Juliette Vassalli et Marion Claes suivent une formation spécialisée en soins palliatifs ; elles témoignent ici de leur expérience.
Les soins palliatifs, qui prônent une prise en charge globale du patient atteint d’une maladie grave et évolutive pouvant conduire au décès, sont l’exemple même d’une approche remettant la personne au centre du soin. Pourtant, et alors que « rien de ce qui est humain » (la mort en premier lieu !) ne devrait « être étranger » au médecin, l’approche palliative est fort mal connue et peu maîtrisée. En cause : surtout le manque de formation. Entretien avec Juliette Vassalli et Marion Claes, internes en gériatrie suivant une formation spécialisée transversale (FST) en soins palliatifs.
Pourquoi choisir de se former aux soins palliatifs ?
La démarche palliative, par les compétences multiples qu’elle demande – dans le champ de l’antalgie, la gestion des divers symptômes et souffrances associés à des parcours de soins difficiles –, remet la personne au centre de la prise en charge. En effet, elle a pour but non seulement de soulager les douleurs et autres symptômes mais aussi de prendre en compte la souffrance psychique, sociale et spirituelle, et de soutenir l’entourage, comme le souligne bien la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). Des aspects qui constituent, finalement, le cœur même de la médecine !
Si l’approche palliative est fondamentale lorsqu’il s’agit de considérer des patients en fin de vie – et à ce titre indispensable dans une spécialité comme la nôtre (la gériatrie) –, il n’y a pas que les gériatres qui sont concernés ! Car, d’une part, toute démarche palliative s’inscrit dans la pluridisciplinarité et, d’autre part, tout praticien a affaire, tôt ou tard, à des patients en fin de vie. Après tout, le médecin n’est pas seulement celui qui combat la mort, mais aussi celui qui accompagne la vie…
Quelle est la place du généraliste, et quelles sont ses ressources ?
Le médecin traitant a une place centrale dans l’organisation des soins palliatifs, notamment lorsque le patient reste à domicile. Il joue notamment un rôle de coordinateur en sollicitant les différentes structures (réseaux, équipes mobiles de soins palliatifs [EMSP], hospitalisation à domicile [HAD], dispositif Pallidom [encadré]) mais aussi en s’assurant que tous les soins sont réalisables (et réalisés) au domicile, que le rythme du patient est respecté, etc. (
Au cours de notre formation, nous avons d’ailleurs rencontré de nombreux généralistes qui ont fait une formation complémentaire en soins palliatifs et sont même devenus « palliatologues » par la suite, témoignant de l’importance de maîtriser cette approche en médecine générale. Il faut savoir que la formation que nous suivons n’est adressée qu’aux internes (une FST prolonge l’internat d’un an, en l’occurrence par la réalisation de deux stages : six mois en unité de soins palliatifs à l’hôpital et six mois en EMSP), mais d’autres formations en soins palliatifs pour les médecins thésés existent (des diplômes universitaires).
Quelles sont, selon vous, les principales lacunes dans la compréhension et la mise en place des soins palliatifs ?
Si la clinique et les diagnostics restent au cœur de la médecine palliative, une place centrale est donnée aux symptômes – leur soulagement – et à l’accompagnement dans toutes ses dimensions. Or, souvent par manque d’information et de formation, certains médecins (quelle que soit la spécialité) peuvent craindre les thérapeutiques disponibles, en particulier en ce qui concerne le soulagement de la douleur.
Deux effets délétères en découlent : soit le médecin, désireux de soulager son patient mais ne maîtrisant pas suffisamment les outils thérapeutiques, entraîne d’emblée une sédation qui ne serait pas forcément nécessaire ; soit, de peur de surdoser, il est réfractaire à l’utilisation de cette pratique, privant ainsi le patient d’une fin de vie apaisée. C’est un sujet particulièrement d’actualité car, depuis 2020, les médecins de ville peuvent prescrire le midazolam à l’issue d’une concertation interdisciplinaire (utilisé notamment pour la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès [SPCMD] chez certains patients en fin de vie, dont la souffrance est réfractaire aux traitements et le pronostic vital engagé à court terme*). Mais – et beaucoup de médecins ne le savent pas – les pratiques sédatives ne se limitent pas à la SPCMD**. Il peut arriver aussi, en ville ou à l’hôpital, que l’on choisisse la sédation du patient parce qu’on ne sait pas gérer le symptôme douloureux alors que, quand on est formé aux soins palliatifs, on peut parfois gérer ce symptôme autrement, en recourant éventuellement à la sédation lorsqu’on arrive au bout des possibilités thérapeutiques. Rien de plus normal car – comme tout – la démarche palliative, ça s’apprend !
