objectifs
Argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.
objectifs

Définition

Le strabisme est caractérisé par une déviation des axes visuels et par des altérations sensorielles secondaires à cette déviation. Le strabisme fonctionnel où aucune anomalie oculaire n'empêche la transmission de l’influx visuel au cortex s’oppose au strabisme organique où les anomalies peuvent être secondaires à une patho­logie cornéenne (taie cornéenne), cristallinienne (cataracte), chorio­rétinienne (choriorétinite toxoplasmique, tumeur oculaire, colobome…) ou du nerf optique (atrophie optique).
Le strabisme fonctionnel est une affection grave (fonction visuelle menacée : amblyopie) et fréquente qui touche essentiellement l’enfant les premières années de vie (3-4 % de la population française) ; non traitée, elle aboutit dans la majorité des cas à la perte fonctionnelle de l’œil dévié. Son traitement est indissociable de celui de l’amblyopie, il nécessite un examen rigoureux et un traitement adapté le plus précoce possible.

Classification

Selon le type de la déviation

Le sens de la déviation strabique (synonyme « tropie ») permet de différencier :
  • les strabismes horizontaux :
convergents : ésotropies ;
divergents : exotropies ;
  • les strabismes verticaux :
hypotropies ;
hypertropies ;
  • les strabismes torsionnels.
L’association entre chaque type de déviation (verticaux, horizontaux et torsionnels) est possible.

Selon la physiopathologie

Le strabisme est dû à une altération du mécanisme central régulateur du parallélisme des axes visuels (strabisme dit « supranucléaire »). Sur le plan didactique, on en distingue deux formes principales, selon l’âge d’apparition du strabisme :
  • les strabismes précoces avec anomalie de la fonction binoculaire ;
  • les strabismes acquis ou normosensoriels sans anomalie de la fonction binoculaire.

Strabismes précoces

Ils surviennent entre le 2e et le 6e mois de vie, entraînant une absence de développement de la vision binoculaire responsable d’anomalies sensorielles ou motrices complexes.
Facteurs de risque : les facteurs de risque sont essentiellement génétiques et environnementaux (v. infra).
Signes cliniques : sur le plan sensoriel, des anomalies constantes et définitives témoignent de l’apparition précoce de la déviation avec absence de connexions binoculaires. Les signes sont :
  • absence définitive de correspondance rétinienne normale (CRN), signe principal ;
  • neutralisation de l’œil dévié, qui protège de la diplopie ;
  • amblyopie (survenant dans 40 % des cas non traités) ;
  • absence de fusion binoculaire ;
  • absence de vision stéréoscopique.
Sur le plan moteur, les signes sont en rapport avec l’immaturité du système moteur fonctionnant selon un mode archaïque (privilégiant les mouvements monoculaires temporo-nasaux). Les signes sont :
  • déviation strabique : ésotropies (80 %) de grand angle le plus souvent (fig. 1), exotropie possible (10 %) (fig. 2) nécessitant un bilan neuropédiatrique et neuroradiologique ; microstrabisme retrouvé dans 10 % des cas ;
  • sur l’œil fixateur :
fixation en adduction : signe le plus fréquent, qui s’accompagne d’un torticolis « dit de fixation » ; ce torticolis s’inverse au changement d’œil fixateur ;
nystagmus manifeste latent : présent dans 40 à 90 % des cas, il est le plus souvent horizontal et rotatoire, battant dans la direction de l’œil fixateur et s’inversant au changement d’œil fixateur ;
fixation en incyclotorsion : la tête peut être penchée du côté de l’œil fixant ;
asymétrie du nystamus optocinétique (NOC) : chez l’enfant sans strabisme, le nystamus optocinétique comprend une phase de poursuite lente et une phase de rappel rapide, il est présent à la naissance pour la poursuite temporo-nasale et apparaît après l’âge de 6 mois pour la poursuite naso-temporale. Dans le strabisme précoce, il n’est observable que dans le sens temporo-nasal, ce qui est pathognomonique du syndrome de strabisme précoce (SSP) ;
  • sur l’œil non fixateur :
déviation verticale dissociée (DVD) : mouvement d’élévation de l’œil occlus avec excyclotorsion, souvent bilatéral, parfois asymétrique, signe pathognomonique du syndrome de strabisme précoce, c’est un spasme du droit supérieur prédominant en abduction de l’œil occlus ;
déviation horizontale dissociée : modification de la déviation horizontale lors de l’occlusion d’un œil ;
hyperaction des muscles obliques inférieurs, le plus souvent avec élévation en adduction, sans signe de paralysie des muscles obliques supérieurs ;
syndrome alphabétique en A ou en V.
Ces signes moteurs témoignent d’un processus pathologique survenu sur un système optomoteur immature, avant que la vision binoculaire ne soit apparue et l’empêchant de s’installer.
Traitement : binoculairement parlant, ces strabismes ne peuvent guérir. Néanmoins, on essaie d’en limiter :
  • les conséquences sensorielles :
correction optique totale de toute amétropie à tout âge ;
prévenir ou traiter l’amblyopie en faisant alterner la fixation (occlusion ou pénalisation) ;
  • les conséquences motrices : en essayant d’obtenir un microstrabisme ou une oculomotricité harmonieuse grâce au traitement par :
toxine botulique dans l’enfance à partir de 9 mois et avant 24 mois ;
chirurgie après 24 mois : le but est d’obtenir une déviation horizontale de moins de 8 dioptries et/ou une déviation verticale de moins de 4 dioptries.

