De nombreux sportifs font usage de produits dopants et un mésusage de psychotropes, avec un risque de dépression secondaire et de conduites addictives. La délivrance d’un certificat médical d’aptitude doit être l’occasion d’une interrogation sur une éventuelle consommation.
Les pratiques sportives sont très répandues dans nos sociétés et contribuent à l’épanouissement psychosocial de leurs acteurs. Entraînant des bénéfices sanitaires indéniables, elles sont le plus souvent source de plaisirs et d’émotions individuels et partagés. Cependant, il semble aussi qu’elles puissent générer ou être la conséquence d’une souffrance psychique. Ainsi, un suivi psychologique est indiqué chez 15 à 20 % des sportifs inscrits sur les listes de haut niveau, les principaux motifs étant les troubles anxieux et les conduites addictives.1 Par ailleurs, les conduites dopantes dont la presse généraliste se fait souvent l’écho sont répandues. L’usage de substances est donc fréquent chez les sportifs, que ce soit pour améliorer les performances ou pour décompresser avant ou après les grandes échéances. Nous proposons, après avoir rapporté quelques définitions et données épidémiologiques, de présenter tant les facteurs favorisant l’usage d’une substance psychoactive ou dopante en milieu sportif que les conséquences de cet usage. Enfin, nous aborderons les mesures à mettre en œuvre en termes de prévention.

Quelques définitions

Une substance psychoactive est une substance qui, lorsqu’elle est ingérée ou administrée, altère les processus mentaux, comme les fonctions cognitives, l’humeur ou l’affect. Une conduite addictive se définit par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de ce comportement en dépit de ses conséquences négatives (physiques, psychiques, familiales, professionnelles, sociales).2Une conduite dopante est l’utilisation d’une substance dans le but de surmonter un obstacle réel ou supposé à des fins de performances. L’obstacle pouvant être un examen, un entretien d’embauche, une compétition sportive.3 Le dopage est l’utilisation, lors de compétitions sportives, de substances ou méthodes interdites inscrites sur une liste établie par l’Agence mondiale antidopage.Une conduite à risque consiste en l’exposition à une probabilité non négligeable de se blesser ou de mourir, de léser son avenir personnel ou de mettre sa santé ou celle des autres en péril.4

Quelle prévalence en milieu sportif ?

L’usage de produits dopants semble répandu, avec des estimations très variables en fonction des pays et des années (10 % selon une étude française de 2000,5 2 % en 2016 selon l’Agence française de lutte contre le dopage6 [fig. 1], jusqu’à plus de 50 % dans une étude7 réalisée lors des championnats panarabes d’athlétisme en 2011). En revanche, toutes les données épidémiologiques dont nous disposons à l’heure actuelle permettent d’affirmer que l’usage de substances psychoactives est fréquent en milieu sportif (15-20 % pour les stimulants comme les amphétamines et la cocaïne, 8-9 % des résultats positifs pour le cannabis, et cela malgré la modification du seuil de positivité).6, 8

