« Tout homme a le droit de partir. C’est son pays qui doit le persuader de rester. »Amin Maalouf
Les migrations ne feront que croître. Quelle position adopter, conforme à nos valeurs ?
Migrer est dans l’ADN de l’homme, de tout temps, partout : les hommes ont migré, migrent, migreront.
À cette migration structurelle s’oppose la migration conjoncturelle, celle de l’actualité, qui trouble ou irrite trop souvent encore, facteur de méfiance, de rejet, de xénophobie. Les causes en sont multiples : économiques (misère, chômage), politiques (guerres, guérillas, dictatures, tortures), confessionnelles, plus ou moins liées aux précédentes, climatiques (réchauffement planétaire), perturbations telluriques (sismiques) ou océaniques (tsunami), sanitaires ou nutritionnelles, des disettes aux famines et à la carence en eau.
La définition du migrant est complexe : migrant, immigrant, immigré, émigré, émigrant, exilé, déplacé, réfugié, population mobile… En règle, pour beaucoup, un étranger, parfois un envahisseur ! Opposer migrants économiques et migrants politiques, les uns à la recherche d’un travail, les autres de sécurité, de paix, d’asile, est commode administrativement mais artificiel éthiquement ; tous fuyant une situation jugée intolérable ou sans issue. Il n’en reste pas moins que l’approche de ces deux grandes catégories d’immigrés est statutairement différente. Ce qui relie les uns aux autres est la situation douloureuse ou difficile dans laquelle ils se trouvent et qui les incite à quitter leur pays d’origine. « Les gens heureux ne migrent pas. » Pour tous, aux conséquences des violences et/ou de la précarité vécues s’ajoutent les difficultés d’un parcours vers le pays d’accueil, dangereuses, parfois mortelles.
Les migrants dans le monde, c’est plus de 258 millions d’humains, avec 25 millions de réfugiés, soit au total près de 2,5 % de la population mondiale. Ils constituent la troisième ou la quatrième nation de la planète ! Or les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), en 2000, ne traitaient pas de l’immigration. Il a fallu attendre le G20, 15 ans plus tard, pour une première prise de conscience, confirmée en 2016 à l’Organisation des nations unies (ONU) par la déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants, avec deux pactes mondiaux adoptés en décembre 2018 (pacte de Marrakech).

Des migrations

À la mondialisation des flux migratoires on oppose la régionalisation des flux pour l’Europe. Dans toute son histoire (sans remonter aux Huns arrêtés devant Lutèce, ni aux Vikings sur les côtes anglaises et normandes, non plus à la Rome antique poussant ses légions jusqu’en Écosse, au-delà du mur d’Hadrien et dans toute la Gaule, des envahisseurs turcs sous les murs de Vienne et des Almoravides en Espagne jusqu’au champ de bataille de Poitiers), l’Europe a toujours été une terre de conquêtes et de migrations. Les exemples ne manquent pas également de guerres meurtrières et de drames sanitaires (famines ou maladies pestilentielles mortifères) contraignant à faire appel à des populations venues d’ailleurs. Terre d’immigration, l’Europe a été aussi terre d’émigration de ses populations les plus pauvres.

Migrations intra-européennes

Liées souvent aux problèmes économiques, parfois politiques et surtout aux deux guerres mondiales, les migrations de pays européens vers d’autres nations européennes ont été nombreuses : Polonais dans les mines du nord et de l’est en France ou en Allemagne, Italiens fuyant la situation économique désastreuse de la péninsule, migrants espagnols, pour les mêmes raisons ou victimes de la guerre civile, Portugais en quête d’emploi dans une France meurtrie et décimée. Ces migrations ont été suivies d’une intégration facilitée par la volonté des migrants, par une culture commune et par une religion partagée. Elle n’a pas été, pour autant, toujours démunie de rejet au sein de la société « d’accueil » et les qualificatifs méprisants n’ont pas manqué : ritals, portos, polacs…

Migrations extracontinentales

Venues du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) vers la France et de la Turquie vers l’Allemagne, elles ont constitué longtemps la fraction dominante des immigrés économiques assurant, dans le pays d’origine, le retour de sommes importantes,* ressource appréciée des pouvoirs politiques locaux.
À cette immigration s’est jointe, à partir de la décennie 1960, pour la France au moins, une immigration en provenance d’Afrique subsaharienne, plus particulièrement de trois États de confession musulmane majoritaire, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal.
À partir de 1974, à cette immigration d’hommes, travailleurs isolés, est venue se joindre une immigration féminine et infantile, dans le cadre du regroupement familial : immigration légale par opposition à l’immigration illégale (clandestins, « sans-papiers »**) dont le pic a été atteint en 2015 et marquée par les tragédies du parcours maritime (Méditerranée) et, depuis, par une décroissance.

