D ’après l’Enquête nationale péri­natale de 2016, 30 % des femmes fumaient en début de grossesse, et près de 17 % encore au troisième trimestre, contre 1,7 % dans le monde. Facteurs de risque : conditions socio-économiques défavorables, âge jeune, primiparité ou encore conjoint fumeur.1
Le métabolisme de la nicotine, principale substance addictive, est modifié au cours de la grossesse, pouvant entraîner une augmentation de l’envie de fumer et une majoration du syndrome de sevrage. La dépendance peut être évaluée de manière assez fiable au cours des consultations de suivi par le questionnaire spécialisé de Fagerström ou plus précisément par le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders-5 ; 11 questions, score 2-3 : addiction faible ; 4-5 : modérée ; 6 et + : sévère). Notons ici que ces méthodes d’évaluation de la dépendance n’ont pas démontré à elles seules d’utilité dans l’obtention du sevrage tabagique.2

Impact sur la grossesse

Le tabagisme actif est associé à un risque accru de fausse couche spontanée au premier trimestre de la grossesse et de grossesse extra-utérine, proportionnellement au nombre de cigarettes fumées (niveau de preuve [NP]2). Aux deuxième et troisième trimestres : hausse du risque d’hématome rétroplacentaire, de mort fœtale in utero, de placenta prævia (NP2) et de césarienne (NP3).
Le nouveau-né, lui, est à risque de petit poids et de naissance prématurée avec une relation dose-effet (NP2).
L’interdiction du tabac dans les lieux publics a permis une baisse du nombre de naissances prématurées (NP2). En post-partum, le risque de thrombose veineuse profonde est accru en cas de tabagisme (NP3).3
Le tabagisme passif qui, selon l’OMS est l’exposition à la fumée dégagée par les produits du tabac, pourrait concerner jusqu’à 50 % de la population selon les chiffres anciens de 2004. Il est le plus important sur le lieu de vie et dans la voiture. S’y associe un risque accru de prématurité, de mort fœtale in utero et de poids de naissance inférieur à 2 500 g (NP2). Il est donc important de conseiller une éviction complète du tabac au domicile et dans la voiture.4
Conséquences chez l’enfant. Le tabagisme maternel, pendant la grossesse, accroît la probabilité de mort inattendue du nourrisson (NP2). On note également davantage de coliques du bébé, d’infections respiratoires basses, d’asthme dans l’enfance (NP2) et de surpoids et d’obésité à l’adolescence (NP2).
Initiation précoce du tabagisme et consommation tabagique ultérieure sont également plus fréquents à l’adolescence et à l’âge adulte (NP2).5

la nicotine n’est pas interdite

Prescrire un traitement de substitution nicotinique (TSN) pendant la grossesse permet une abstinence tabagique au cours de celle-ci (NP2), qui ne se maintient pas en post-partum (NP1). La coadministration de différentes formes galéniques pourrait améliorer son efficacité (encadré). Il n’y a pas de surrisque de fausse couche spontanée ni de malformation. Les effets indésirables sont rares et comparables à ceux en population générale (céphalées, nausées, vomissements ; NP2).
Un TSN, quelle que soit sa galénique, peut donc être proposé à toute femme enceinte fumeuse en cas d’échec de sevrage sans médicament. Les patientes doivent être rassurées malgré la présence, injustifiée, de pictogrammes indiquant « nicotine + grossesse = danger ». Si faux pas et reprise du tabac, le TSN doit être maintenu puisqu’il permet une réduction de la consommation tabagique (NP3). En revanche, les prescriptions non nicotiniques (bupropion, varénicline) ne sont pas recommandées, en raison des potentiels effets délétères (amphétaminiques, notamment du bupropion) et de l’absence de données.6
Systèmes électroniques de délivrance de nicotine. Le rapport bénéfice/risque de la cigarette électronique, ou des dispositifs comme Juul (où le tabac est chauffé, mais non brûlé) chez la femme enceinte fumeuse est inconnu à ce jour. Les données sont insuffisantes quant aux risques potentiels du propylène glycol/glycérol utilisé. Le principe de précaution prévaut et ils sont donc déconseillés, même s’ils peuvent sembler moins toxiques que la cigarette « traditionnelle » dans la population générale de fumeurs.7

Traitement non pharmacologique

Le counseling – conseil minimal, TCC et soutien comportemental – améliore le sevrage (NP1), avec un bénéfice modéré sur le poids de naissance et l’accouchement prématuré (NP2). L’intervention brève et l’entretien motivationnel semblent sans effet (NP2), contrairement aux études en population générale. L’auto-support (brochures, applications dédiées) et l’éducation à la santé (orale ou à l’aide de messages envoyés automatiquement par ordinateur, lettres d’information ou encore SMS) accroissent les chances de sevrage [RR = 1,59]), semblent efficaces (NP2) et sont donc recommandés.
L’hypnothérapie et l’acupuncture n’ont peu ou pas été étudiées. Il est crucial d’interroger toutes les patientes enceintes sur un éventuel tabagisme et de leur proposer divers types de conseils adaptés.
Des mesures d’incitation financière testées aux états-Unis et au Royaume-Uni, notamment celles conditionnées à l’abstinence (articles promotionnels, tickets de loterie, bons d’achat remis en cas de sevrage biologiquement objectivé), amélioreraient le résultat avec un rapport coût/bénéfice favorable. Les résultats de l’étude française FISCP devraient prochainement permettre d’établir des recommandations à ce sujet.8

