Or, seule 10 % de la population consom-me la moitié de l’alcool vendu : c’est la cible prioritaire de la prise en charge.
Réduire la consommation suffit parfois
Le premier est caractérisé par une prise excessive d’alcool mais sans conséquence. L’usage nocif associe en outre des complications médicales, socioprofessionnelles et/ou judiciaires. La dépendance est la « perte de la liberté de s’abstenir d’alcool », le patient ne pouvant plus contrôler sa consommation (
Dans tous les cas, c’est une maladie biopsychosociale, tant par les causes du mésusage que par ses retentissements possibles. De ce fait, la prise en charge varie grandement d’un patient à l’autre, et la prise en compte de leurs souhaits est primordiale. L’objectif est l’amélioration de la qualité de vie : cela exige un changement capital, qu’il s’agisse d’une diminution de la prise d’alcool ou de l’abstinence.
En l’absence de dépendance, la réduction en deçà d’un seuil de risque est le plus souvent satisfaisante. Pour les patients dépendants, l’abstinence a longtemps été considérée comme le seul objectif possible et acceptable. Cependant, chez certains d’entre eux, une rémission stable sans abstinence est possible. En outre, accepter la préférence du sujet (plutôt qu’imposer son propre point de vue de soignant) permet d’obtenir de meilleurs résultats, en évitant d’exclure des patients du système de soins. Enfin, des médicaments anti-craving (luttant contre l’impulsion et le besoin irrépressible de boire) sont maintenant disponibles et aident à contrôler la consommation d’alcool.
La Société française d’alcoologie (SFA) recommande donc d’accepter l’objectif de consommation du sujet lors de l’évaluation initiale .3 L’abstinence demeure le but privilégié pour la plupart des personnes souffrant d’une dépendance ou d’une comorbidité physique ou psychiatrique (
Elle vise à ne pas dépasser 10 verres standard par semaine. Cependant, dans une perspective de limitations des dommages, toute baisse de consommation est préférable au statu quo et doit être valorisée.
Afin d’organiser un parcours de soins adapté, il convient d’évaluer globalement la situation addictologique, c’est-à-dire les complications somatiques, l’état psychologique et les comorbidités psychiatriques, la situation socioprofessionnelle (entourage, hébergement) et les retentissements judiciaires.
Sevrage ambulatoire ou hospitalier ?
– dépendance physique sévère, par exemple des symptômes de manque matinaux (nausées ou vomissements, tremblements des extrémités, sueurs) ;
– comorbidités somatiques (
– situation sociale très précaire.
Disposer d’un miniréseau de soins, avec des acteurs du champ de l’addiction en ville et/ou à l’hôpital, est idéal : centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), service d’hospitalisation pour sevrage simple… Pour cela, les sites d’Alcool Info Service www.alcool-info-service.fr et de l’ANPAA www.anpaa.asso.fr fournissent des contacts précieux. Des documents et référentiels sont également disponibles en ligne auprès de la SFA,3 de la Fédération Addiction www.federationaddiction.fr/ et d’Addict’aide-Le village des addictions www.addictaide.fr.
L’arrêt de la consommation d’alcool, accidentel ou thérapeutique, peut entraîner un syndrome de sevrage qui survient dans les suites immédiates ou différées (jusqu’au 10e jour). Il associe de façon variable des troubles subjectifs (anxiété, agitation, irritabilité, insomnie, cauchemars), neurovégétatifs (sueurs, tremblements, tachycardie, HTA) et digestifs (anorexie, nausées, vomissements, diarrhée).
D’intensité limitée et sans complication chez 95 % des alcoolodépendants, il peut toutefois s’aggraver ou se compliquer d’accidents de sevrage (hallucinations, convulsions, delirium) dont les facteurs de risque sont la sévérité du mésusage, des antécédents de syndrome de manque et d’accidents du même type, une polyaddiction et des comorbidités associées.
Dans un objectif d’abstinence, la première phase est le sevrage médicalisé de l’alcool.
Il permet de dépister et gérer les symptômes pénibles et de prévenir la survenue de complications sévères. L’interrogatoire recherche des arguments pour une dépendance physique et des antécédents d’arrêts problématiques de l’alcool.
L’indication principale de la prise en charge hospitalière (simple, de 5 à 7 jours) est la dépendance physique avec syndrome de sevrage sévère constaté ou rapporté (
En dehors de ces situations, le sevrage ambulatoire est à privilégier via un suivi clinique rapproché, quotidien à bihebdomadaire – éventuellement par téléconsultation.
Benzodiazépine ou simple surveillance ?