Bien sûr, tous les médecins ne peuvent pas se former à tout, d’où l’importance des équipes spécialisées en soins palliatifs comme celles où nous travaillons actuellement : les EMSP. Bien qu’implantées dans un établissement de santé, elles ont en effet un champ d’action qui s’étend à la médecine ambulatoire, au domicile, aux Ehpad ou autres structures de soins, en partenariat avec les réseaux de soins palliatifs existants. Par essence pluridisciplinaires (médecins, infirmiers, psychologues, associations de bénévoles…), elles jouent un véritable rôle de soutien, pour aider l’équipe référente, sans s’y substituer, à prendre en charge un patient. Elles apportent un regard expert non seulement dans des situations de douleur mais dans tous les autres aspects de l’accompagnement du malade : toilette et alimentation, discussions sur les thérapeutiques, écoute et accompagnement psychologique, aide à l’orientation, soit vers une unité hospitalière de soins palliatifs lorsque la situation est très complexe, soit pour un retour à domicile – où les liens avec le médecin traitant sont très importants.
On le voit, pour bien prendre soin des patients et de leurs proches (mais aussi des soignants eux-mêmes dans ces situations compliquées !), il faut du personnel. Ce dernier point peut paraître évident, mais il est loin d’être acquis – la crise du Covid l’a bien montré dans d’autres domaines du système sanitaire.
Finalement, que dire de la proposition de loi présentée en avril 2021 sur la fin de vie ?
C’est une question complexe, car cette proposition de loi maintenait un flou important : l’article 1 évoque une « aide active à mourir », définie comme « la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle‑ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin » ; on comprend qu’il s’agit là d’euthanasie, mais quid du suicide assisté ? Or ces deux concepts ne sont pas équivalents du point de vue du médecin : dans le premier cas, l’action est réalisée par le médecin, qui administre lui-même le produit létal mettant fin à la vie du patient sur sa demande ; dans le second, c’est le patient qui effectue l’action, avec les produits que le médecin lui aura prescrits.
De plus, il n’est pas précisé dans ce projet de loi – à notre connaissance – si le médecin « prescripteur » d’une euthanasie ou d’un suicide assisté doit être formé aux soins palliatifs ; c’est peu judicieux, car la fin de vie est une situation complexe qui, on l’a vu, nécessite une expertise particulière – les « palliatologues » y sont habitués. À cela s’ajoute que les délais évoqués par ce projet sont peu réalistes (48 heures pour réorienter le patient, 4 jours à partir de sa demande initiale pour rendre des conclusions…).
Pour nous, ce qui ressort de ces débats est une méconnaissance de la loi actuelle sur la fin de vie. Certains médias parlent même de la SPCMD comme d’une « euthanasie passive » : c’est faux… Rappelons encore que la visée des soins palliatifs est surtout d’éviter les investigations et les traitements déraisonnables (acharnement thérapeutique), et de soulager le patient sous tous les aspects et avec divers outils ; il ne s’agit pas de provoquer intentionnellement la mort, mais de s’efforcer de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’au décès, tout en proposant un soutien aux proches.
Bien entendu, une législation à l’avenir sur le suicide assisté en France est probable, compte tenu des évolutions sociétales et des prises de position d’autres pays. Plusieurs questions se posent : dans quelles conditions ? où ? selon quels critères ? comment l’accompagner ? Mais si, déjà, la loi actuelle sur la fin de vie est mieux comprise, alors elle sera mieux appliquée ; avant de se lancer dans d’autres projets de loi, il faudrait pouvoir utiliser au mieux les ressources qui existent déjà. Pour cela, une meilleure formation de tous les médecins – mais aussi une meilleure information du grand public – seraient tout à fait utiles…
* La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 a parachevé le droit d’accès aux soins palliatifs et à l’accompagnement de la fin de vie, au titre du refus de l’obstination déraisonnable : réaffirmation du droit du malade à l’arrêt de tout traitement et à bénéficier entre autres de la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. Elle place le patient au cœur du processus décisionnel en rendant ses directives anticipées contraignantes pour le médecin (NDLR).** Voir fiche « Pratiques sédatives : de quoi parle-t-on ? »,p. 167.
Dispositif Pallidom
Actuellement à l’essai dans 136 communes franciliennes, ce dispositif permet d’apporter au domicile les principes d’une démarche palliative, concertée collégialement, dans un délai court, pour les patients qui ne sont pas préalablement intégrés dans une filière de soins palliatifs à domicile (HAD ou EMSP). Cette expérimentation, lancée le 6 septembre 2021 pour douze mois, s’appuie sur un binôme IDE-médecin intervenant dans les heures qui suivent une décompensation chez les patients dont la volonté est de rester dans leur lieu de vie (Ehpad ou domicile).
Magnin A, Picard S, Sardin B, et al. Soins palliatifs en fin de vie. Gérer les symptômes d’inconfort. Rev Prat Med Gen 2019;33(1032):875-80.
Derniaux A, Hidoux P, Bermond MH. Fin de vie. Démarche palliative en Ehpad : qui fait quoi ? Rev Prat Med Gen 2020;34(1035):101-7.
Chazot I, Henry J. Les jeunes praticiens face à la sédation en fin de vie. Rev Prat 2020;70(9)947-9.