Mise à jour de : Vialle R. Scoliose : quand s’inquiéter ? Rev Prat Med Gen 2018;32(1006):582-5.
La scoliose affecte un secteur plus ou moins étendu de la colonne vertébrale dans les 3 plans de l’espace, axial, sagittal et frontal. C’est une déformation non complètement réductible du rachis, ce qui n’est pas le cas des simples attitudes scoliotiques, et tridimensionnelle, plus complexe que les déformations dans un seul plan, comme les cyphoses.Pour faire le diagnostic, il faut une déviation latérale, une rotation vertébrale traduite par une gibbosité et le plus souvent un désordre du profil.
La scoliose est généralement idiopathique, sans relation retrouvée avec un autre processus pathologique décelable. Dans le cas contraire, elle est dite secondaire, par exemple neurologique ou malformative. On la détecte le plus souvent lors d’un simple examen clinique, au cours de la période de croissance.
Dépistage à l’examen clinique
L’examen du rachis doit être méthodique afin d’être reproductible1. Il est systématique chez tous les enfants et tous les adolescents en période de croissance au moins une fois par an. Celui du tronc affirme et définit la scoliose. L’appréciation de la croissance et de la maturation osseuse permet d’évaluer le risque évolutif de la déformation.
L’interrogatoire est fondamental. On s’enquiert notamment des antécédents personnels et du développement psychomoteur depuis la naissance ainsi que des éventuels antécédents familiaux de scoliose.Le patient doit être examiné de dos, de profil, de face et de dessus. Au préalable, il faut s’assurer du bon équilibre du bassin en vérifiant l’horizontalité des 2 crêtes iliaques.
Toute inégalité de longueur des membres inférieurs responsable d’une obliquité du bassin dans le plan frontal doit être corrigée par une compensation sous le pied correspondant. Ceci est indispensable car une bascule du bassin peut entraîner une attitude scoliotique (fig. 1). De dos, on voit la déformation dans le plan frontal. L’équilibre global du tronc est apprécié à l’aide du fil à plomb pendu depuis l’épineuse saillante de C7. Normalement, il doit passer par le sillon interfessier. S’il tombe à droite ou à gauche, cela témoigne d’un déséquilibre latéral. La ligne des épaules peut rester d’aplomb ou être oblique (signe de la lucarne). Le pli de la taille, lorsqu’il est asymétrique, traduit l’existence d’une déviation de la colonne thoracolombaire ou lombaire.
L’inspection du malade, debout penché en avant, les mains jointes, les membres inférieurs en rectitude, est capitale. L’examinateur le plus souvent en arrière du malade peut ainsi identifier le signe pathognomonique : la gibbosité (fig. 2). Elle est secondaire à l’asymétrie des éléments paravertébraux des 2 côtés de la ligne médiane, par rotation des corps vertébraux. Elle est donc la conséquence directe de la déformation structurale du rachis. Elle peut être discrète et régulière ou au contraire très saillante et anguleuse. Elle se mesure à l’aide d’un niveau à bulle, en évaluant la différence d’altitude entre son point le plus saillant et le point symétrique par rapport à la ligne médiane. Les gibbosités des scolioses thoraciques sont toujours nettement plus marquées car les côtes entraînées par la rotation vertébrale créent une surélévation importante.
Idiopathique dans 70 à 80 % des cas
L’enquête étiologique recherche une pathologie responsable de la déformation rachidienne. Certaines sont évidentes ou connues (myopathie de Duchenne, infirmité motrice d’origine cérébrale). D’autres, plus atypiques, doivent malgré tout être recherchées systématiquement lors de la première consultation. Une hyperlaxité, un dysmorphisme facial font évoquer par exemple un syndrome marfanoïde. Des taches café au lait en nombre important font suspecter une neurofibromatose. Une anomalie de la ligne médiane : pilosité anormale, angiome ou lipome de la région sacrée peut témoigner d’une malformation vertébromédullaire sous-jacente (dysraphisme spinal). Une exagération des réflexes ostéotendineux, tout comme une asymétrie de ces réflexes doit orienter vers une pathologie périphérique.
Des examens complémentaires ?
La découverte d’une gibbosité impose une radiographie du rachis en totalité debout de face et de profil (fig. 3). Il ne faut pas se contenter de clichés segmentaires. Depuis quelques années, les techniques de stéréoradiographie (système EOS), moins irradiantes, fournissent des images de bonne qualité. Ces radios sont à privilégier lorsque le suivi de l’enfant ou de l’adolescent impose de répéter les clichés.
La scoliose est-elle évolutive ?
L’angulation dans le plan frontal est appréciée en mesurant l’angle de Cobb (fig. 4), à l’intersection des droites tangentielles au plateau vertébral supérieur et inférieur des vertèbres les plus inclinées (vertèbres limites). Les mesures doivent être répétées avec les mêmes repères afin de juger avec objectivité de l’évolutivité d’une courbure.
