Si les bénéfices du sport sur la santé sont indéniables, les études montrent que, paradoxalement, la pratique sportive expose à une consommation problématique d’alcool – un phénomène que la vision des bienfaits du sport contribue à masquer. Quelles en sont les raisons ? Les sportifs ont-ils un « terrain » plus vulnérable ? Y a-t-il des sports plus à risque ? Quelles mesures préventives spécifiques ont fait leurs preuves ?

Les sportifs consomment-ils davantage d’alcool que les non-sportifs ?

Oui. Plusieurs études, menées notamment dans la population étudiante aux États-Unis, documentent une plus grande consommation d’alcool chez les personnes sportives par rapport aux non sportives. En France, selon un rapport de 2022 de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) sur des données du Baromètre santé, les sportifs étaient beaucoup plus nombreux à déclarer des consommations hebdomadaires que les non-sportifs (31 % contre 23 %).

Toutefois, il n’y a pas de consensus sur le volume horaire de sport à partir duquel ce risque accru est observé. Certains auteurs ont émis l’hypothèse d’un lien en U entre la consommation d’alcool et la durée hebdomadaire de la pratique sportive : cette dernière serait protectrice jusqu’à un certain niveau (3 à 7 heures, donc une activité modérée), mais après un seuil de huit heures (c’est-à-dire une pratique intensive) elle deviendrait un facteur d’exposition à une consommation à risque. La littérature est néanmoins discordante : dans nos propres recherches, menées en France chez plus de 600 étudiants sportifs, nous n’avons pas trouvé de corrélation linéaire entre l’intensité horaire hebdomadaire de la pratique sportive et la consommation d’alcool (nous n’avons pas comparé cette population à des personnes ne pratiquant pas de sport).

Les sportifs ont-ils un « terrain » plus favorable à la consommation problématique ?

Certaines hypothèses neuropsychologiques prêtent aux sportifs une vulnérabilité particulière qui les exposerait à des consommations à risque : le binge drinking et le sport intense auraient un fonctionnement similaire au niveau cérébral, notamment par le biais des méca-nismes du glutamate, dont la conséquence est un effet d’excitation qui mène l’individu à s’évader de la réalité. Mais ce n’est qu’une hypothèse, difficile à affirmer avec certitude…

En psychologie, nous pourrions aussi évoquer des études sur la personnalité : certains traits plus fréquemment retrouvés chez les sportifs – tels que l’extra-version et la recherche de sensations fortes – sont aussi caractéristiques des populations qui ont des consommations régulières de substances.

Si les raisons poussant à consommer de l’alcool ne sont pas fondamentalement différentes de celles retrouvées en population générale, elles peuvent être exacerbées dans certains contextes. Grâce à la mise au point d’une échelle française validée, nous avons retrouvé trois grands types de motivation à boire chez les sportifs :

  • le « renforcement positif » : l’alcool assimilé à une récompense après l’effort est un moteur fréquemment retrouvé ;
  • la pression sociale : l’intégration/cohésion avec les pairs apparaît comme une motivation importante dans cette population, mais beaucoup rapportent aussi un aspect contraignant de ces contextes sociaux (boire par conformisme, pour ne pas être mal vus ou exclus) ;
  • l’alcool comme stratégie de coping face au stress : adaptation à la pression ressentie dans les environnements sportifs compétitifs, anxiogènes.

Y a-t-il des sports ou des contextes plus à risque ?

Les contextes « planifiés », que ce soit pour des sports collectifs ou individuels – après un entraînement, un match, une compétition, en club lors de déplacement… –, sont des situations favorisant particulièrement la consommation d’alcool. Par exemple, une étude française chez les jeunes de 15 à 24 ans indique que le risque de consommation problématique est multiplié par 2,5 pour ceux qui prati-quent un sport collectif en compétition. Une autre étude, de l’Observatoire Ireb « Les Français et l’alcool », en 2016, indique que les « accros » au sport auraient trois fois plus souvent des troubles de l’usage de l’alcool que les autres.

En revanche, les sports pratiqués de façon solitaire et ceux qui demandent une hygiène de vie très stricte, comme l’athlétisme ou autres disciplines d’endurance, sont souvent protecteurs vis-à-vis de l’alcool.

Le moment d’arrêt de la carrière sportive est une période particulièrement critique pour ceux qui pratiquent de façon professionnelle, et d’autant plus lorsque cet arrêt survient inopinément – à la suite d’une blessure, par exemple. L’alcool mais aussi d’autres substances psychoactives sont alors employés comme une stratégie d’adaptation, de coping et/ou d’évasion.

Des mesures préventives spécifiques ont-elles fait leurs preuves ?

La plupart des stratégies de prévention expérimentées à ce jour l’ont été aux États-Unis, où la pratique du sport chez les jeunes est la norme dans les campus d’université. Des travaux ont ainsi montré que des formations spécifiquement conçues pour les sportifs sont efficaces pour réduire la consommation – mais ces formations n’existent pas en France à l’heure actuelle.

Dans le cadre de nos recherches, nous avons justement conçu des actions de sensibilisation dans des clubs de rugby, où nous avons tout particulièrement abordé la dimension de pression sociale liée à l’alcool. Les sportifs avec lesquels nous avons travaillé pensaient souvent que leurs coéquipiers consommaient deux fois plus d’alcool qu’eux, ce qui les poussait à augmenter eux-mêmes leur consommation. Or, données à l’appui, nous avons montré que cette idée reçue était fausse. Cela a, semble-t-il, permis de diminuer la consommation d’alcool de ces participants. Ces sensibilisations ciblées peuvent donc s’avérer très utiles !

Bien sûr, l’interdiction de tout parrainage d’événement sportif faisant la promotion de boissons alcoolisées – qui est une mesure recommandée par l’OCDE pour contrer la consommation d’alcool, notamment chez les adolescents – est déjà en place en France grâce à la loi Évin. Mais près d’un quart des pays européens n’ont pas de réglementation à ce sujet…

Enfin, d’autres interventions qui ont déjà fait leurs preuves, notamment l’entretien motivationnel, sont également utiles.

Quels messages transmettre aux médecins généralistes ?

Face à un patient sportif, surtout  jeune (terrain plus à risque), il est important d’investiguer la consommation d’alcool en prêtant une attention particulière aux motivations : est-elle perçue comme une contrainte sociale ? sert-elle à des fins de coping face à un stress, voire à un mal-être ? est-elle ponctuelle ou récurrente ?

Il est donc important d’investiguer au--delà de la seule quantité, en évaluant plus généralement le retentissement sur la qualité de vie.

Cela permet de détecter les consommations qui sont davantage associées à des fragilités personnelles, à des terrains de malaise interne, par exemple, rendant plus vulnérable à des conduites addictives.

Ils pourront ensuite, le cas échéant, orienter vers une consultation de psychologie du sport. Ces consultations sont, en effet, obligatoires pour les sportifs de haut niveau, mais pas pour la pratique en club : il est donc important d’y penser !

Pour en savoir plus
Rault A, Décamps G. Validation d’échelles françaises mesurant les motivations à boire au sein de la population étudiante générale et sportive. Canadian Journal of Behavioural Science/Revue canadienne des sciences du comportement 2022;54(3):241-8.
Rault A, Décamps G. Le sport : facteur de protection ou d’exposition au risque alcool ?  Rev Prat 2018;68(2);143-8.