timing du changement d’un patch ou d’un anneau vaginal, vomissements ou diarrhée profuse dans les heures suivant l’absorption de la pilule.

Dispositifs intra-utérins (DIU)

Les DIU au cuivre entraînent fréquemment des règles plus longues et plus abondantes. La patiente doit être informée de cette possibilité avant l’insertion. En revanche, des métrorragies doit faire rechercher une autre cause. Souvent, de petits saignements, habituellement mêlés de glaire cervicale, sont décrits au moment de l’ovulation.
Les DIU au lévonorgestrel sont, quant à eux, plus volontiers à l’origine d’une aménorrhée ou de règles de faibles durée et abondance mais, chez certaines femmes, ils peuvent entraîner des spottings fréquents par atrophie endométriale.

Anticoagulants et antiagrégants plaquettaires

70 % des femmes traitées ont des saignements anormaux. La recherche d’un surdosage thérapeutique est impérative. Pour les AVK, les mesures d’INR permettent de faire facilement le diagnostic.
Cependant, des ménorragies et/ou métrorragies sont fréquentes même en l’absence de surdosage. Les nouveaux anticoagulants sont aussi source de ménorragies invalidantes. Le changement de thérapeutique (autre molécule ou AVK) résout généralement ces inconvénients.

Interactions médicamenteuses

Certains médicaments inducteurs enzymatiques diminuent les concentrations plasmatiques des contraceptifs hormonaux administrés par voie orale (tableau 3). Il faut les connaître pour prévenir les patientes des risques de saignements gynécologiques anormaux mais surtout de l’inefficacité probable de la contraception durant la durée du traitement. Si la thérapeutique doit être prolongée, une modification de la stratégie contraceptive s’impose.
Un cas très fréquent est celui de la corticothérapie, à l’origine de saignements gynécologiques, que la patiente utilise ou non une contraception. En particulier, les injections de corticoïdes retard sont responsables de métrorragies pendant plusieurs mois.

Prise en charge

Elle dépend de l’étiologie retrouvée (fig. 5). Les causes organiques sont dans la plupart des cas traitées par le spécialiste.

Causes organiques

En cas d’hyperplasie endométriale sans atypie, la prise en charge est médicale : progestatif (DIU au lévonorgestrel ou macroprogestatif associé à l’acide tranexamique en cas de saignement persistant, fer). Si échec, une chirurgie conservatrice (endométrectomie) est possible. En cas d’atypies, le risque est la transformation en adénocarcinome de l’endomètre. Le traitement de référence est donc l’hystérectomie.
Lorsque la femme est jeune et a un désir de grossesse, son dossier est discuté dans une RCP dédiée et la prise en charge doit être spécialisée.
Le traitement des polypes de l’endomètre est chirurgical (résection hystéroscopique) sous anesthésie générale ou rachianesthésie. La mise en place concomitante d’un DIU au lévonorgestrel peut être proposée aux patientes.
Devant une pathologie du myomètre, un traitement n’est à discuter que si le fibrome est symptomatique, selon la localisation, la taille des myomes et le désir de grossesse.
En cas d’adénomyose responsable de dysménorrhées, un DIU au lévonorgestrel, un progestatif à dose antigonadotrope ou un analogue de la GnRH (en 2e intention mais pour une courte durée) semblent être les traitements médicaux les plus efficaces.
Chez les patientes ayant un trouble de l’hémostase (maladie de Willebrand, par exemple), le traitement classique repose sur l’acide tranexamique 3 à 4 g/j pendant les 5 premiers jours des règles, associé ou non à la desmopressine intranasale (1 bouffée par narine les 2 à 3 premiers jours des règles).
En cas de désir de contraception une pilule estropro- gestative peut être proposée, le plus souvent utilisée en continu.

Pathologies fonctionnelles

Dans certains cas, elles peuvent être gérées par le médecin généraliste.
En l’absence de contraception et de tout traitement, un progestatif (type dydrogestérone ou progestérone micronisée), administré au minimum pendant 10 jours, permet une régularisation du cycle et un retour des règles normales. En revanche, si cette situation perdure, l’endomètre peut être trop hypertrophique : une hystéroscopie avec curetage est parfois nécessaire.
Chez les femmes utilisant une contraception hormonale (en dehors de celles de longue durée d’action type implant ou DIU au lévonorgestrel), l’apparition de saignements doit faire rechercher en priorité une erreur de prise ou une interaction médicamenteuse avant de proposer soit un autre type de contraception combinée, soit une stratégie différente.
Attention, on ne peut pas associer un estrogène à un progestatif microdosé (par voie orale, sous-cutanée ou intra-utérine), le risque étant la perte de l’efficacité contraceptive au niveau de la glaire cervicale. Son ajout ne peut se faire qu’en cas de contraception macroprogestative et d’atrophie endométriale ex- pliquant les saignements et en l’absence de contre- indication.
Chez les jeunes patientes prenant une pilule estroprogestative très faiblement dosée, les saignements anormaux sont, après élimination d’une cause organique, en relation avec l’immaturité de l’axe gonadotrope nécessitant un blocage plus important. Une contraception plus fortement dosée (30 mg d’éthinyl- estradiol associé à un progestatif de 2e génération) permet dans la plupart des cas de résoudre le problème.
Les saignements liés au DIU au cuivre peuvent être gérés en prescrivant pendant les règles, soit de l’acide tranexamique (1 à 3 g/j, en l’absence de contre-indication), soit un anti-inflammatoire non stéroïdien type acide méfénamique ou flurbiprofène. D’après de nombreuses études, l’efficacité contraceptive du dispositif n’est pas diminuée. Si les règles sont trop abondantes malgré la prise de ces 2 thérapeutiques, un DIU au lévonorgestrel (adapté à la taille de l’utérus de la patiente) peut être proposé.
Encadre