Strabismes acquis ou normosensoriels

Ils apparaissent après l’installation de la vision binoculaire, c’est-à-dire après l’âge de 12 mois ; ils sont liés à une anomalie d’une ou plusieurs vergences et deviennent apparents quand la fusion n’est pas suffisante pour les maintenir latents.
On distingue :
  • les strabismes convergents accommodatifs ;
  • les strabismes convergents normo-sensoriels ;
  • les strabismes divergents normo-sensoriels.
Strabismes convergents accommodatifs : ils débutent tardivement entre 12 mois et 3 ans, âge où l’accommodation est fortement sollicitée. Pour une vision nette en vision de près, la syncinésie comporte l’accommodation (A) liée à la sensation de flou, la convergence accommodative (CA) liée à la disparité des images et le myosis améliorant la profondeur de champ. A et CA sont liées de manière réflexe dans le rapport CA/A, ce rapport explique la physiopathologie des strabismes accommodatifs.
Dans une amétropie non corrigée, l’accommodation (A) et la convergence accommodative (CA) sont sollicitées en permanence, mais parfois A est sollicitée normalement, mais les relations entre CA et A sont anormales.
Tout strabisme est partiellement accommodatif, à partir du moment où il existe une amétropie associée ou que le rapport CA/A est anormal. Il en existe deux types :
  • réfractif : il s’agit le plus souvent d’enfants hypermétropes non corrigés. Les facteurs de risque sont principalement héréditaires. Les signes fonctionnels sont principalement une asthénopie accommodative et une diplopie intermittente à la fatigue. Cliniquement, sur le plan sensoriel, une amblyopie et une absence de vision binoculaire sont présentes si la prise en charge est tardive. Sur le plan moteur, la déviation est intermittente au début, importante, stable, le plus souvent sans verticalité. La correction optique totale va permettre de différencier plusieurs types :
réfractifs purs : où la déviation est totalement corrigée par la correction de l’hypermétropie (fig. 3). Sur le plan évolutif, si le traitement est précoce, le pronostic est très bon par la seule correction optique totale (COT) de l’hypermétropie, associée ou non à un traitement d’occlusion ;
réfractifs partiels : où la déviation est partiellement corrigée par la correction de l’hypermétropie (fig. 4) ;
  • non réfractif : ces strabismes sont liés à une anomalie du rapport CA/A, en excès le plus souvent. Ces ésotropies accommodatives par CA/A élevé sont aussi appelées strabismes accommodatifs avec incomitance loin-près. Elles sont dites « pures » ou « impures » :
pures : avec la correction optique totale, il n’existe pas de strabisme en vision de loin, alors qu’une ésotropie est présente en vision de près, avec diplopie : il y a donc excès de convergence. L’angle de près reste supérieur à l’angle de loin d’au moins de 10 dioptries (20 degrés). Cet excès de convergence a la particularité de disparaître avec une correction optique pour la vision de près (addition de + 2 ou + 3 dioptries par verres bifocaux ou progressifs). Ces enfants doivent être surveillés étroitement car les décompensations sous correction optique totale avec addition de près ne sont pas rares ;