Néanmoins, l’incertitude de cette mesure d’une radio à l’autre est parfois de plusieurs degrés. De ce fait, le diagnostic d’aggravation de la courbure scoliotique n’est certain que pour une augmentation de 5 degrés ou plus de l’angle de Cobb sur 2 radiographies successives. Dans la littérature, les scolioses peu ou pas évolutives, ne dépassant pas 20 à 30 degrés en fin de croissance représentent 30 à 75 % des formes idiopathiques.
Parmi les scolioses de l’adolescence dépistées précocement à l’école, 10 % seulement seraient suffisamment évolutives pour justifier un traitement. Cette évolution, lorsqu’elle survient, est maximale au moment du pic de croissance pubertaire. Elle suit la courbe de Duval-Beaupère qui comporte 3 segments différents (fig. 5).2
Le premier, correspondant à l’enfance, est dit « prépubertaire ». Sa pente P1 traduit l’aggravation annuelle en degrés au cours de cette période. Le suivant, pubertaire, résulte du redressement brutal et précis, au point P (début de la puberté reconnue par l’apparition de la pilosité pubienne) de la courbe précédente. L’aggravation se poursuit irrémédiablement selon la pente P2 jusqu’au début de la fusion des cartilages de croissance des crêtes iliaques appréciée par l’index de Risser (de 0 à 5 ; la période de croissance rapide du tronc s’achève lorsqu’il est voisin de 4). Le troisième segment commence alors, à peu près horizontal, et traduit l’évolution à l’âge adulte. Au total, à l’heure actuelle, seule une évaluation approximative du risque est accessible au clinicien.
Toute scoliose dépistée en période de croissance doit être considérée comme évolutive jusqu’à la preuve clinique et radiologique du contraire.3 Avant la puberté, une scoliose idiopathique avec une déformation modérée de quelques degrés nécessite une surveillance clinique et radiologique simple au rythme d’une consultation tous les 6 mois. Une radiographie est indispensable lors du diagnostic et peut être ensuite répétée 1 ou 2 fois par an ou au moindre doute clinique d’aggravation.
Au début de la puberté, une scoliose idiopathique peut être fortement évolutive rendant nécessaire un suivi rapproché. Le délai entre chaque consultation est raccourci à 4 mois. Une radiographie doit être pratiquée au moindre doute à chaque consultation. L’évolutivité est confirmée si, entre 2 consultations, l’aggravation angulaire est supérieure à 5 degrés avec une accentuation de la gibbosité ou de l’aspect de rotation vertébrale sur la radiographie.
Des scolioses modérées (dont l’angulation est inférieure à 30 °) sont parfois découvertes en fin de croissance. Si la maturation squelettique est pratiquement terminée (Risser 4 ou 5) et que la puberté est bien avancée, le risque évolutif redevient faible. Le rythme de surveillance peut être ralenti : contrôle clinique et radiologique tous les ans puis chez l’adulte tous les 5 ans.
Prise en charge
Devant une déformation non évolutive en période de croissance, l’abstention est la règle. La rééducation est le plus souvent totalement inutile chez des enfants ou adolescents qui ont une courbure scoliotique stable ou peu évolutive et qui pratiquent régulièrement une activité physique.
La pratique régulière d’activités sportives à raison de 2 à 3 heures par semaine (par exemple au sein d’une association) doit être fortement encouragée. Aucun sport n’est réellement à déconseiller. La natation n’est pas à préférer à une autre activité sportive, du moment que celle-ci est pratiquée avec plaisir et assiduité. Elle permet de conserver une musculature du tronc souple et performante, évitant ainsi la survenue éventuelle de douleurs, notamment au niveau du secteur lombaire.
Si l’évolution rapide est confirmée, la prise en charge spécialisée est indispensable. Dans un premier temps, le traitement orthopédique par corset est un moyen très efficace pour freiner, voire stopper l’évolutivité. Son but est de réduire le mieux possible la ou les courbures scoliotiques et de maintenir cette correction durant la période de croissance. Son intérêt est d’autant plus grand que le potentiel de croissance résiduel est important. Il est donc inutile de le proposer une fois la croissance du rachis achevée. Pour les déformations très précoces comme pour les scolioses « infantiles », on peut espérer une amélioration, voire une véritable guérison.
Mais, le plus souvent, le traitement orthopédique n’aura pour but que de freiner l’aggravation afin de parvenir en fin de croissance à une déformation stable à l’âge adulte et acceptable sur le plan fonctionnel et cosmétique. Cet objectif doit être parfaitement expliqué au patient et à sa famille.Parfois, sans assister à un gain angulaire, on note un effet bénéfique sur l’équilibre du tronc ou des épaules, ainsi que sur le remodelage des gibbosités conduisant à une amélioration esthétique tout à fait appréciable.