Émigrations extra-européennes

Bien après les migrations liées aux conquêtes guerrières de l’Espagne et du Portugal, à l’origine de la future Amérique latine, les pays européens pauvres ont envoyé beaucoup de leurs fils en Amérique du Sud et en Amérique du Nord, sur le quai de New York, italiens en particulier, pour des raisons économiques. Italiens, Anglais, Allemands et Irlandais ont activement participé à ces grandes migrations de la fin du xixe siècle et des premières décennies du xxe.

Voies d’accès contemporaines en Europe

Elles varient dans leur intensité et leurs sites d’une année ou d’une saison à l’autre mais passent presque toutes par les détroits ou les îles :
– détroit de Gibraltar : territoire britannique entre l’Espagne et la Méditerranée, face au Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ;
– détroit du Pas-de-Calais, entre la France et le Royaume-Uni, franchi au milieu de multiples difficultés à l’aide des camions sous la Manche ou sur de frêles esquifs, marqué par les centres d’accueil de Sangatte (2000-2002), de Grande-Synthe, plus récemment, constitués et détruits et réapparaissant dans un jeu tragique et sans arbitre ;
– détroit de l’Adriatique, entre l’Italie (Bari) et l’Albanie (Dérès) ;
– « marelle insulaire » de la côte libyenne à l’île de Lampedusa, l’île de Malte (où l’on ne fait que transiter), la Sicile et la péninsule italienne, les îles grecques et turques, lieux de regroupements ou de parcages (île de Lesbos…).
Entre toutes ces régions, la mer ! La Manche, l’océan Atlantique, l’Adriatique, la Méditerranée surtout, où depuis 2014, quelque 20 000 personnes ont perdu la vie, noyées. En 2017, 300 000 ont tenté la traversée de la Méditerranée, avec plus de 5 000 morts. Le parcours maritime vers le continent est redoutable : hommes, femmes, enfants embarquant dans des conditions précaires, onéreuses, crapuleuses, sans protection autre que celle des bateaux humanitaires ou des navires de Frontex (v. encadré).
Parvenus à terre, en Italie ou en Espagne,*** le migrant doit poursuivre un périple semé d’embûches climatiques et politiques. Par les Pyrénées, en provenance d’Espagne, voie actuellement la plus fréquentée, ou par Vintimille en provenance d’Italie, les migrants débarquent à Paris où se créent des campements informels autour des gares ou sous le métro aérien, dans des conditions d’« hébergement » indignes et intolérables et dans des conditions d’insalubrité propices à la diffusion d’affections cutanées liées à une absence d’hygiène, individuelle et collective, insupportable pour les migrants eux-mêmes et la communauté voisine.
Les risques encourus par les migrants sont accrus lorsque, désargentés ou craignant les contrôles policiers (sans papiers, sans état civil), ils préfèrent, à la voie ferroviaire, la route des Alpes, avec les risques de la montagne et les dangers du froid, pouvant entraîner une mort anonyme.

Solde migratoire

De nos jours, l’immigration constitue un problème majeur pour l’Union européenne, coupable d’une absence de volonté politique cohérente et suivie de la part des différents États membres, réceptifs pour les uns, hostiles pour les autres.
L’Allemagne est le pays qui a accueilli, en 2016, le plus de personnes sur son territoire, 1 million d’immigrés ; la Grande-Bretagne plus de 500 000, l’Espagne plus de 400 000, la France plus de 350 000. L’Italie a accueilli 300 000 personnes ; avec ses 60,5 millions d’habitants, elle comprend 5 millions d’étrangers, soit 8,3 % de sa population, essentiellement roumains, albanais et marocains.
Mais, sur les 28 États membres (27 après le Brexit), quelques États ont un solde migratoire négatif (plus d’émigrés que d’immigrés) : Pologne, Roumanie, Bulgarie et Croatie, Lituanie, Lettonie et même Portugal sont dans ce cas. On peut ajouter que, parmi les immigrés du Luxembourg, 90 % sont originaires d’un autre État de l’Union européenne.