impures : avec la correction optique totale, il n’existe pas de strabisme en vision de loin, alors qu’une ésotropie est présente en vision de près, et non corrigée par l’addition de + 2 ou +3 dioptries. L’angle de près reste supérieur à l’angle de loin d’au moins de 10 dioptries (20 degrés).
Dans ces deux cas, une intervention chirurgicale de type fils de Cüppers permettra de traiter cet excès de convergence de près, si l’addition en vision de près est insuffisante.
Strabismes convergents normosensoriels : ces strabismes sont dus à un excès de vergence tonique et se manifestent souvent tardivement ; la vision binoculaire s’est développée normalement, mais reste néanmoins fragile. Il en existe plusieurs types :
  • les ésophories et ésotropies décompensées : la décompensation d’une ésophorie peut survenir entre l’âge de 2 et 6 ans, il existe souvent des facteurs de décompensation : amétropies, stress divers, interruption artificielle de la vision binoculaire… Une cause neurologique doit être éliminée au moindre doute. L’enfant est gêné par une diplopie ou un clignement lors de la décompensation, puis il s’adapte en neutralisant l’œil dévié ;
  • le strabisme aigu normosensoriel : une ésotropie apparaît brutalement entre 3 et 8 ans avec diplopie persistante, grand angle aux alentours de 30 dioptries. Le bilan neurologique est normal, il n’y a pas d’anomalie de duction évoquant une paralysie oculo­motrice. Le traitement nécessite la correction optique totale et le recours rapide à une intervention chirurgicale pour préserver la vision binoculaire ;
  • le strabisme circadien : ésotropie cyclique rare mais caractéristique, il apparaît un jour sur deux, un jour en strabisme avec neutralisation et un jour en strabisme avec vision binoculaire normale. Le traitement chirurgical se fonde sur la déviation notée lors des jours en ésotropie ;
  • l’ésotropie simple des myopes : ésotropie succédant généralement à une ésophorie, l’angle est plus important en vision de loin. Le traitement est chirurgical.
Strabismes divergents normosensoriels : il en existe plusieurs types :
  • les exophories et exotropies décompensées : strabisme divergent pour lequel les vergences toniques et fusionnelles ne permettent pas un bon contrôle de la position de repos. Les périodes de décompensation apparaissent à la fatigue, en vision de loin, un clignement est souvent noté à l’éblouissement, et la diplopie est rare : ces périodes deviennent de plus en plus fréquentes lors de l’évolution, elles doivent être évaluées par l’interrogatoire, lors de l’examen à l’écran unilatéral, par la qualité de la vision binoculaire et par l’évaluation de l’angle maximal. La correction optique doit être totale. La mesure de l’angle, associée aux tests orthoptiques (v. infra), permet de différencier plusieurs types : angle identique de loin et de près, angle de près supérieur à angle de loin, angle de loin supérieur à angle de près avec ou sans pseudo-excès de convergence. Cela permettra de guider la chirurgie ;
  • l'insuffisance de convergence : ce sont des formes d’exophories exotropies apparaissant en vision de près ; elles sont sympto­matiques et liées au déficit neurologique de la convergence en vision de près.