1. Quand s’inquiéter ?

État de choc hémorragique

– signes : pâleur, malaise, dyspnée, tachycardie, bradycardie, cyanose

– examens : prise de la pression artérielle, ECG

Grossesse extra-utérine

– retard de règles, douleurs pelviennes, palpation abdominale douloureuse

– toucher vaginal, b-hCG, échographie pelvienne en urgence

Infection génitale aiguë

– fièvre, douleurs pelviennes, leucorrhées, masse annexielle, palpation abdominale

– NFS, CRP, prise de température

Encadre

2. Saignements : éléments à recueillir

Symptômes associés

Douleurs pelviennes, abdominales, malaise, vertiges, syncope, nausées, mastodynies, syndrome fébrile, leucorrhées

Histoire des cycles et des règles

– date des dernières règles

– durée habituelle du cycle, régularité

– durée et abondance des règles

Contraception

– type (COP ou CP), en cours ou passée

– dispositif intra-utérin (au cuivre ou hormonal)

Antécédents gynécologiques

Chirurgie et/ou infection gynécologique, infertilité, traitements

Histoire obstétricale

Fausse couche, grossesse extra-utérine ou intra-utérine, accouchements

Anamnèse médicale

Saignements (nez, gencives, etc.), maladie de Willebrand, autres affections connues

Traitement en cours

Anticoagulant, traitements hormonaux, antiagrégants plaquettaires…

Encadre

3. Quel bilan d’hémostase devant des ménorragies

Tests initiaux

– Numération formule sanguine, numération des plaquettes

– Temps de Quick, temps de céphaline activé (TCA)

– Facteur de Willebrand antigène

– Facteur de Willebrand activité (cofacteur de la ristocétine)

– Facteur VIII

– Groupe sanguin

– Temps de saignement ou PFA 100

Tests secondaires

– Agrégation plaquettaire

– Autres facteurs de la coagulation (facteur XI, facteur XIII, temps de lyse des euglobulines…)

– Mesure de la fibrinolyse

Encadre

4. Principales pathologies organiques et fonctionnelles

Causes organiques

• Maladie de l’appareil génital

– Infection

– Pathologie bénigne utérine ou ovarienne (fibrome, polype…)

– Cancer (col, endomètre, ovaires)

• Causes générales

– Troubles de la coagulation

– Pathologies endocriniennes (hypothyroïdie, hyperprolactinémie)

– Maladie hépatique, rénale, hémopathies…

Iatrogénie

– Thérapeutiques hormonales

– Dispositif intra-utérin

– Traitements antidépresseurs

– Corticoïdes, anticoagulants, antiagrégants…

Saignements fonctionnels

Pour en savoir plus
Deligeoroglou E, Karountzos V. Abnormal Uterine Bleeding including coagulopathies and other menstrual disorders. Best Pract Res Clin Obstet Gynaecol 2018;48:51-61.
Higham JM, O’Brien PM, Shaw RW. Assessment of menstrual blood loss using a pictorial chart. Br J Obstet Gynaecol 1990;97:734-9.
Plu-Bureau G, Pichard C, Rakotonarivo L, Gompel A. Métrorragies en dehors des pathologies de la grossesse. EMC (Elsevier Masson) Médecine d’urgence 2011 [25-070-A-20].
Raccah-Tebeka B, Plu-Bureau G. Guide pratique de la contraception. Paris: Elsevier Masson; 2017.
Ray S, Ray A. Non-surgical interventions for treating heavy menstrual bleeding (menorrhagia) in women with bleeding disorders. Cochrane Database Syst Rev 2016;11: CD010338.

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essentiel

La prise en charge des saignements gynécologiques anormaux est relativement simple car bien codifiée.

La première étape consiste à éliminer les urgences à l’aide d’un examen clinique complet et d’explorations complémentaires simples.

L’enquête étiologique doit être rigoureuse pour aboutir à une prise en adaptée.