Déboutés et dublinés

Plus de la moitié des habitants d’Afrique vivent sous le seuil de pauvreté, défini par 1,9 dollar (1,68 euro) par jour. Or l’Europe, avec ses quelque 500 millions d’habitants, c’est 7 % de la population mondiale, 25 % de la richesse internationale, 50 % de la protection sociale. Elle ne peut manquer d’être, au moins provisoirement, attractive : « L’Europe à tout prix », même au prix de la vie !
En 2018, les entrées illégales de migrants dans l’Union européenne ont considérablement décru depuis le pic de 2015 (v. figure).#
L’un des problèmes majeurs est le sort des déboutés du droit d’asile qui ne peuvent rester dans l’Union européenne. Que faire d’eux ? Comment les contraindre à partir dans des circonstances souvent douloureuses et avec des moyens de coercition éthiquement intolérables ou difficiles à appliquer. La coopération des pays d’origine des migrants fait, de surcroît, souvent défaut, et un refoulement forcé est fréquemment suivi d’un retour tenté, parfois réussi.
Parmi eux, les « dublinés » (v. encadré). En 2018, 40 260 adultes et 5 500 mineurs ont été enregistrés comme dublinés. On appelle ainsi les demandeurs d’asile qui font l’objet d’une procédure selon le règlement dit de « Dublin » de 2013 : les personnes qui demandent l’asile sur le territoire français, celles qui, présentes en France, souhaitent solliciter l’asile dans un autre pays européen, celles, enfin, interpellées en situation irrégulière, ne demandant pas l’asile en France mais qui ont déjà été enregistrées dans un autre pays européen et devraient être expulsées vers celui-ci où elles ne veulent pas, en général, résider et où elles seraient complètement isolées. Ces « dublinés » sont en nombre croissant, dans la région parisienne en particulier.
L’absence de politique, concertée et applicable dans le cadre de l’Union européenne, d'avantage même que dans celui de l’espace Schengen, est dénoncée depuis plusieurs décennies, sans qu’aucune mesure ne soit proposée par les États de l’Union, cette carence est source de tensions entre eux ; l’exemple de l’Italie, terre d’asile longtemps ignorée par ses voisins, a provoqué récemment des prises de position de rejet.

En France

En France, à partir de 1974, la politique de regroupement familial a permis l’arrivée de femmes et d’enfants mineurs reçus régulièrement et pris en charge légalement sur le plan scolaire et sanitaire en particulier.
Les conditions qui avaient été mises pour ce regroupement (travail régulier du chef de famille, femme unique, logement reconnu apte à l’accueil d’une famille au nombre précisé) ont été malheureusement rapidement débordées et incontrôlables. La polygamie a compliqué l’hébergement car pouvant entraîner, après la répudiation de l’épouse et son maintien dans les lieux, l’arrivée d’une seconde épouse.
Aux enfants accompagnant les mères primo-arrivantes sont venus s’ajouter ceux nés sur le sol national, français d’emblée et rendant inadéquat l’hébergement initialement prévu.
En dehors d’une immigration féminine légale, majoritaire, d’intégration plus ou moins aisée, souvent sans formation et sans contrôle sanitaire, existent des situations singulières dramatiques concernant surtout les femmes et les enfants :
– les « travailleuses du sexe » et le trafic mafieux autour de celles-ci souvent victimes de proxénètes de même origine sans scrupules, et dont la situation sanitaire laisse à désirer car elles sont clandestines et sans prise en charge ;
– les jeunes filles mineures contraintes à la prostitution pour des raisons financières, échappant là encore au contrôle médical ;
– les jeunes filles mineures renvoyées en « vacances au pays » pour y subir une mutilation génitale (excision), conséquence d’une prescription confessionnelle dévoyée, situation cependant de mieux en mieux contrôlée mais non maîtrisée ;
– les mineurs étrangers isolés constituant un aspect tragique de l’immigration infantile ;
– les mineurs des rues, souvent enfants de famille dépassée, proies de tous les trafiquants ;
– les jeunes majeurs isolés, constituant une catégorie à part, abandonnés à eux-mêmes, victimes ou engendrant de nombreux désordres sanitaires et sécuritaires ;
– les femmes djihadistes et leurs enfants dont le rapatriement est en discussion, réclamés par leur famille (grands-parents).