S’il existe un risque de syndrome de sevrage, il faut prescrire des benzodiazépines, à dose minimale efficace et sur la plus courte durée : diazépam par voie orale en première intention, car il a une demi-vie longue et prévient les convulsions. La dose fixe est répartie sur 24 heures. La posologie d’attaque dépend de l’existence et de l’intensité des symptômes, y compris lors d’un arrêt antérieur, du délai habituel entre le lever matinal et le premier verre, de l’importance et de la régularité de la consommation. Elle est réduite progressivement en 5 à 10 jours (
Anxiété, tremblements, sudation, agitation, accélération du pouls, hausse de la PA doivent alerter. Ces signes permettent de calculer l’index de Cushman (
Chez le sujet âgé, le traitement d’un mésusage de l’alcool diffère peu. Le recours au sevrage résidentiel est plus systématique après 75 ans, de même que l’utilisation de benzodiazépines d’action brève (oxazépam, lorazépam) et à des doses d’attaque réduites de 30 à 50 %.
Les enfants et adolescents, quant à eux, doivent être préférentiellement dirigés vers un dispositif type consultation « jeunes consommateurs ».
Anticiper l’après-sevrage
Il est judicieux d’organiser le suivi en amont du sevrage. La prise en charge doit en effet être poursuivie afin d’aider au maintien de l’abstinence. Une comorbidité psychiatrique et des troubles cognitifs liés à l’alcool sont recherchés après sevrage pour éviter les facteurs confondants (imprégnation alcoolique, syndrome de sevrage, benzodiazépines). Les troubles neuropsychologiques liés à l’usage d’alcool affectent la mémoire, les fonctions exécutives telles que l’inhibition, la flexibilité mentale, la planification ou les capacités mnésiques. Dans le pire des cas, on observe une encéphalopathie de Gayet-Wernicke ou un syndrome de Korsakoff. Ces troubles impactent parfois fortement l’investissement du patient et l’observance, et sont un obstacle à l’abstinence en favorisant la rechute.4
Le dépistage neuropsychologique peut être effectué à l’aide du test d’évaluation cognitive de Montréal (MoCA) en dehors d’une consommation d’alcool et après arrêt des benzodiazépines..
Le suivi addictologique est habituellement ambulatoire et associe les moyens pharmacologiques et médicosociaux disponibles, à un rythme fixé entre le médecin et le patient et susceptible d’évoluer.
Les thérapies cognitivo-comportementales (apprentissage de la gestion des émotions, travail sur la prévention de la rechute…), individuelles ou en groupe, bénéficient d’un niveau de preuve d’efficacité satisfaisant. D’autres méthodes complémentaires (relaxation, hypnose, EMDR, méditation de pleine conscience) font actuellement l’objet d’études. Enfin, certains patients souhaitent être suivis par un psychologue en psychothérapie de soutien ou d’inspiration analytique.
Les groupes d’entraide ou de soutien par des pairs aidants (« Alcooliques anonymes » ou « anciens buveurs ») sont une ressource potentielle.
De nombreuses associations aux diverses approches sont localisées sur l’ensemble du territoire.
Les traitements pharmacologiques aident à maintenir l’abstinence en diminuant l’envie de consommer. Ils ne devraient pas être prescrits seuls en dehors d’une prise en charge globale. Parmi les médicaments disponibles, l’acamprosate (Aotal), la naltrexone (Revia) et le disulfirame (Esperal) ont l’AMM dans le maintien de l’abstinence.
La première prescription privilégie l’acamprosate ou la naltrexone (contre- indiquée en cas de cirrhose) dès l’arrêt de l’alcool, pour 3 mois, à renouveler jusqu’à 12 mois.
Le disulfirame est à utiliser en dernière intention, du fait de nombreux effets indésirables possibles en prise chronique et de réactions sévères lors de la consommation d’alcool. Le traitement doit généralement être supervisé par un tiers. Si la monothérapie initiale est inefficace (après 4 semaines), l’autre molécule peut être proposée après sevrage. Par ailleurs, acamprosate et naltrexone sont associables.
La naltrexone (Revia) est un antagoniste des récepteurs opioïdes, avec un risque de syndrome de sevrage d’un traitement substitutif des opiacés (méthadone, buprénorphine [Subutex]) et des antalgiques opioïdes.
Le disulfirame (Esperal) ne diminue pas l’envie d’alcool mais agit par effet « antabuse ». Il provoque, lors de la prise même minime d’éthanol, une élévation du taux sérique d’acétaldéhyde. Celle-ci est responsable d’un flush du visage, du tronc et des membres, d’un malaise, de palpitations, de nausées et parfois de vomissements. Cette molécule peut être proposée aux patients très motivés.