Bilan clinique et paraclinique

Interrogatoire

L’interrogatoire est primordial, il doit être méticuleux et détaillé. Il faudra rechercher :
  • les antécédents :
personnels de l’enfant : grossesse, accouchement : traumatisme obstétrical (forceps...), poids de naissance, terme (prématurité), réanimation néonatale, existence de facteurs environnementaux (tabac, alcool, toxicomanie, prise d’antibiotiques…), anomalies génétiques et chromosomiques ;
familiaux : amétropie, amblyopie, strabisme dans la fratrie (frères et sœurs, parents) ;
  • concernant la déviation strabique :
la date d’apparition, qui permet de classer le strabisme en précoce, tardif, accommodatif, normosensoriel ;
le mode de début : brutal ou progressif ? ;
l’angle de déviation : important ou léger, constant ou intermittent, variable (fatigue) ;
les traitements déjà effectués : correction optique, amblyopie, traitement chirurgical.
Pendant cet interrogatoire, il faudra noter la variation, le retentissement esthétique et le comportement visuel de l’enfant.

Facteurs de risque

Les facteurs de risque du strabisme chez l’enfant ont des fréquences différentes selon le type de strabisme (v. encadré).

Examen clinique

Étude de la fonction visuelle

Étude de la fonction visuell

Elle se fonde, en fonction de l’âge de l’enfant, sur l’étude du comportement visuel et les échelles d’acuité, dans le but de rechercher la présence d’une amblyopie :
  • nouveau-né : recherche des réflexes visuels de fixation (2e et 4e semaine de vie), de poursuite d’objet mobile, de fusion, de coordination binoculaire (6e mois). Au 6e mois, le développement visuel du nourrisson peut être objectivé grâce à des tests d’acuité visuelle par résolution (test du « regard préférentiel », cartons de Teller, ou bébé-vision) moins élaborés que ceux impliquant la reconnaissance de forme. Le consensus sur ces tests fait qu’ils ne doivent pas être utilisés en dépistage de l’amblyopie mais seulement au cours d’un examen ophtalmologique, les causes d’erreurs étant trop nombreuses. Un test rapide est l’occlusion d’un œil : si cela déclenche un mouvement de défense asymétrique (« plus d’un côté que de l’autre »), il y a suspicion d’amblyopie, et un examen plus approfondi est nécessaire ;
  • à partir de l’âge de 24 à 30 mois : utilisation d’une échelle d’acuité constituée de dessins (Pigassou) ou d’échelles d’acuité visuelle angulaire (E de Snellen) ;
  • à partir de 5-6 ans, utilisation d’échelles d’adulte (Monoyer).

Étude de la réfraction

Elle permet la mise en évidence d’une amétropie, elle est réalisée systématiquement après paralysie de l’accommodation par un cycloplégique soit par atropine (à 0,3 % jusqu’à 2 ans, 0,5 % jusqu’à 12 ans, 1 % à partir de 12 ans), soit par cyclopentolate à 0,5 %. La réfractométrie automatique permet de mettre en évidence les troubles de la réfraction qui représentent avec le strabisme les deux principaux facteurs de risque de l’amblyopie.
L’étude de la réfraction est le premier geste thérapeutique ; il permet la prescription d’une correction optique la plus exacte possible de l’astigmatisme, de l’hypermétropie ou de la myopie retrouvés chez l’enfant strabique.

