M. M. vient de se voir reconnaître le statut de réfugié. Depuis qu’il a fui le Soudan, à travers la Lybie, la Méditerranée puis l’Italie, de Marseille à Calais, puis de Paris à Marseille, il a été tour à tour sans-­papiers, demandeur d’asile, « dubliné* », déclaré « en fuite » et retenu en centre de rétention administrative, puis expulsé vers l’Italie où il n’a pas pu faire enregistrer sa demande d’asile. Revenu en France et à nouveau enfermé en rétention, détenu en prison en raison de son refus d’être à nouveau expulsé en Italie, il est finalement libéré sous contrôle judiciaire dans l’attente de la réponse de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui revient positive, trois ans après son arrivée en France. Le début du parcours d’exil de M. M. a été très angoissant, cahotique et violent, mais il s’agit pourtant d’un parcours plutôt privilégié parmi les exilés parvenus en Europe et en France.
M. M. fait partie des 15 % de personnes déracinées ayant trouvé refuge dans un pays à revenu « élevé », le Haut Conseil des Nations unies pour les réfugiés rappelant régulièrement que la grande majorité des exilés vivent dans les pays en développement. La France, qui compte 1 % de la population mondiale, accueille ainsi 0,7 % des réfugiés. La reconnaissance de sa qualité de réfugié par l’Ofpra permet à M. M. de bénéficier d’un statut juridique stable, contrairement à la majorité des demandeurs d’asile qui sont « déboutés » lors de leur première tentative (les trois quarts en France, un peu moins à l’échelle de l’Union européenne). Il a connu une durée d’instabilité juridique et d’exclusion sociale relativement « courte », la plupart des personnes exilées devant survivre dans des conditions très précaires pendant près de 10 ans, pour finir par être « régularisées » (dans l’étude ANRS Parcours, la moitié des femmes parvenaient à une situation stable en 6 ans, et la moitié des hommes en 7 ans).1

Une détérioration progressive des droits

Ce début difficile du « parcours d’intégration » est emblématique de la dégradation progressive des droits et des pratiques des États de l’Union européenne en matière d’immigration et d’asile. Boucs émissaires récurrents des crises économiques et des replis identitaires, les migrants/exilés font l’objet de politiques de dissuasion et de coercition à toutes les étapes.2 En dépit des conditions terribles de la traversée de la Méditerranée (à l’été 2018, 1 personne sur 16 y a laissé la vie), les États membres de l’Union européenne entravent systématiquement les opérations de sauvetage entreprises par les organisations non gouvernementales au nom du droit de la mer. Condamné à plusieurs reprises par le tribunal administratif de Nice pour avoir procédé au refoulement de mineurs non accompagnés et de demandeurs d’asile à la frontière franco-italienne, le préfet des Alpes- Maritimes porte, selon la justice, « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile ».3

La détérioration des droits et les discriminations à l’égard des étrangers se retrouvent aussi dans le domaine de la santé, avec, en France, la restriction progressive de l’accès à la protection maladie pour les étrangers les plus vulnérables : demandeurs d’asile, sans-papiers et autres étrangers en séjour précaire. Pour les personnes atteintes de maladies graves et ne pouvant bénéficier des soins « appropriés » en cas de retour dans le pays d’origine, le droit au séjour pourtant garanti par la loi est appliqué de manière de plus en plus restrictive, selon le Défenseur des droits :4« Que l’on aborde leur situation sous l’angle de la protection contre l’éloignement dont ils doivent bénéficier, du séjour qui peut résulter de cette protection ou de la prise en charge des frais de soins, les personnes malades étrangères apparaissent comme des sujets de moindres droits : irrigués par une logique de suspicion, les textes leur consacrent des droits fragiles dont au surplus l’effectivité se trouve parfois entravée par des pratiques illégales. »
C’est dans ce contexte que s’inscrit le parcours de santé, qui doit également prendre en compte d’autres facteurs de vulnérabilité : les psycho-traumatismes liés à l’exil et aux violences subies, la vulnérabilité sociale avec notamment une très forte dégradation des conditions d’hébergement, ou encore la barrière de la langue. Malgré sa reconnaissance légale comme prestation de santé indispensable pour les personnes allophones, l’interprétariat professionnel reste très insuffisant dans les services de santé, entravant un peu plus la qualité et la continuité des soins. Les actions de prévention et de bilan de santé sont souvent au second plan, en dépit des connaissances épidémiologiques en ce qui concerne non seulement les principales maladies infectieuses, mais encore davantage les psycho-traumatismes et les maladies non transmissibles.5

Le code de déontologie : un repère

Par son double exercice de soins et de certification, le médecin se trouve souvent au cœur de la prise en charge pluridisciplinaire requise par le patient étranger, qui nécessite une bonne connaissance du contexte global, tant médico-psychologique que social et juridique. Le code de déontologie médicale se révèle un outil précieux, notamment pour les praticiens conduits à intervenir dans une situation de privation de liberté pour le patient, que ce soit dans les lieux d’enfermement réservés aux étrangers (zones d’attente, centres de rétention), ou dans un cadre contraint comme lors de visites médicales « obligatoires » de l’Office français de l’immigration et de l’intégration pour les étrangers admis au séjour. En matière de certification médicale, il permet de distinguer ce qui peut être fait, ce qui doit être fait et ce qui doit être évité, dans le respect du patient, de la protection de la santé individuelle et de la santé publique.
Il arrive que la « logique de suspicion » à l’égard des étrangers se propage vers les associations et les professionnels qui leur viennent en aide, et notamment des médecins stigmatisés par les autorités en charge de l’Immigration comme « militants », et qui en appellent à leur « neutralité ». C’est méconnaître le code de la santé publique et ses engagements en faveur de la santé. Sur le plan déontologique, la neutralité nuit gravement à la santé.
* Demandeur d'asile qui a fait l'objet d'une procédure dite « Dublin », selon le règlement 604/2013/UE du 26 juin 2013.
Références
1. ANRS Parcours. Parcours de vie et de santé des Africains immigrés en France dir. Degrées du Loû A, Lert F. Paris : La Découverte, 2017.

2. Comité pour la santé des exilés. Europe : par-delà les frontières, les murs politiques. Comede, dossier Maux d’exil 2018;57. www.comede.org

3. Coordination française pour le droit d'asile. Exilé.e.s : quels accueils face à la crise des politiques publiques ? Rapport CFDA, mai 2019.

4. Défenseur des droits. Personnes malades étrangères : des droits fragilisés, des protections à renforcer. Rapport mai 2019. www.defenseurdesdroits.fr

5. Comité pour la santé des exilés. La santé des exilés, rapport d’activité et d’observation. Comede 2019. www.comede.org

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