Rôle des ONG

Globalement, les organisations non gouvernementales (ONG) exercent sur le terrain un travail remarquable, encore que limité, qui devrait compléter harmonieusement l’engagement des pouvoirs publics mais qui, trop souvent, s’opposent à eux ; ceux-ci, mis en cause, se voient accusés des difficultés, entravant l’accueil et l’intégration. Ces critiques sont parfois contre-productives et ne tiennent pas compte des contraintes de l’opinion publique globalement inquiète ou hostile.
Plus récemment, le droit d’assistance aux migrants (le devoir d’assistance) a été dénoncé : porter secours peut valoir, dans la législation française, quatre mois de prison ferme et une amende ! Et certaines ONG (« des » ONG et non « les ») ont été accusées de travailler en liaison avec les passeurs libyens, ouvrant une polémique sur leur complicité, injustifiée aux yeux de beaucoup.
Il est indispensable de rappeler que l’immigration légale est actuellement encore la plus importante et qu’elle s’oppose à l’immigration illégale, des « clandestins » qui obtiennent, pas, peu ou prou, une régularisation avec la délivrance d’une carte de travail ou de séjour pour un an, trois ans, dix ans, sous des conditions rigoureuses.

Santé des migrants

Dans la décennie 1960-1970, les aspects sanitaires de l’immigration étaient faciles à schématiser. On distinguait :
– la pathologie d’apport introduite par l’immigré, liée à l’état sanitaire de son pays, marqué par les maladies inconnues et spectaculaires (ver de Guinée, filariose à Loa loa, bilharzioses…), toutes maladies transmissibles mais non sur le terrain européen. Elles étaient sans danger pour la population, aisément maîtrisées par un traitement spécifique ;
– la pathologie d’acquisition, liée aux conditions de vie, de logement et de nourriture adoptée ou subie en Europe. La tuberculose y tenait une place importante, pulmonaire et disséminante mais aussi osseuse, avec des lésions ou des localisations originales (centrovertébral, claviculaire, sternale…) ;
– la pathologie dite d’adaptation, troubles liés à la précarité et aux difficultés rencontrées dans un mode de vie et un travail pour lesquels les migrants n’étaient pas préparés. Aux troubles du comportement peuvent s’associer des dérives compensatoires (tabagisme, alcoolisme, drogue). À cet ensemble s’ajoutait la plus grande fréquence des accidents du travail relevant d’un manque d’information ou de formation.
Ce schéma de nos jours est, en grande partie, dépassé. Il faut d’abord répondre à un certain nombre de fantasmes et de contre-vérités dans un domaine où les préjugés sani­taires ont la vie dure.

Fantasmes et contre-vérités

Les études sur la santé des migrants menées dans les pays européens ont révélé que la population immigrée avait un meilleur état de santé à son arrivée que souvent les natifs du pays d’accueil. Il s’agit, en effet, d’une population migrante auto-sélectionnée au départ, en bonne santé, active, désirant s’affranchir de la précarité par le travail. Le recours à une population ayant traversé les tranches d’âge dangereuses de l’enfance et de l’adolescence offre au pays d’accueil une main-d’œuvre immédiatement disponible et dont la qualification peut être acquise rapidement par une formation adéquate. Mais l’état de santé des migrants a tendance à se dégrader du fait de la traversée terrestre ou maritime, des violences auxquelles ils sont confrontés en cours de route et des mauvaises qualités d’accueil à l’arrivée illégale sur le territoire de l’Union.
« Les migrants apporteraient des maladies en France » ; il est prouvé que les maladies infectieuses, telles la tuberculose ou certaines infections sexuellement transmissibles sont liées au parcours migratoire et aux conditions d’accueil frappant des sujets vulnérables, et qu’elles restent sans danger pour la population d’accueil.
Les « campements de migrants » ne peuvent être considérés comme des foyers d’épidémie susceptibles de s’étendre à la population environnante.
Les migrants viendraient « profiter de notre système de santé » est également une affirmation fausse. La procédure des étrangers malades reste stable, autour de 6 000 par an. Certes, le droit à une couverture santé est corrélé au titre de séjour, celui-ci faisant défaut peut entraîner une aggravation de la santé dangereuse pour tous. En fait, même en situation illégale, tous sont, partiellement au moins, couverts par l’aide médicale d’État (AME).
Il est aussi inexact d’affirmer que le « migrant coûterait cher à la Sécurité sociale ». Le dispositif AME est en hausse mais ne correspond au total qu’à moins de 0,50 % du budget fixé par le législateur pour la santé (plus de 195 milliards d’euros !). Toutes les enquêtes ont conclu à la nécessité de conserver ce dispositif et même de l’améliorer. C’est un investissement « rentable » que de permettre une intervention précoce dans une situation irrégulière ; et on recommande de faire en sorte que l’instabilité dans laquelle se trouvent nombre d’entre eux soit réparée par l’obtention d’un titre de séjour, d’un logement digne et d’un emploi stable, conditions favorisant une saine intégration.