Bilan sensoriel et moteur

Ce bilan est essentiel pour évaluer le strabisme et ses conséquences oculomotrices.
Bilan sensoriel : l’état sensoriel est étudié en évaluant :
  • en monoculaire : l’acuité visuelle à la recherche de l’amblyopie strabique ;
  • en binoculaire :
correspondance rétinienne au synoptophore ;
2 tests de vision stéréoscopique, se basant sur des systèmes très différents :
o statique ou fine (vision cyclopléenne) fondée sur des signaux fovéolaires, grâce à des tests de nappes de points aléatoires, décalés dans le même sens et vus au travers d’un système polarisé (par exemple le test TNO de 480 à 15 secondes d’arc). Le test TNO est le gold standard de la vision stéréo­scopique ;
o dynamique ou grossière fondée sur des signaux parafovéolaires, grâce à un système polarisant afin que chaque œil perçoive une image (test Wirt de 4 000 secondes d’arc à 40 secondes d’arc).
Bilan moteur : plusieurs méthodes permettent d’objectiver la déviation strabique :
  • méthodes du reflet cornéen : deux méthodes existent pour dépister et estimer un angle de déviation oculaire ; elles sont fondées sur l’étude de la position des reflets cornéens. On étudie le caractère centré ou non du reflet cornéen d’un œil par rapport à l’autre obtenu grâce à la fixation d’un point lumineux (lampe) situé à 33 cm. Sur l’œil non amblyope qui est donc fixateur, le reflet est dit centré ; le reflet est ensuite repéré sur l’œil amblyope et sa position est analysée. En cas de strabisme, les reflets ne sont pas symétriques. En cas d’orthophorie, les reflets sont symétriques ;
  • méthode de Hirschberg : méthode fondée sur la comparaison des reflets cornéens, d’un œil par rapport à l’autre, et la quantification en millimètres de la différence entre les deux reflets. Il existe 5 possibilités de réponse :
sujet normal ou phorique : reflet situé au milieu de la pupille avec un léger décentrement nasal de ce reflet ;
strabisme convergent ou ésotropie : déplacement temporal du reflet cornéen ;
strabisme divergent ou exotropie : déplacement nasal du reflet cornéen ;
déviation supérieure de l’œil ou hypertropie : déplacement inférieur du reflet cornéen ;
déviation inférieure de l’œil ou hypotropie : déplacement supérieur du reflet cornéen.
Un écart de 1 mm correspond à 7 à 8 degrés de déviation : si le reflet est au bord de la pupille l’angle est à 16 degrés, s’il est à mi-distance entre pupille et limbe, il est estimé à 32 degrés, et si le reflet est au niveau du limbe, l’angle est environ de 40 à 45 degrés. Pour pouvoir comparer cette déviation en dioptries, on peut considérer que 1 degré est égal à 2 dioptries ;
  • méthode de Krimsky : permet de mesurer la déviation grâce aux barres de prismes de Berens. Les barres de prismes sont placées devant l’œil fixateur et déplacées jusqu’au recentrage de l’œil dévié.
Les limites du test sont l’imprécision et les faux.
Ces deux méthodes sont très utiles pour les amblyopies à fixation non centrée, les jeunes enfants et les patients non coopérants.
Test à l’écran (cover test) : c’est le point fort du bilan oculomoteur, il se fait en deux temps, sous écran unilatéral (cover test unilatéral) et alterné (cover and cover). Il est effectué systématiquement de loin (fixation à 5 m sur un point lumineux) et de près (fixation à 33 cm sur un objet type cube de Lang) :
  • écran unilatéral : il doit être réalisé en premier, il différencie les phories des tropies, il détermine l’œil fixateur préférentiel ou l’alternance, et associé aux prismes de Berens il quantifie l’angle de déviation.
On interpose un écran devant l’un des deux yeux et on observe tout mouvement éventuel de l’œil découvert.
Ce test permet de préciser le type de strabisme : par exemple, si l’examinateur couvre l’œil droit en observant le comportement de l’œil gauche, plusieurs possibilités peuvent être retrouvées :
