Première cause de handicap neurologique non traumatique du sujet jeune, la sclérose en plaques (SEP) est une pathologie chronique inflammatoire auto-immune dont la cible est la myéline, membrane protectrice des fibres nerveuses. Elle affecte 2,8 millions de personnes dans le monde et 110 000 en France (incidence annuelle d’entre 7 et 9 cas pour 100 000 habitants).
Si des facteurs génétiques interviennent dans son apparition (les formes familiales représentent 10 % des cas), des facteurs environnementaux sont aussi pointés. Parmi eux, le rôle du virus d’Epstein-Barr (EBV), transmis par la salive et responsable notamment de la mononucléose infectieuse, est suspecté depuis quelques années. En effet, un lien entre la démyélinisation dans le système nerveux central et un processus infectieux est possible. Pour l’EBV, c’est un lien difficile à étudier, tant l’infection est fréquente (prévalence d’environ 95 % chez les adultes) et la SEP une maladie relativement rare. Mais une vaste étude longitudinale qui vient d’être publiée dans Science confirme l’existence de ce lien…
Les chercheurs ont suivi de 1993 à 2013 une cohorte de plus de 10 millions d’adultes, des militaires américains, dont 955 ont eu un diagnostic de SEP durant leurs années de service. Grâce à des « archives » de sérums issus des tests routiniers effectués dans cette population (sérologies tous les 2 ans pour dépister le VIH), ils ont reconstitué une « histoire infectieuse » eu égard à l’EBV chez ces sujets. Au moment de la première sérologie (entrée dans l’armée, en majorité avant 20 ans), 5,3 % des échantillons étaient négatifs pour l’EBV.
Pour chaque cas de SEP, 3 échantillons sanguins datant d’avant le début des symptômes de la maladie furent étudiés : le premier et le dernier disponibles, et un entre les deux – le délai médian écoulé entre la date de collecte du premier échantillon et la date d’apparition des premiers symptômes était de 10 ans ; celui entre le dernier échantillon et le début des symptômes était de 1 an. De plus, chaque cas fut apparié à 2 sujets contrôles au hasard, ayant les mêmes caractéristiques (âge, sexe, branche de l’armée, date de collecte des échantillons sérologiques). L’analyse fut faite sur un total de 801 cas de SEP (dont un seul resté séronégatif pour l’EBV) et 1 566 contrôles.
Le taux élevé de séroconversion chez les personnes qui ont développé une SEP au cours du suivi (97 %) contraste avec un taux de 57 % chez les sujets contrôles : au début, 107 contrôles étaient négatifs pour l’EBV, et 35 personnes sur celles ayant développé à terme une SEP, dont 34 furent infectées pendant le suivi et avant le début des symptômes de la SEP. Ainsi, chez les sujets ayant une séroconversion pour l’EBV, le risque d’avoir un diagnostic de SEP était multiplié par 32, par rapport à ceux restés séronégatifs (HR = 32,4 ; IC95% : 4,3-245,3). Enfin, le temps médian estimé entre la séroconversion et l’apparition des premiers symptômes de SEP était de 7,5 ans.
À titre de comparaison, les chercheurs ont aussi étudié l’infection par le cytomégalovirus (CMV) dans cette population. Comme l’EBV, celui-ci est un herpèsvirus qui se transmet par la salive, et les populations infectées par ces deux virus sont comparables du point de vue sociodémographique au sein de la population américaine. Or parmi les sujets séronégatifs pour le CMV au début de l’étude, ceux qui ont par la suite développé une SEP avaient un taux de séroconversion similaire à celui des contrôles.
De plus, pour élucider la relation temporelle entre l’infection par l’EBV et l’apparition d’une SEP, les auteurs ont mesuré les concentrations sériques de neurofilamentsà chaîne légère (NfL, des biomarqueurs de la dégénérescence neuroaxonale) chez les sujets séronégatifs au début, puis infectés par l’EBV et ayant développé une SEP au cours du suivi. Leurs taux de NfL avant et autour du moment de la séroconversion étaient comparables à ceux des sujets contrôles. En revanche, ces taux ont augmenté après l’infection, ce qui indiquait une absence de dégénérescence neuronale avant l’infection : celle-ci précéderait donc non seulement la phase clinique de la SEP, mais aussi ses premiers signes biologiques.
Par ailleurs, la spécificité de cette association entre l’infection par l’EBV et la SEP est fortement suggérée par d’autres tests immunologiques réalisés par les chercheurs sur 60 participants (30 sujets SEP et 30 contrôles choisis au hasard) : des échantillons collectés peu avant et après la manifestation des premiers symptômes de la SEP ne montrèrent pas de différence significative de réaction à différents pathogènes par rapport aux sérums contrôles, écartant l’idée que ce lien entre l’infection par l’EBV et la SEP ne serait observé qu’à la faveur d’une dérégulation immunitaire causée par cette dernière (qui favoriserait donc les infections en général). Enfin, l’un des principaux facteurs de risque de développer une SEP, à savoir l’homozygotie pour les allèles HLA-DR15 (qui multiplie par 3 le risque), ne constitue pas un facteur de confusion pour l’analyse, puisqu’il n’est pas associé lui-même à l’infection par l’EBV ; des données expérimentales et épidémiologiques suggèrent, au contraire, que ces 2 facteurs agiraient en synergie pour causer cette maladie.
Les auteurs soulignent que cette découverte devrait motiver l’accélération des recherches sur un vaccin contre l’EBV…
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Bjornevik K, Cortese M, Healy BC, et al. Longitudinal analysis reveals high prevalence of Epstein-Barr virus associated with multiple sclerosis. Science, 13 janvier 2022.
À lire aussi :
Fromont A, Moreau T. Item 102 – Sclérose en plaques.Rev Prat 2020;70(4);e125-134.