Les analogues du glucagon-like peptide- 1 (GLP- 1) – incrétines utilisées depuis de nombreuses années dans le traitement du diabète de type 2 – sont en train d’être repositionnés pour traiter l’obésité dans plusieurs pays du monde. Aux États-Unis, la FDA a autorisé les spécialités Saxenda (liraglutide), Wegovy (sémaglutide) et Zepbound (tirzépatide), respectivement en 2014, 2021 et 2023, pour la perte de poids chez les adultes ayant un IMC ≥ 30, ou un IMC ≥ 27 avec une comorbidité liée au poids, en complément des mesures hygiénodiététiques.
En France, deux analogues du GLP- 1 sont pour l’instant autorisés dans le traitement de l’obésité : le liraglutide (Saxenda), commercialisé depuis 2021, qui peut être prescrit par les généralistes mais n’est pas remboursé par la Sécurité sociale, et le sémaglutide (Wegovy). Ce dernier a eu l’AMM européenne en janvier 2022 et une autorisation d’accès précoce post-AMM octroyée par la HAS en juillet 2022 pour des adultes ayant un IMC ≥ 40 kg/m et au moins une comorbidité liée au poids (HTA traitée, dyslipidémie traitée, maladie CV, SAHOS appareillé), en complément d’un régime hypocalorique et d’une augmentation de l’activité physique.
Dans ce cadre d’accès précoce, il a pu être prescrit, à l’hôpital, entre juillet 2022 et septembre 2023, à plus de 7 000 patients (l’autorisation d’accès précoce a été retirée à la demande du laboratoire en septembre 2023). Épiphare a décrit le profil de ces patients et les différents schémas utilisés, dans un rapport qui vient d’être publié.
Quel est le profil des patients ?
En utilisant les données de la base des médicaments en accès précoce mise en place par Épiphare et celles du Système national des données de santé (SNDS), 8 020 utilisateurs de Wegovy ont été identifiés, dont 7 048 ont été inclus dans l’étude car ayant initié le traitement dans la période réglementaire.
L’âge moyen de ces patients était de 48,5 ans (écart-type : 13) à l’initiation et 65,3 % étaient des femmes. Un diagnostic d’obésité a pu être identifié chez 82,3 % d’entre eux, mais les auteurs estiment que ce pourcentage est sous-estimé ; 46,1 % des patients avaient un IMC compris entre 40 et 50, 19 % un IMC ≥ 50, 14,1 % entre 30 et 40 exclu et enfin 0,7 % un IMC < 30.
Les régions d’Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie avaient les taux d’utilisation les plus élevés, alors que d’autres régions comme les Hauts-de-France, où la prévalence de l’obésité est plus élevée, avaient des taux d’utilisation moins importants. L’utilisation de Wegovy ne semblait donc pas directement corrélée à la prévalence de l’obésité de la région correspondante.
Sur ces 7 048 patients, 83,5 % avaient au moins une des comorbidités permettant l’accès précoce : SAHOS (57,4 %), HTA traitée (49,9 %), dyslipidémie traitée (23,7 %), maladie CV (16,3 %). La prévalence de ces comorbidités était moins élevée chez les utilisateurs ayant initié le traitement en 2023, comparés à ceux l’ayant initié en 2022 (82,1 % vs 86,2 %). D’autres pathologies étaient aussi présentes, notamment le diabète (26,7 %). De plus, 17,6 % des patients avaient déjà été traités par un aGLP- 1 dans le passé, principalement le sémaglutide dans sa formulation indiquée pour le diabète (Ozempic).
Quels schémas d’administration ?
La modalité de prescription de Wegovy dans le cadre de l’accès précoce était une injection sous-cutanée hebdomadaire, avec une escalade de dose en commençant par la dose 0,25 mg et augmentant mensuellement aux doses successives de 0,5 mg, 1 mg et 1,7 mg, puis 2,4 mg (dose d’entretien). La durée du traitement d’entretien n’est pas déterminée actuellement.
Une analyse de séquences de traitement sur les 6 premiers mois de traitement a été conduite chez 3 427 patients ayant initié le Wegovy avant le 30 avril 2023.
Trois principaux groupes ont été identifiés :
- les patients ayant reçu le traitement selon le protocole standard (69,2 %, 2 371 sujets) ;
- ceux ayant interrompu leur traitement précocement (17,2 %, 588 sujets) : par rapport au groupe du protocole standard, celui-ci avait une proportion plus importante de patients âgés de 65 ans et plus (14,3 %) et entre 25 et 34 ans (17,2 %), ainsi que de patients bénéficiant de la complémentaire santé solidaire (CSS) et de l’aide médicale d’État (AME) [19,7 % et 0,9 % respectivement], mais ceux ayant des comorbidités liées au poids y étaient moins représentés, sauf pour le diabète ;
- ceux ayant commencé par des doses d’emblée élevées (13,6 %, 468 sujets) : 79,9 % d’entre eux avaient un antécédent de diabète et 77,8 % avaient déjà pris un autre aGLP1 dans les 2 ans précédents.
Cette étude est la première à avoir puisé dans la base de médicaments d’accès précoces créée au sein d’Épiphare. Si elle a permis de décrire les profils et la trajectoire du traitement des tout premiers patients obèses ayant bénéficié du sémaglutide dans le pays, un suivi plus long est encore nécessaire pour mieux évaluer l’évolution des différents profils d’utilisation. Enfin, les auteurs soulignent qu’une étude nationale d’évaluation des risques liés à l’utilisation de cette molécule en vie réelle est aussi nécessaire.
D’autres questions sont en suspens : mauvaise observance à long terme et faible rentabilité médico-économique, notamment. Un article récent du JAMA pointait en effet que, la tolérance à long terme en conditions de vie réelle étant faible, moins d’un tiers des patients ont une bonne observance du traitement un an après son initiation. Or les études montrent, d’une part, que la perte de poids atteint un plateau au bout de 12 à 18 mois et, d’autre part, que lorsque le médicament est arrêté, les patients reprennent généralement le poids perdu dans l’année suivante. Et, outre le problème de tolérance, l’utilisation à long terme pose aussi la question du coût (une estimation aux États-Unis donne des coûts supplémentaires d’un quart à un demi-million de dollars par année de vie pondérée par la qualité ou quality-adjusted life year). L’auteur de cet article plaide ainsi pour la mise en place de programmes dont le rapport coût-efficacité soit meilleur, quitte à intégrer la prise d’aGLP- 1 dans ces programmes par la suite : notamment, une prise en charge nutritionnelle allant au-delà des seuls conseils – des programmes de type « Food Is Medicine (FIM) », qui incluent un financement d’une nourriture de qualité avec une éducation culinaire et un suivi nutritionnel et d’activité physique rapproché, se sont déjà montrés efficaces.