La vaccination massive de la population a permis, en France, un reflux de l’épidémie de Covid plus important que prévu. Un retour progressif à la normale qui permet de mesurer les dégâts collatéraux pour la santé liés à cet événement : patients perdus de vue (souvent les plus précaires), bilans et traitements suspendus ou retardés aggravant les pertes de chance, augmentation des troubles psychiques, des addictions, des violences familiales, vaccinations non faites… la liste est longue.
C’est le cas du tabagisme pour lequel le Covid a été un bel allié. Santé publique France avait constaté que plus d’un quart des fumeurs avaient augmenté leur consommation pendant le premier confinement, pour le plus grand bonheur des buralistes… Indépendamment, la consommation de tabac se stabilise en France, après la forte décrue observée entre 2014 et 2019 (1,9 million de fumeurs quotidiens en moins). En 2020, « plus de trois adultes de 18 à 75 ans sur dix déclaraient fumer (31,8 %) et un quart déclaraient fumer quotidiennement (25,5 %). La prévalence du tabagisme quotidien ne varie pas significativement par rapport à 2019 » et plus encore « elle a augmenté de 29,8 à 33,3 % parmi le tiers de la population dont les revenus étaient les moins élevés », une hausse intervenue avant le premier confinement et qui confirme que les inégalités sociales demeurent ici très importantes.1
Pendant ce temps, l’industrie du tabac n’est pas inactive, face au défi que représentent pour elle la diminution du nombre de fumeurs et la nécessité d’en recruter de nouveaux parmi les jeunes, pour remplacer ceux qui meurent prématurément à cause de la cigarette. Un possible effet protecteur de la nicotine contre le Covid-19, relayé par des études controversées, a ouvert une brèche dans laquelle elle s’est engouffrée… Plus subtile encore est la façon dont elle s’empare de la notion de réduction des risques pour promouvoir des modes alternatifs destinés à apporter la dose de nicotine nécessaire à la création d’une dépendance (notamment auprès de jeunes n’ayant jamais fumé qui pourront ainsi passer à la cigarette classique)… Les industriels, après avoir racheté les fabricants de cigarette électronique, tentent désormais, avec toute la manipulation qui leur est coutumière, d’accréditer auprès des autorités de santé l’idée que le tabac chauffé serait moins dangereux que le tabac brûlé. Philippe Morris a même créé une fondation pour « mettre fin au tabagisme en une génération » et promouvoir « un avenir sans fumée » ! 2-4
Il est donc urgent de relancer la lutte contre le tabagisme et de prendre au mot le défi présidentiel d’une génération sans tabac en 2030, en continuant à augmenter significativement le prix des cigarettes (mesure la plus efficace) et en ne cédant pas aux sirènes des industriels. Dans ce contexte, il faut soutenir aussi l’initiative du prochain Mois sans tabac et inciter les fumeurs à s’inscrire sur le site dédié (https://mois-sans-tabac.tabac-info-service.fr) pour bénéficier de conseils et relever ce défi : « 30 jours d’arrêt essentiels car ils multiplient par 5 les chances d’arrêter de fumer définitivement lorsque ce premier défi est accompli, car au-delà de 30 jours, les symptômes de manque sont largement réduits ». Parlez-en à vos patients !
1. Pasquereau A, Andler R, Guignard R, Soullier N, Gautier A, Richard JB, et al. Consommation de tabac parmi les adultes en 2020 : résultats du Baromètre de Santé publique France. BEH 2021 [cité le 14 octobre 2021];8:132-9. Disponible sur : http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/8/pdf/2021_8_1.pdf
2. Emmanuelle Béguinot E, Martinet Y. Stratégie de l’industrie du tabac pour recruter de nouveaux et jeunes fumeurs. Rev Prat 2021;71(3):279-82.
3. « Les grandes manœuvres de l’industrie du tabac pour réhabiliter la nicotine » in : Le Monde du 29 décembre 2020.
4. « La guerre secrète de Philip Morris » in : Le Monde du 16 avril 2021.