aucun mouvement, quel que soit l’œil étudié : enfant sans strabisme, orthophorie ;
un mouvement (d’un seul œil, celui du côté de l’écran) : l’œil caché reprend la fixation sans que l’autre œil ait bougé, phorie caractérisée par le mouvement de restitution qui implique une vision binoculaire normale (CRN) :
o si à la levée de l’écran, le mouvement de restitution se fait de l’intérieur vers la position primaire : ésophorie ;
o si à la levée de l’écran, le mouvement de restitution se fait de l’extérieur vers la position primaire : exophorie ;
o si à la levée de l’écran, l’œil fait un mouvement d’abaissement vers la position primaire : hyperphorie ;
o si, à la levée de l’écran, l’œil fait un mouvement d’élévation vers la position primaire : hypophorie ;
un mouvement alternatif des deux yeux (celui non caché par l’écran) : strabisme caractéristique d’une tropie :
o si l’œil prend et garde la fixation lorsque l’œil controlatéral est occlus, il s’agira d’une tropie alternante : si lors de l’occlusion de l’œil fixateur, l’œil strabique fait un mouvement de :
o dedans en dehors : ésotropie ;
o dehors en dedans : exotropie ;
o bas en haut : hypertropie ;
o haut en bas : hypotropie ;
o si l’œil prend la fixation mais ne la garde pas (pas de mouvement) lorsque l’œil controlatéral est occlus, il s’agit d’une tropie mono­culaire avec amblyopie ;
  • écran alterné : « cover test » alterné, il consiste à couvrir alternativement un œil puis l’autre afin qu’ils ne soient jamais simultanément découverts, interrompant ainsi la fusion. C’est le test le plus précis, il permet d’objectiver la déviation alternante ou pas, de préciser le type (horizontal, vertical) et d’apprécier le caractère alternant ou unilatéral du strabisme.
Mesure de la déviation oculaire : l’angle objectif du strabisme se mesure dans l’espace au prisme et au synoptophore :
  • dans l’espace, le test de l’écran alterné, associé à l’interposition d’une barre de prismes de puissance progressive, permet de mesurer la déviation maximale : la valeur du prisme est progressivement augmentée jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun mouvement de refixation lors de l’alternance. C’est la méthode de choix ;
  • au synoptophore, qui permet de mesurer l’angle subjectif (AS, déviation ressentie par le patient) et l’angle objectif de la déviation (AO, angle de déviation mesuré).
Un strabisme intermittent peut aussi nécessiter deux tests supplémentaires pour objectiver la déviation :
  • test de l’occlusion de Burian qui consiste à occlure l’œil dévié durant une demi-heure ou 1 heure, et destiné à extérioriser la totalité d’une exodéviation en éliminant la vergence fusionnelle. La déviation ainsi obtenue est dite  « déviation basique » ;
  • test de l’addition de + 3 dioptries qui majore l’occlusion de près pour relever une augmentation du rapport CA/A en enlevant la part accommodative du strabisme.
Étude de la motilité oculaire dans les 9 positions du regard :
  • étude des mouvements binoculaires ou versions : c’est l’étude du mouvement des deux yeux dans l’orbite ; cette analyse est descriptive, appréciant la position relative de l’œil non fixateur par rapport à celle de l’œil fixe. On étudie les versions dans les 9 positions du regard pour conclure de l’hyper- (+) ou hypo- action (-) de certains muscles (élévation en adduction…). On note la présence ou non de déviations verticales dissociées et de mouvements de torsions ;
  • étude des mouvements monoculaires ou ductions : c’est l’étude du mouvement de chaque œil dans l’orbite, l’œil controlatéral étant caché ; dans le cas du strabisme de l’enfant, il n’y a aucune limitation à la différence des paralysies oculomotrices (fibroses des muscles oculomoteurs).