Le baclofène (Lioresal) a longtemps bénéficié d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour le maintien de l’abstinence et dans la réduction de la consommation. Depuis le 15 juin 2020, il est commercialisé et dispose d’une AMM uniquement dans l’indication de réduction de la consommation.
Du fait de son élimination urinaire, il faut vérifier la fonction rénale avant la prescription afin d’éviter un risque de surdosage. Disponible sous 4 dosages (10, 20, 30 et 40 mg), la posologie initiale recommandée est de 15 à 20 mg par jour en 2 à 4 prises pendant 3 jours. Elle est ensuite augmentée par palier de 10 mg tous les 3 ou 4 jours. La dose maximale de 80 mg par jour ne doit pas être dépassée. Le nalméfène (Selincro) est utilisable dans la même indication.
Les troubles du sommeil doivent être systématiquement recherchés et traités car leur persistance après sevrage est prédictive de rechutes. On recommande des règles d’hygiène et si besoin la mélatonine, des hypnotiques et/ou sédatifs en évitant les benzodiazépines et apparentés en raison du risque important de dépendance croisée. Par exemple, on opte pour l’hydroxyzine (25 ou 50 mg)ou l’alimémazine(30 mg au maximum) en tenant compte des interactions. Ces molécules sont contre-indiquées avec certains antidépresseurs de type inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine, comme le citalopram : allongement du QT et risque de torsades de pointe.
Enfin, une hospitalisation en soins de suite et réadaptation (SSR) addictologique est parfois nécessaire, en cas de dépendance sévère et/ou ancienne, de comorbidité somatique ou psychiatrique importante, de situation sociale difficile ou d’environnement peu soutenant. Les sujets souffrant de troubles cognitifs significatifs bénéficient particulièrement d’une hospitalisation prolongée à l’abri de l’alcool, permettant le plus souvent une récupération partielle ou complète des capacités cognitives.
Une hospitalisation à temps partiel en hôpital de jour d’addictologie est possible pour les patients qui nécessitent des soins continus et spécifiques en addictologie, ou en alternative à une hospitalisation à temps plein tout en maintenant une certaine autonomie.
1. Mésusage d’alcool : quand viser l’abstinence ?
Comorbidité physique : cirrhose, pancréatite, troubles cognitifs, ataxie, neuropathie périphérique, cardiomyopathie alcoolique, cancer lié à l’alcool
Comorbidité psychique : troubles de l’humeur (dépression et bipolarité), anxieux (troubles panique, phobies sociales et spécifiques, anxiété généralisée), autres addictions
Grossesse
Dépendance physique
échec de la réduction de la consommation
Grande précarité sociale
2. Indications d’un sevrage alcoolique hospitalier
Dépendance physique : syndrome de sevrage sévère constaté ou rapporté
Consommation de benzodiazépines ou autres psychotropes à doses élevées
Comorbidité somatique : cirrhose, fragilité liée à l’âge
Situation sociale défavorable : faible soutien, précarité
échec de sevrage ambulatoire antérieur, importance du syndrome de sevrage
Grossesse
3. Sevrage d’alcool : ordonnance de premièreintention
Vitamine B1 : 500 mg par jour durant 1 à 3 semaines
Diazépam 10 mg per os :*
• 1-1-1-1 les 1er et 2e jours d’arrêt de l’alcool
• 1-1-1 le 3e jour
• 1-0-1 le 4e jour
• 0-0-1 le 5e jour – 1 boîte
Rester à la maison les 2 premiers jours
Ne pas conduire durant le traitement
Envisager un arrêt de travail et revoir rapidement le patient pour adapter la posologie selon les symptômes de sevrage ou la sédation
Hydratation selon la soif : en cas de syndrome de sevrage avéré, les apports hydriques doivent être suffisants (en moyenne 2 L/j) pour compenser les pertes (vomissements, sueurs, diarrhée) sans hyperhydratation (risque d’hyponatrémie).
* x-x-x-x : nombre de comprimé à prendre matin, midi, soir, coucher ; x-x-x : matin, midi, soir.
2. Santé publique France. Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France organisé par Santé publique France et l’Institut national du cancer. Juillet 2017. https://bit.ly/37zTnP0
3. Société française d’alcoologie. Mésusage de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement. Recommandation de bonne pratique. Alcoologie et Addictologie 2015;37:5-14. https://bit.ly/3avFOlu
4. Vabret F, Boudehent C, Blais Lepelleux AC, et al. Profil neuropsychologique des patients alcoolo- dépendants : identification dans un service d’addictologie et intérêt pour leur prise en charge. Alcoologie et Addictologie 2013:35:215-23.