Une scoliose évolutive doit être étroitement surveillée, ne serait-ce que pour encourager et contrôler l’observance du traitement. Les corsets orthopédiques sont revus 1 mois après leur livraison pour en apprécier la tolérance et l’efficacité au moyen d’une radio (fig. 6). Les autres contrôles seront répétés ensuite tous les 6 mois avec un examen clinique et une radio sans corset. De nos jours, la précision et les faibles doses d’irradiation générées par le procédé EOS facilitent grandement le suivi.4
Chez les enfants les plus jeunes, un contrôle régulier de la fonction respiratoire est indispensable,5 sa dégradation et/ou une modification substantielle du profil thoracique en lordose devant faire discuter une modification du traitement orthopédique ou un recours à la chirurgie.
Le traitement chirurgical est le plus souvent synonyme de l’échec du dépistage et de la prise en charge orthopédique bien conduite. Les déformations sévères de l’enfant et de l’adolescent peuvent malgré tout bénéficier de techniques toujours plus efficaces qui permettent d’obtenir des corrections importantes avec une bonne maîtrise des risques opératoires.6 Le segment rachidien déformé est alors définitivement corrigé et enraidi au moyen d’un matériel métallique permettant d’obtenir une fusion osseuse et une correction pérenne.
Différentes formes, plus ou moins graves
- Dans les scolioses thoraciques (25 % des formes idiopathiques), la gibbosité est importante, liée à la déformation des côtes, entraînées par la rotation vertébrale volontiers marquée. Certaines peuvent avoir un retentissement fonctionnel cardiorespiratoire sévère. Le plus souvent, elles sont à convexité droite. Dans les rares cas à convexité gauche, des anomalies neurologiques sont très fréquentes. Il est nécessaire de pratiquer un examen neurologique approfondi, complété par une IRM.
- Les scolioses thoraco-lombaires (environ 20 %) ont une gibbosité moins marquée, la déformation n’intéresse que la partie basse de la cage thoracique. Elles restent en général longtemps réductibles et le retentissement respiratoire est modéré. Leur pronostic est cependant assez sévère, en raison du déséquilibre latéral qui tend à s’aggraver durant la croissance et dont la tolérance à l’âge adulte est plutôt mauvaise.
- Les scolioses lombaires (25 %) se manifestent par une chute latérale du tronc du côté de la convexité. L’effacement du pli de taille convexe est évident, alors que la gibbosité reste toujours modérée à la différence des formes plus haut situées. Elles étaient considérées comme relativement bénignes, car d’apparition plus tardive et d’évolutivité moindre à l’adolescence que les scolioses thoraciques et thoraco-lombaires. Leur pronostic à l’âge adulte est en réalité sérieux, en raison du risque évolutif à distance.
- Les scolioses à 2 courbures principales (doubles majeures ou combinées, 30 % des cas) associent 2 courbures structurales en sens inverse, d’angulation égale (à 10 % près) et de rotation voisine.
- Les scolioses doubles thoraciques sont rares, de l’ordre de 1 %. L’évolutivité est généralement importante, difficile à contrôler par les traitements orthopédiques. Le retentissement cardiorespiratoire peut être semblable à celui des scolioses thoraciques.
Que dire à vos patients ?
La découverte d’une scoliose dans la famille nécessite un dépistage encore plus attentif des enfants et adolescents de la fratrie.
Les activités sportives doivent être encouragées, sans aucune limitation. Aucune n’est à déconseiller ni à privilégier.
Dans la très grande majorité des cas, une rééducation spécifique n’est pas nécessaire en cas de scoliose idiopathique chez un enfant ou un adolescent. Le port de semelles orthopédiques est inutile si aucune pathologie particulière des pieds n’est associée.
En savoir plus : www.fondationcotrel.org
2. Duval-Beaupère G, Dubousset J, Queneau P, et al. A unique theory on the course of scoliosis. Presse Med 1970;78:1141-6.
3. Lonstein JE, Carlson JM. The prediction of curve progression in untreated idiopathic scoliosis during growth. J Bone Joint Surg Am 1984;66(7):1061-71.
4. Morel B, Moueddeb S, Blondiaux E, et al. Dose, image quality and spine modeling assessment of biplanar EOS micro-dose radiographs for the follow-up of in-brace adolescent idiopathic scoliosis patients. Eur Spine J 2018;27(5):1082-8.
5. Redding G, Song K, Inscore S, et al. Lung function asymmetry in children with congenital and infantile scoliosis. Spine J 2008;8(4):639-44.
6. Lamerain M, Bachy M, Delpont M, et al. CoCr rods provide better frontal correction of adolescent idiopathic scoliosis treated by all-pedicle screw fixation. Eur Spine J 2014;23(6):1190-6.