La sclérose en plaques (SEP) est la maladie inflammatoire démyélinisante la plus répandue dans les pays industrialisés. On estime actuellement que 2,8 millions de personnes sont touchées, soit une prévalence globale de 35,9 pour 100 000, avec un âge moyen au diagnostic de 32 ans. Il existe d’importantes variations de prévalence à travers le monde : on admet habituellement un gradient nord-sud avec, par exemple, une prévalence élevée en Amérique du Nord et en Europe (> à 100 pour 100 000 habitants) et faible en Asie de l’Est et en Afrique subsaharienne (environ 2 pour 100 000 habitants), voir figure.
Toutefois, dans une même zone géographique, des disparités importantes de prévalence sont possibles : par exemple, en France, un gradient nord-est/sud-ouest est observé, avec une prévalence générale de 155 pour 100 000.1
La maladie est à nette prédominance féminine, avec un sex-ratio d’environ 3 femmes pour 1 homme ; elle n’a une expression progressive d’emblée que dans 10 % des cas environ, et elle débute entre 20 et 39 ans pour environ deux tiers des patients.
Augmentation de l’incidence surtout chez la femme
Indépendamment de l’amélioration du diagnostic, l’incidence semble avoir augmenté depuis les années 1950. Des changements des modes de vie et une exposition plus importante à des facteurs de risque sont certainement en cause. Une deuxième tendance est l’augmentation de la proportion de femmes atteintes. Mais bonne nouvelle : des études observationnelles suggèrent une amélioration globale du pronostic de la SEP dans sa forme récurrente-rémittente, possiblement du fait de l’amélioration notable de la prise en charge.
Des facteurs environnementaux influant dès l’enfance
Les études de prévalence chez les migrants allant d’une zone de faible prévalence de la maladie vers une zone de forte prévalence, et inversement, permettent en théorie de mesurer l’influence de facteurs environnementaux sur le risque de développer la maladie, mais également d’indiquer dans quelle tranche d’âge ces facteurs pourraient intervenir.2
Ces travaux montrent que la migration avant l’âge de 15 ans de régions à risque élevé vers des régions à faible risque réduit le risque global de SEP. Inversement, le risque de SEP augmente chez les sujets migrant avant l’âge de 15 ans d’une zone à faible risque vers une zone à risque élevé ; cet effet rejoint le risque de la région d’accueil à la deuxième génération.
En outre, les travaux réalisés chez les natifs des Antilles françaises migrant en métropole et retournant dans leur région d’origine montrent qu’une durée de séjour supérieure à 10 ans en zone de forte prévalence (la métropole) est nécessaire pour acquérir le risque de la région d’accueil.
Ces données soulignent le fait que des facteurs environnementaux acquis dans l’enfance et l’adolescence jouent un rôle causal important dans le développement de la sclérose en plaques.3,4
Deux études récentes ont permis d’aller encore plus loin dans la précision du déterminisme de la SEP en fonction de l’âge d’exposition aux facteurs environnementaux. Dans la première étude, réalisée au Danemark (zone de forte prévalence), un lien a été montré entre le taux de vitamine D en période néonatale et le risque ultérieur de développer la maladie, soulignant l’intérêt d’agir de façon très précoce sur ce facteur environnemental théoriquement facile à corriger.5 Dans la deuxième étude, menée en Nouvelle-Zélande, l’effet du gradient de latitude sur le risque ultérieur de développer la SEP se manifestait dès la naissance, pour décliner après l’âge de 12 ans, soulignant là encore l’influence précoce de l’exposition à certains facteurs environnementaux.6
Infection par le virus d’Epstein-Barr : facteur quasi obligatoire
L’exposition au virus d’Epstein-Barr (EBV), de facto plus tardive dans la vie, est un facteur de risque quasi obligatoire,7le lien causal étant formellement établi depuis la publication d’une large étude publiée dans Science sur 10 millions de jeunes adultes suivis pendant 20 ans. Dans ce travail, le temps médian estimé entre la séroconversion et l’apparition des premiers symptômes de SEP était de 7,5 ans.
Par ailleurs, une étude cas-témoins récente confirme que le risque de SEP se manifeste surtout lorsque le contact avec l’EBV a lieu après 20 ans.8
Enfin, une étude parue le 17 mai 2023 dans Science Advances aurait dévoilé les mécanismes impliqués : l’immunité croisée entre une protéine du virus d’Epstein-Barr, EBNA1 (exprimée lorsqu’il est présent sous forme latente) et une protéine exprimée par les oligodendrocytes des malades de la sclérose en plaques, CRYAB, serait au cœur de l’apparition de la maladie auto-immune. Des expériences sur la souris ont également confirmé que les lymphocytes T réagissaient de façon croisée aux deux protéines.
Alimentation, tabagisme et microbiote…
D’autres facteurs ont récemment été reconnus comme pouvant concourir, dans une moindre mesure, au risque de développer une SEP.9
L’obésité dans l’enfance et l’adolescence augmente le risque, possiblement par le biais d’un état pro-inflammatoire. Au sein des facteurs alimentaires, la consommation excessive de sodium pourrait également jouer un rôle dans l’activité inflammatoire de la maladie, mais son influence est incertaine.
Le tabagisme est un autre facteur de risque identifié par la dose et la durée de consommation. Il semble exercer un effet modeste mais réel sur le risque de développer la maladie (et sur le risque d’activité de cette dernière, une fois installée).
Enfin, le microbiote intestinal a fait l’objet d’intenses recherches ces dernières années chez les patients atteints de maladies auto-immunes en général et de SEP en particulier. S’il est clair que des modifications du microbiote, influencées par le régime alimentaire, ont un impact sur le risque d’auto-immunité, les effets exacts du remaniement volontaire du microbiote sur le risque de développer la SEP et sur l’activité de la maladie sont encore à démontrer.10
Références :
1. Walton C, King R, Rechtman L, et al. Rising prevalence of multiple sclerosis worldwide: Insights from the Atlas of MS, third edition. Mult Scler 2020;26(14):1816-21.
2. Dean G, Kurtzke JF. On the risk of multiple sclerosis according to age atimmigration to South Africa. Br Med J 1971;3(5777):725-9.
3. Cabre P, Signate A, Olindo S, et al. Role of return migration in the emergence of multiple sclerosis in the French West Indies. Brain 2005;128(12):2899-910.
4. Munk Nielsen N, Corn G, Frisch M, et al. Multiple sclerosis among first- and second-generation immigrants in Denmark: a population-based cohort study. Brain 2019;142(6):1587-97.
5. Nielsen NM, Munger KL, Koch-Henriksen N, et al. Neonatal vitamin D status and risk of multiple sclerosis. Neurology 2016;88(1):44-51.
6. Sabel CE, Pearson JF, Mason DF, et al. The latitude gradient for multiple sclerosis prevalence is established in the early life course. Brain 2021;144(7):2038-46.
7. Bjornevik K, Cortese M, Healy BC, et al. Longitudinal analysis reveals high prevalence of Epstein-Barr virus associated with multiple sclerosis. Science 2022;375(6578):296-301.
8. Biström M, Jons D, Engdahl E, et al. Epstein-Barr virus infection after adolescence and human herpesvirus 6A as risk factors for multiple sclerosis. Eur J Neurol 2021;28(2):579-86.
9. Michel L. Environmental factors in the development of multiple sclerosis. Rev Neurol (Paris) 2018;174(6):372-7.
10. Mangalam AK, Giri S. Role of microbiome and metabolome in the pathobiology of MS. Clinical Immunology 2022;235:108934.