Motivations de l’usage et facteurs de risque du mésusage

L’usage de substances psychoactives par le sportif peut avoir plusieurs buts, en fonction du produit utilisé et de la discipline pratiquée. Une étude socio- logique a mis en évidence quatre principales motivations de consommer des substances lors de la pratique sportive :9– découvrir et accroître des capacités sensorielles (augmentation de la concentration, sensibilité accrue au bruit et au toucher, hypervigilance) ; – se préparer à la compétition (amphétamines à visée stimulante, cannabis, benzodiazépines et alcool à visée anxiolytique, tout en sachant que l’alcool* et les benzodiazépines ne sont pas inscrits sur la liste des produits dopants) ;– augmenter la prise de risque pour aller chercher la victoire, pouvant aller jusqu’à des conduites ordaliques souvent dangereuses pour le sportif (par exemple, en cas de prise de cocaïne qui procure un sentiment d’invincibilité) ;10– décompresser à l’issue de la compétition en adoptant des conduites excessives (alcoolisations massives après un match, par exemple). Plusieurs facteurs sont susceptibles d’inciter le sportif à se doper. Tout d’abord, l’entraîneur peut jouer un rôle dans l’initiation d’une conduite dopante, en particulier lorsque ce dernier entretient une relation d’emprise avec son élève, en usant de son influence pour qu’il utilise une substance dans le but d’améliorer ses performances. Ce phénomène peut aussi se retrouver sous l’influence d’autres pairs comme les parents ou l’entourage. Ensuite, le passage d’amateur à professionnel est aussi identifié comme une période à risque pour l’initiation des conduites dopantes, du fait d’une obligation de résultat plus importante. Enfin, l’isolement social, une faible estime de soi et le surinvestis- sement sportif sont aussi des facteurs de risque.
Lors de l’usage d’une substance psychoactive, il est important de distinguer s’il s’agit d’un usage simple (par exemple, un individu qui consomme un verre d’alcool de temps en temps, sans caractère pathologique ni conséquence sur sa santé physique et psychique) ou d’un mésusage, lorsque l’utilisation d’une substance psychoactive est délétère. Il existe trois degrés de mésusage : l’usage à risque où l’individu s’expose à des complications liées à sa consommation mais qui ne sont pas encore présentes, l’usage nocif lorsque l’individu a une consommation répétée avec des compli- cations physiques, psychiques ou sociales, et enfin la dépendance ou conduite addictive qui se caractérise par l’impossibilité de s’abstenir de consommer malgré les conséquences négatives.2Une conduite addictive peut survenir chez certains individus vulnérables. Il est classique d’évoquer un modèle trivarié, expliquant que l’addiction est le résultat de la rencontre entre une personnalité, un produit, appelé objet addictif, et un moment socioculturel (fig. 2). L’addiction apparaîtra, puis se maintiendra, à la faveur de l’interaction de facteurs individuels, liés à la substance et liés au contexte. Les facteurs de risque liés au produit sont l’acces- sibilité au produit, son potentiel addictif et psycho- actif, c’est-à-dire la faculté de perturber les perceptions et la cognition.

Facteurs de risque individuels

Pour ce qui est des facteurs de risque individuels de conduite addictive, on retient le sexe masculin, ainsi que l’adolescence, du fait d’une plus grande fragilité psychologique et du caractère plus influençable durant cette période de la vie. L’initiation à l’usage de substances y est très fréquente, et les conduites à risque sont multiples (sexuelles, automobiles, sportives). De même, la présence d’antécédents personnels et familiaux de comorbidités psychiatriques et addictives est un facteur de risque, ainsi que la coexistence d’événements de vie négatifs (deuil, séparation, chômage) et traumatiques (abus sexuel, maltraitance).2 On peut aussi observer des traits de personnalité particuliers. Ainsi, les sujets ayant un niveau élevé d’impulsivité et de recherche de sensations sont plus à risque de développer un comportement addictif et des conduites ordaliques, c’est-à-dire des conduites à risque où l’individu cherche à défier la mort, d’où l’association fréquente entre les sports extrêmes et l’usage de substances psychoactives.11 Une équipe émet même l’hypothèse qu’il existerait un lien entre les substances consommées par voie intraveineuse et les sports extrêmes, car l’effet flash de l’injection serait similaire à la décharge d’adrénaline éprouvée lors de la pratique de sports extrêmes. Cependant, cette hypothèse n’a jamais été réellement prouvée.11