Situation actuelle

Les migrants ne constituent pas pour autant une population homogène, et leur état de santé est lié aux difficultés rencontrées dans l’accès aux soins, à la prévention et à leur absence d’information sur leurs droits. Les pathologies majeures sont liées actuellement plus à l’exclusion qu’à la migration elle-même.
Parmi les affections recensées, la tuberculose tient encore, en foyers géographiques (Île-de-France, Provence-Côte d’Azur), une place importante. L’incidence de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) n’est pas suffisamment connue au sein de la population originaire d’Afrique subsaharienne. Un effort important doit être développé dans ce sens.
Les accidents de travail demeurent plus graves et plus nombreux chez eux que dans la population native.
Les hépatites B et C, insuffisamment documentées, devraient faire l’objet de recherches systématiques, de même que la drépanocytose et le saturnisme des enfants, aujourd’hui maîtrisables.
La santé mentale constitue une préoccupation croissante, avec une tendance à la somatisation et aux tentatives de suicide chez les plus fragiles à la suite de conflits familiaux ou interculturels ; les maladies psychosomatiques sont fréquentes, provoquant parfois des dépressions lourdes chez des migrants victimes ou non d’un parcours préalable marqué par la guerre et la torture. La prise en charge de ces troubles est délicate et insuffisante. Récemment, la réforme de la procédure de délivrance des titres de séjour pour soins réclamant un avis médical a été confiée à des praticiens de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), opérateurs de l’État depuis sa création après la Seconde Guerre mondiale, un service médical y regroupant médecins, psychiatres, infirmiers chargés du suivi médical et de la prévention. À eux de juger de la gravité d’un dossier pour l’attribution d’un titre de séjour pour soins, permettant actuellement à 32 000 étrangers d’en bénéficier. Les experts psychiatres injustement mis en cause s’en défendent et doivent combattre, en même temps, pour affirmer leur crédibilité, les fraudes qui l’affaibliraient.
Globalement, l’état de santé des migrants est lié à l’accès aux soins en fonction de leurs droits, qui ferait de la France un pays à la pointe de la politique sanitaire à leur égard si les mesures les concernant étaient mieux connues des travailleurs immigrés ou des demandeurs d’asile. Il y a là une carence dans le domaine de l’information, responsable d’un retard à la prise en charge de la maladie dépistée, créant une charge onéreuse pour la société et préjudiciable pour l’individu.

Contraintes et valeurs

Il n’y a pas de solution aisée face aux difficultés migratoires, et l’ouverture des frontières restera une question majeure au cours de ce siècle. Il s’agit incontestablement d’une situation douloureuse et difficile qu’aucune déclaration incantatoire ne peut faire progresser. Face aux drames que vivent les hommes, femmes et enfants contraints à l’exil, quelles qu’en soient les raisons, l’Europe doit adopter une position conforme à ses valeurs, tout en tenant compte des contraintes économiques actuelles et de l’opinion publique fragile, insuffisamment informée et n’ayant pas été confrontée (en dehors du conflit des Balkans), depuis la Seconde Guerre mondiale, aux exodes de ses populations.
En 2050, la population mondiale devrait passer de 7 à 10 milliards d’individus (dont 1 milliard de plus en Afrique). L’Europe, elle, sera en phase de vieillissement démographique, et les besoins en main-d’œuvre augmenteront, en particulier dans le secteur des soins aux personnes âgées. Les migrations ne feront donc que croître.
Une des grandes inégalités reste attachée au pays où l’on naît, pourtant le droit à l’immigration est un droit humain. L’Europe demeure un continent attractif en dépit des conflits violents à ses frontières (Irak, Syrie) et au-delà (Afghanistan). L’envie d’Europe est une réalité quelles que soient les mises en garde rejetant dans la clandestinité une grande partie de l’immigration du travail. Sans doute est-il utile de rappeler l’article 7 du code de déontologie :##
« Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quelles que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. »
« Le droit de quitter un pays, y compris le sien, inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, est enfin entré en application sans pour autant que le droit d’entrée dans un autre pays soit acquis. » (Catherine Wihtol de Wenden)
Les « sans-papiers » sans espoir de régularisation, les déboutés du droit d’asile, les « dublinés » refusant le refoulement vers le premier pays d’accueil constituent un ensemble d’hommes, de femmes et d’enfants en situation de grande précarité.
Avec Jean Jaurès, on peut rappeler que « le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ».
* Dès 2015, les envois de fonds vers les pays en développement ont dépassé 500 milliards de dollars.**. Le nombre des « sans-papiers » en France est estimé autour de 300 000 (source : ministère de l’Intérieur).***. Les arrivées en Espagne ont augmenté de 64 % en 2018.# Par la Méditerranée, 1 million d’immigrés sont arrivés en 2015. Moins de 50 000 en 2018.##. Quelles que soient les difficultés rencontrées sur le terrain.v. aussi les dossiers « Santé des migrants I et II » dans les numéros de mai et juin 2019 de La Revue du Praticien.
Encadre