Après l’accouchement

Bien que l’allaitement ne soit pas contre-indiqué, les patientes fumeuses allaitent moins leurs enfants que les non-fumeuses (NP2). Or allaiter est possible, ce d’autant que s’y associe une réduction de la consommation tabagique et/ou un sevrage (NP2). Un intervalle libre entre la dernière cigarette et la tétée limite la concentration de nicotine dans le lait (elle passe de 51 mg/L 35 min après la cigarette à 21 mg/L, 7 h après). L’utilisation des TSN est par ailleurs licite, contrairement au bupropion ou à la varénicline. Pour les femmes sevrées en cours de grossesse, le risque de reprise du tabagisme en post-partum est élevé, jusqu’à 82 % à 1 an en France. 9, 10

Pour des réseaux de soins dédiés

Le tabagisme au cours de la grossesse est un problème de santé publique, par sa fréquence et ses complications. La prise en charge n’est pas clairement définie en France : le dépistage en consultation est recommandé, mais la conduite à tenir n’est pas systématisée, tant en termes de TSN que d’accompagnement. À l’instar de la Grande-Bretagne, il serait donc utile, après un dépistage généralisé, d’orienter les femmes enceintes fumeuses vers un réseau de soins dédiés de proximité, et de les encourager régulièrement à s’y rendre. Les développer sur tout le territoire est nécessaire.11
Encadre

Grossesse : sevrage tabagique sur ordonnance !

Patchs nicotiniques

1 patch par jour à x mg*/16 ou 24 heures

Changer de zone d’application tous les jours. Ne pas les laisser à la portée des enfants, les recoller dans leur enveloppe après utilisation avant d’être jetés.


Pouvant être associé à :

• Pastilles de nicotine Prendre 1 pastille en cas d’envie de fumer Au maximum 12 par jour** Dosage de 1 à 4 mg à sucer***

Ou

Gommes de nicotine Mastiquer 3-4 fois par minute pendant 20-30 minutes** 2 ou 4 mg, selon l’intensité de la dépendance Ne pas dépasser 15 (si dosées à 4 mg) ou 30 (à 2 mg) gommes par jour

* Le nombre de mg est défini par le nombre de cigarettes fumées avant la substitution, 1 cigarette correspondant à 1 mg ; ** La femme enceinte s’autotitre toute seule ; *** 4 mg : réservé aux femmes très dépendantes avec consommation tabagique importante.

Références
Toutes les références sont issues du rapport d’experts et recommandations CNGOF-SFT sur la prise en charge du tabagisme en cours de grossesse et ont été publiées dans la revue Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie d’avril 2020.
1. Dochez V, Diguisto C. Épidémiologie et facteurs de risque de la consommation de tabac au cours de la grossesse (hors coaddictions). Doi : 10.1016/j.gofs. 2020.03.024.
2. Berveiller P, Guerby P, Rault E. Données physiologiques et psychologiques influençant le comportement tabagique de la femme enceinte. Doi : 10.1016/j.gofs. 2020.03.023.
3. Grangé G, Berlin I, Bretelle F, et al. Rapport d’experts et recommandations CNGOF-SFT sur la prise en charge du tabagisme en cours de grossesse – texte court. Doi : 10.1016/j.gofs.2020.04.005.
4. Rault E, Garabedian C. Conséquence du tabagisme passif chez la femme enceinte. Doi : 10.1016/j.gofs. 2020.03.027.
5. Torchin H, Lous ML, Houdouin V. Tabagisme pendant la grossesse : impact sur l’enfant, de la naissance à l’âge adulte. Doi : 10.1016/j.gofs.2020.03.026.
6. Blanc J, Koch A. Prise en charge médicamenteuse du tabagisme en cours de grossesse. Doi : 10.1016/j.gofs. 2020.03.030.
7. Garabedian C, Berveiller P, Guerby P. Autres méthodes de consommation pendant la grossesse : cigarette électronique, tabac chauffé, chicha et snus. Doi : 10.1016/j.gofs.2020.03.031.
8. Peyronnet V, Koch A, Rault E, et al. Prise en charge non pharmacologique du sevrage tabagique pendant la grossesse. Doi : 10.1016/j.gofs.2020.03. 029.
9. Lelous ML, Torchin H. Tabagisme et allaitement. Doi : 10.1016/j.gofs.2020.03.032.
10. Perdriolle-Galet E, Bertholdt C, Peyronnet V. Post-partum chez la femme tabagique sevrée en cours de grossesse : gestion du risque de reprise. Doi : 10.1016/j.gofs.2020.03.033.
11. Koch A, Blanc J. Quelle politique de prise en charge du tabagisme pendant la grossesse ? Doi : 10.1016/ j.gofs.2020.03.028.

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essentiel

30 % des patientes fument en début de grossesse, 17 % au troisième trimestre.

Il est nécessaire de dépister les fumeuses, en raison des complications maternelles, fœtales et infantiles

Si échec de sevrage, prescrire un TSN. Le conseil est également important.

Développer des réseaux de soins dédiés de proximité est nécessaire.