L’approche palliative est mal connue et peu maîtrisée. Pourtant, le médecin traitant n’est pas seulement celui qui combat la mort, mais aussi celui qui accompagne la vie ! Il joue un rôle coordinateur dans l’organisation des soins palliatifs (notamment lorsque le patient reste à domicile) et peut prescrire la sédation profonde et continue. Entretien avec Juliette Vassalli (équipe mobile douleur et soins palliatifs, hôpital Corentin Celton, AP-HP, Issy-Les-Moulineaux) et Marion Claes (unité douleur et soins palliatifs, hôpital Sainte Périne, AP-HP, Paris).
Pourquoi un médecin généraliste devrait-il se former aux soins palliatifs ?
La démarche palliative, par les compétences multiples qu’elle demande – dans le champ de l’antalgie, la gestion des divers symptômes et souffrances associés à des parcours de soins difficiles – remet la personne au centre de la prise en charge. En effet, elle a pour but non seulement de soulager les douleurs et autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychique, sociale et spirituelle, et de soutenir l’entourage, comme le souligne bien la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).
Il n’y a pas que les gériatres qui sont concernés ! Car, d’une part, toute démarche palliative s’inscrit dans la pluridisciplinarité et, d’autre part, tout praticien a affaire, tôt ou tard, à des patients en fin de vie.
Quelle est le rôle du généraliste, et quelles sont ses ressources ?
Le médecin traitant a une place centrale dans l’organisation des soins palliatifs, notamment lorsque le patient reste à domicile. Il joue un rôle de coordinateur en sollicitant les différentes structures (réseaux, équipes mobiles de soins palliatifs [EMSP], hospitalisation à domicile [HAD], dispositif Pallidom1 [v. figure]), et en s’assurant que tous les soins sont réalisables (et réalisés) au domicile, que le rythme du patient est respecté, etc.
Au cours de notre formation spécialisée transversale (FST)2 en soins palliatifs, nous avons d’ailleurs rencontré de nombreux généralistes qui sont même devenus « palliatologues » par la suite, témoignant de l’importance de maîtriser cette approche en médecine générale.
D’après : Magnin A, Picard S, Sardin B, et al. Soins palliatifs en fin de vie. Gérer les symptômes d’inconfort. Rev Prat Med Gen 2019;33(1032):875-80.
Quelles sont les principales lacunes dans la compréhension et la mise en place des soins palliatifs ?
Le soulagement des symptômes et l’accompagnement dans toutes ses dimensions sont au cœur de la prise en charge. Or, souvent par manque d’information et de formation, certains médecins (quelle que soit la spécialité) peuvent « craindre » les thérapeutiques disponibles, en particulier en ce qui concerne le soulagement de la douleur.
Deux effets délétères en découlent : soit le médecin, désireux de soulager son patient mais ne maîtrisant pas suffisamment les outils thérapeutiques, entraîne d’emblée une sédation qui ne serait pas forcément nécessaire ; soit, de peur de surdoser, il est réfractaire à l’utilisation de cette pratique, privant ainsi le malade d’une fin de vie apaisée. C’est un sujet particulièrement d’actualité car, depuis 2020, les médecins de ville peuvent prescrire le midazolam à l’issue d’une concertation interdisciplinaire (utilisé notamment pour la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès [SPCMD] chez certains patients en fin vie, dont la souffrance est réfractaire aux traitements et le pronostic vital engagé à court terme3). Mais – et beaucoup de médecins ne le savent pas – les pratiques sédatives ne se limitent pas à la SPCMD. Il peut arriver aussi, en ville ou à l’hôpital, que l’on choisisse la sédation du patient parce qu’on ne sait pas maîtriser le symptôme douloureux, alors que quand on est formé aux soins palliatifs, on peut parfois gérer ce symptôme autrement, en recourant éventuellement à la sédation lorsqu’on arrive au bout des possibilités thérapeutiques.
Bien sûr, les médecins ne peuvent pas se former à tout, d’où l’importance des équipes spécialisées en soins palliatifs : les EMSP, en particulier, car bien qu’implantées dans un établissement de santé, elles ont un champ d’action qui s’étend à la médecine ambulatoire, au domicile, aux Ehpad ou autres structures de soins, en partenariat avec les réseaux de soins palliatifs existants. Par essence pluridisciplinaires (médecins, infirmiers, psychologues, associations de bénévoles…), elles jouent un véritable rôle de soutien de l’équipe référente, sans s’y substituer. Elles apportent un regard expert, sur la gestion de la douleur mais aussi sur tous les autres aspects de l’accompagnement : toilette et alimentation, discussions sur les thérapeutiques, écoute et accompagnement psychologique, aide à l’orientation, soit vers une unité hospitalière de soins palliatifs lorsque la situation est très complexe, soit vers un retour à domicile – où les liens avec le médecin traitant sont très importants.