Facteurs de risque environnementaux

Concernant les facteurs de risque environnementaux, la pratique de sports culturistes est souvent associée à l’usage de stéroïdes anabolisants (qui sont des substances dopantes mais non psychoactives).12 L’utilisation d’opiacés (morphine, héroïne, codéine) à visée antalgique, quant à elle, peut se retrouver dans les sports d’endurance, sports où la sécrétion d’endorphine est importante et où les sportifs sont plus sujets à des douleurs physiques liées à un effort musculaire intense, mais il ne s’agit que d’une hypothèse.13 Par ailleurs, le fait de participer à des compétitions de niveaux national et international est un facteur de risque d’ivresses alcooliques.14 En effet, chez les sportifs de haut niveau, la consommation de substances psycho- actives est limitée du fait de la nécessité régulière de se trouver dans un état physique optimal permettant d’atteindre la performance recherchée. Cependant, il n’est pas rare qu’après une compétition le sportif s’autorise une conduite festive en usant de substances psychoactives non seulement pour décompresser ou fêter une éventuelle victoire mais aussi pour anticiper la période de reprise des entraînements et des compétitions.15 Enfin, le risque de développer un mésusage de substances psychoactives paraît d’autant plus important s’il existait auparavant une addiction au sport ou une pratique sportive intensive de plus de 8 heures par semaine, comme l’a constaté une étude qui montrait que plus de 20 % des patients suivis dans un centre d’addictologie avaient eu une pratique sportive intensive,16 résultat qui a été confirmé par une étude menée en 2016 au centre hospitalier universitaire de Nantes où 28 % des patients hospitalisés dans une unité de soins en addictologie avaient eu une pratique sportive intensive.17 La pratique sportive modérée serait en revanche protectrice vis-à-vis du risque addictif par rapport aux sujets sédentaires.17

Conséquences

Outre les risques de complications somatiques propres aux substances consommées, les sportifs qui ont recours à des conduites dopantes et à des substances psycho- actives ont un risque non négligeable de développer des pathologies addictives et psychiatriques.En effet, ces sportifs ont un risque plus important d’évoluer vers une dépendance, surtout lors d’une interruption de carrière (blessure, retraite). Les substances psychoactives peuvent aider le sportif à supporter l’arrêt de sa pratique sportive, soit en lui procurant du plaisir, soit en le soulageant d’une sensation de mal-être, avec une répétition néfaste des prises. Le mésusage de substances psychoactives est aussi associé à un risque de dépression, risque qui est majoré en cas d’arrêt de la pratique sportive, en particulier lorsque le sport était utilisé dans un but de renarcis- sisation et de lutte contre l’effondrement dépressif.18