Quelques définitions

Espace Schengen

Cet espace a été créé en 1985 et absorbé par le droit de l’Union européenne (UE) grâce au traité d’Amsterdam en 1999. Il concerne 26 États membres :

- 22 États membres de l’UE : Allemagne, Autriche, Belgique, Dannemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède (en sont exclus : le Royaume-Uni et l’Irlande) ;

- 4 États avec frontières ouvertes : Islande, Lichtenstein, Norvège, Suisse ;

- 2 États futurs membres : Roumanie, Bulgarie.

À l’intérieur de cet espace, les contrôles frontaliers entre les membres et ceux qui n’en sont pas membres (frontières dites extérieures) sont éliminés : pas de contrôles, pas de passeports, pas de visas à l’intérieur de l’espace.

En revanche, contrôles renforcés aux frontières extérieures à l’espace.


Dubliné

« Dubliné », demandeurs d’asile qui font l’objet d’une procédure selon ce règlement contraint les demandeurs d’asile à revenir dans le pays dans lequel la demande a été déposée. La confusion régnant au niveau des immigrés sur cette procédure qui entraîne souvent une incompréhension aux conséquences desquelles ils ne peuvent échapper est très critiquée actuellement. Le nombre des « dublinés » ne cesse de croître.


Frontex

Frontex est l’agence de l’Union européenne chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen.

Elle a été créée à la suite de Schengen, officiellement le 6 octobre 2016, succédant à l’Agence européenne pour la gestion et la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne de 2004 à 2016.

En savoir plus
- Brachet J. Migrations, fantasmes et contre-vérités. Le Monde, 18 décembre 2018.
- Brice P. Sur le fil de l’asile. Paris : Fayard, 2019. - Chambaud L, Azzedine F. Santé des migrants, les préjugés ont la vie dure. The Conversation, 17 décembre 2017. http://bit.ly/2Zca00u
- Collectif de psychiatres. Migrants : « Nous, psychiatres experts, rendons notre avis en âme et conscience sans subir de pression ». Le Monde, 4 avril 2019.
- Haut Conseil de la santé publique. Avis relatif aux recommandations concernant la visite médicale des étrangers primo-arrivants en provenance de pays tiers. HCSP, version du 6 mai 2015.
- Instruction n° DGS/SP1/DGOS/SDR4/DSS/SD2/DGCS/2018/143 du 8 juin 2018 relative à la mise en place du parcours de santé des migrants primo-arrivants. http://bit.ly/2NtT6U9
- Kerouedan D. Éléments relatifs à la santé et au recours aux soins des personnes migrantes en France. Académie nationale de médecine, séance du 15 janvier 2019. http://bit.ly/2MBsSQ0
- Rey-Lefebvre I. Les pays européens confrontés à la progression du sans-abrisme – En France, le nombre de sans-domicile-fixe dépasserait 200 000. Le Monde, 4 avril 2019.
- Smith S. La Ruée vers l’Europe - La jeune Afrique en route pour le vieux Continent. Paris : Grasset, 2018. - Spira A, Quach-Hong M. L’accès aux soins des personnes migrantes, enjeu de santé publique. Hommes et Libertés 2019, n° 185.
- Wihtol de Wenden C. Atlas des Migrations. Un équilibre mondial à inventer. 5e édition. Paris : Autrement, 2018.

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