On le voit : pour bien prendre soin des patients et de leurs proches (mais aussi des soignants eux-mêmes dans ces situations compliquées !), il faut du personnel ! Cela peut paraître évident, mais il est loin d’être acquis – la crise du Covid l’a bien montré dans d’autres domaines du système sanitaire.
Que pensez-vous de la dernière proposition de loi sur la fin de vie ?
C’est une question complexe, car cette proposition de loi présentée en avril 2021 maintenait un flou important : l’article 1 évoque une « aide active à mourir », définie comme « la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle‑ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin » : on comprend qu’il s’agit là d’euthanasie, mais quid du suicide assisté ? Or ces deux concepts ne sont pas équivalents du point de vue du soignant : dans le premier cas, l’action est réalisée par le médecin, qui administre lui-même le produit létal mettant fin à la vie du patient sur sa demande ; dans le second, c’est le patient qui effectue l’action, avec les produits que le médecin lui aura prescrits.
De plus, il n’est pas précisé dans ce projet de loi si le médecin « prescripteur » d’une euthanasie ou d’un suicide assisté doit être formé aux soins palliatifs : c’est peu judicieux, car la fin de vie est une situation complexe qui, on l’a vu, nécessite une expertise particulière. À cela s’ajoute que les délais évoqués par ce projet sont peu réalistes (48 heures pour réorienter le patient, 4 jours à partir de sa demande initiale pour rendre des conclusions…).
Ce qui ressort de ces débats est une méconnaissance de la loi actuelle sur la fin de vie. Certains médias parlent même de la SPCMD comme d’une « euthanasie passive » : c’est faux ! Rappelons encore que la visée des soins palliatifs est surtout d’éviter les investigations et les traitements déraisonnables (acharnement thérapeutique), et de soulager le patient sous tous les aspects et avec divers outils ; il ne s’agit pas de provoquer intentionnellement la mort, mais de s’efforcer de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’au décès, tout en proposant un soutien aux proches en deuil.
Bien entendu, une législation à l’avenir sur le suicide assisté en France est probable, compte tenu des évolutions sociétales et des prises de position d’autres pays. La question, c’est : dans quelles conditions, où, selon quels critères ? comment l’accompagner ? Mais avant de se lancer dans d’autres projets de loi, il faudrait déjà pouvoir utiliser au mieux les ressources existantes ! Si la loi actuelle sur la fin de vie était mieux comprise (via la formation des médecins et du grand public), elle serait mieux appliquée…
Par Laura Martin Agudelo et Christelle Angély
À lire aussi :
Martin Agudelo L. Midazolam en ville : enfin disponible en officine. Rev Prat (en ligne), 9 mars 2022.
Magnin A, Picard S, Sardin B, et al. Soins palliatifs en fin de vie. Gérer les symptômes d’inconfort. Rev Prat Med Gen 2019;33(1032):875-80.
Derniaux A, Hidoux P, Bermond MH. Fin de vie. Démarche palliative en Ehpad : qui fait quoi ? Rev Prat Med Gen 2020;34(1035):101-7.
Chazot I, Henry J. Les jeunes praticiens face à la sédation en fin de vie. Rev Prat 2020;70(9)947-9.
Grouille D. Fin de vie : les options belge, suisse et orégonaise. Rev Prat 2019;69(1):25-30.
Notes : (1). Le dispositif Pallidom, actuellement à l’essai dans 136 communes franciliennes, permet d’apporter au domicile les principes d’une démarche palliative, concertée collégialement, dans un délai court, pour les patients qui ne sont pas préalablement intégrés dans une filière de soins palliatifs à domicile (HAD ou EMSP). Cette expérimentation, lancée le 6 septembre 2021 pour 12 mois, s’appuie sur un binôme IDE-médecin intervenant dans les heures qui suivent une décompensation chez les patients dont la volonté est de rester dans leur lieu de vie (Ehpad ou domicile). (2). Une FST, réalisée pendant l’internat, prolonge celui-ci de 1 an, en l’occurrence par la réalisation de 2 stages : 6 mois en unité de soins palliatifs à l’hôpital et 6 mois en EMSP. Pour les médecins thésés, d’autres formations en soins palliatifs existent (diplômes universitaires). (3). La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 a parachevé le droit d’accès aux soins palliatifs et à l’accompagnement de la fin de vie, au titre du refus de l’obstination déraisonnable : réaffirmation du droit du malade à l’arrêt de tout traitement et à bénéficier entre autres de la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. Elle place le patient au cœur du processus décisionnel en rendant ses directives anticipées contraignantes pour le médecin.