Prévention en milieu sportif

Depuis 2001, avec un renforcement en 2006, le ministère de la Santé et des Sports a instauré un bilan psychologique systématique, entrant dans le cadre du suivi médical réglementaire, pour tous les sportifs de haut niveau. Le but de ce bilan psychologique est de prévenir et de déceler des difficultés psychologiques liées à une pratique sportive intensive, de repérer les sportifs à risque de développer une addiction ou une complication psychiatrique (trouble anxieux et épisode dépressif principalement). Depuis 2016, ce bilan doit être réalisé une fois par an pour tous les sportifs, majeurs comme mineurs. Enfin, il est important que tous les médecins traitants délivrant des certificats médicaux d’aptitude à l’exercice physique interrogent leurs patients au sujet de leur consommation de substances psychoactives, et ce quels que soient l’âge, le type de sport pratiqué et l’intensité de la pratique sportive. En effet, les sportifs en bonne santé physique ont généralement peu recours aux soins, et la nécessité de produire un certificat médical est l’occasion pour le médecin d’explorer en consultation leurs habitudes de vie (alimentaire, usage de substances, sommeil) et d’évaluer leur état psychologique (présence de trouble anxieux ou de symptômes dépressifs), pour diagnostiquer précocement les complications liées à un surinvestissement sportif. Après avoir effectué ce repérage précoce, le médecin peut alors délivrer des messages de prévention (risques liés à la consommation, seuil de consommation pour l’alcool), puis orienter le patient, s’il le souhaite, vers un centre de soins en addictologie ou, s’il s’agit d’une conduite dopante, vers une antenne médicale de prévention du dopage.
Pour conclure, la prise de substances dopantes ou psychoactives en milieu sportif est fréquente et doit être systématiquement recherchée. De même, un test positif au contrôle antidopage ne doit pas être banalisé. Outre la sanction disciplinaire, une prise en charge adaptée dans une antenne médicale de prévention du dopage doit être proposée au sportif. Ces dispositifs médicaux spécialisés accompagnent psychologiquement les sportifs, qui sont exposés aux exigences de leur discipline, car le risque de développer une toxicomanie et une dépression est non négligeable, en particulier lorsque les sportifs arrêtent de pratiquer une activité physique (retraite ou blessure).
* L’alcool est toutefois interdit en compétition dans 4 sports : automobile, tir à l’arc, aéronautique et motonautique. Voir la liste des interdictions de la World anti-doping agency
Références
1. Prétagut S, Guérineau B. De la prise de risques à l’addiction chez l’adolescent sportif. Mt pédiatrie 2016;19:131-40.
2. Collège national des enseignants en psychiatrie et en addictologie. 2e Référentiel. 2016 ; module 6 : 388-483.
3. Laure P. Dopage et société. Paris : Ellipses, 2000.
4. Le Breton D. Les conduites à risque des jeunes. Lien Social 2003;652:15.
5. Laure P. Doping in amateur adult athletes aged 15 and over. J Perf Enh Drugs 1998;2:16-21.
6. Agence française de lutte contre le dopage. Rapport d’activité, 2016.
7. Ulrich R, Pope HG, Cléret L, et al. Doping in two elite athletics competitions assessed by randomized-response surveys. Sports Med 2018;48:211-9.
8. World anti-doping agency. Anti-doping testing figures report. WADA, 2012. www.wada-ama.org
9. Jacob E, Aquatias S. Usage de psychotropes et prévention des conduites à risques : tome II – Pratiques sportives. Conseil général de la Seine-Saint-Denis, Mission prévention des toxicomanies, septembre 1998.
10. Kingsland M, Wiggers J.H, Vashum KP, Hodder RK and Wolfenden L. Interventions in sports settings to reduce risky alcohol consumption and alcohol-related harm: a systematic review. Syst Rev 2015;5:12.
11. Piquemal E, Franques P, Auriacombe M, Grabot D, Tignol J. Sensation seeking as a common factor in opioid dependent subjects and high risk sport practicing subjects. College on Problems of Drug Dependence, 61st Annual Scientific Meeting, Acapulco (Mx), 1999.
12. Pope HG, Gruber AG, Choi P, Olivardia R, Phillips KA. Muscle dysmorphia. An underrecognized form of body dysmorphic disorder. Psychosomatics 1997;38:548-57.
13. Lowenstein W, Nordmann F, Gourarier L. What’s in a sport hero? High level performance and drug abuse. VIIIth International Conference on the reduction of drug related harms. Paris, 1997, 26 mars:117.
14. Choquet M, Arvers P. Sports practices and violent behaviors in 14-16 year-olds: analysis based on the ESPAD 99 survey data. Ann Med Interne (Paris) 2003;154:S15-S22.
15. Décamps G. Psychologie du sport et de la santé. Ballan-Miré : Édition De Boeck, 2011.
16. Lowenstein W, Arvers P, Gourarier L, et al. Physical and sports activities in the history of patients treated for addictions. Ann Med Int 2000;151:A18-26.
17. Fron M. Les addictions dans les pratiques sportives et les pratiques sportives dans l’addiction : étude comparative des antécédents sportifs chez des patients hospitalisés en addictologie au CHU de Nantes. Thèse de médecine, 2017. http://www.sudoc.fr/219843406
18. Proia S. Martineau JP. Du surinvestissement sportif au gel de la métamorphose adolescente : risques de décompensation dépressive et prévention. Neuropsychiatrie Enfance Adolescence 2004;52:284-9.

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