Il est commun d’établir le diagnostic des dysfonctions thyroïdiennes sur des modifications de la thyrostimuline hypophysaire (TSH), et de les quantifier par le degré d’abaissement ou d’augmentation des concentrations des iodothyronines, T4 et de T3, circulantes.
Cette conception est mise en défaut lorsque des facteurs génétiques, voire pharmacologiques, déterminent des altérations de la sensibilité tissulaire à l’action des iodothyronines, avec une très grande fréquence des dysfonctions thyroïdiennes latentes (« subcliniques ») qui constituent actuellement environ 90 % des formes diagnostiquées. La situation la moins rare est celle d’états de sécrétion inappropriée de TSH, responsables d’hyperhormonémie thyroïdienne familiale sans que ne s’expriment clairement de manifestations thyrotoxiques, en raison de la résistance des récepteurs β des iodothyronines. Les mutations du récepteur α sont responsables de sévères modifications du morphotype osseux et du comportement, alors que les concentrations de T4 et T3 et de TSH sont pratiquement normales, mais comportent une subtile majoration du rapport T3/T4. Le transporteur transmembranaire MCT8 est impliqué dans la pénétration de la T3 dans les structures fines neuronales ; des mutations de MCT8 ont permis de comprendre les états de déficience intellectuelle sévère liés à l’X correspondant à l’entité traditionnelle du syndrome d’Allan-Herndon-Dudley. D’autres situations résultant d’un défaut d’activation de T4 en T3 se révèlent par des retards de croissance et du développement intellectuel, des atteintes myopathiques, un déficit immunitaire, une azoospermie. Il existe aussi des états d’hypersensibilité aux hormones thyroïdiennes.
Il faut apprendre à reconnaître ces situations dont la présentation clinique et/ou hormonale n’évoque a priori nullement un désordre thyroïdien. Il apparaît qu’elles ont des correspondances pharmacologiques, notamment avec l’amiodarone, antiarythmique cardiaque dont l’un des effets indésirables est de réduire la conversion périphérique de T4 en T3. La dronédarone, antiarythmique comparable, semble moins thyroïdotoxique.
Les pathologies liées aux modifications de la sensibilité hormonale élargissent considérablement le champ traditionnel de l’endocrinologie.
Les états de sensibilité réduite ou accrue aux hormones thyroïdiennes ne sont pas du domaine de l’hyperspécialité thyroïdologique. Désormais, elles doivent être évoquées plus largement par les médecins de toutes spécialités dans des situations atypiques d’altérations du développement statural, gonadique, squelettique, neuromusculaire, sensoriel, intellectuel, d’anémie, de troubles cardiaques ou digestifs… S’impose alors une lecture attentive, critique d’éventuelles atypies des taux d’hormones thyroïdiennes totales ou libres, de la TSH. Leur permanence lors de la répétition des dosages doit susciter une approche collaborative entre biologistes et cliniciens spécialisés en thyroïdologie.
Jean-Louis Wémeau, CHRU de Lille, université de Lille
12 novembre 2019