Examen ophtalmologique

L’examen ophtalmologique doit rechercher impérativement une affection organique sous-jacente dont le strabisme peut être révélateur. L’examen à la lampe à fente et la biomicroscopie du fond d’œil (élimination de cause organique) ne retrouvent pas d’anomalie du segment antérieur et du segment postérieur.

Examens paracliniques

Une imagerie cérébro-orbitaire (IRM) peut être nécessaire en cas de strabisme :
  • de divergence précoce (en dehors d’un contexte héréditaire de divergence face à un nouveau-né en pleine santé) ;
  • de convergence d’installation brutale sans explication oculaire ;
  • de craniosténose (agénésie des muscles oculomoteurs).

Prise en charge

Le traitement du strabisme est un traitement long et difficile dans la durée où le pronostic visuel de l’enfant nécessite une prise en charge globale.

Médicale

La prise en charge médicale est incontournable, dans le but de prévenir ou traiter l’amblyopie. Elle consiste en :
  • une correction optique totale de toute amétropie ; seul traitement permettant d’éliminer la part accommodative de la déviation ;
  • une occlusion de l’œil fixateur, dont le rythme adapté à l’âge de l’enfant, permet de prévenir ou de traiter l’amblyopie de l’œil dévié. Elle consiste en un traitement d’attaque puis en un traitement d’entretien jusqu’à l’âge de 8-10 ans pour éviter tout risque de récidive.

Chirurgicale

La prise en charge chirurgicale vise à rétablir au mieux le parallélisme des axes visuels dans toutes les directions du regard. Ce traitement n’est pas urgent et ne sera réalisé qu’en phase de stabilité du strabisme, après l’âge de 24 mois.
Avant l’âge de 24 mois, en cas d’ésotropie précoce, le traitement par une ou plusieurs injections de toxine botulique dans les muscles droits médiaux permettra dans certains cas de traiter définitivement la déviation ou de la réduire, en attendant l’âge chirurgical.

Surveillance

La surveillance de l’acuité visuelle et de l’équilibre oculomoteur doit être d’autant plus rapprochée que l’occlusion est intense et que l’enfant est jeune. Elle s’assure de l’efficacité de la thérapeutique engagée dans la rééducation de l’amblyopie et fait le point sur les progrès moteurs et sensoriels jusqu’à l’âge adulte et tout au long de la vie. Cette surveillance nécessite une collaboration étroite entre pédiatre, médecin généraliste, orthoptiste et ophtalmologiste.

Dépistage du strabisme et de l’amblyopie par le médecin généraliste et le pédiatre

C’est le pédiatre de l’enfant ou le médecin de famille qui est amené à pratiquer l’examen ophtalmologique avant 3 ans alors que le plus souvent leur formation dans ce domaine est minime. Le rôle du médecin généraliste ou du pédiatre est :
  • de s’enquérir des antécédents familiaux et environnementaux du strabisme et de l’amblyopie ;
  • de savoir dépister le strabisme et l’amblyopie ;
  • d’adresser l’enfant au spécialiste si besoin est ;
  • en cas de traitement, de s’assurer de l’observance et de la bonne compréhension de ce traitement tout au long de l’évolution.
Il est nécessaire que le médecin généraliste connaisse les gestes de base du dépistage. On citera l’existence d’une fiche pratique et d’un site internet (http://www.anaes.fr http://www.depistagevisuel.com) destinés à faciliter ce dépistage dans la pratique courante d’un cabinet de médecine générale.

Conclusion

Le strabisme de l’enfant est une pathologie qui concerne l’ensemble de l’organisation visuelle sensorielle et motrice. Il existe plusieurs formes de strabismes précoces et tardifs. Le dépistage du strabisme implique la connaissance des facteurs de risque, l’examen de la réfraction et un fond œil (élimination de cause organique). La recherche d’une amétropie et de sa correction par l’ophtalmologiste représente la première étape fondamentale de la prise en charge adaptée. •
Encadre

Facteurs de risque de strabisme

Hérédité : sa prévalence, tous strabismes confondus est de 32-33 %. C’est pour le strabisme tardif accommodatif que le facteur génétique est le plus marqué.

Prématurité et petit poids de naissance : le risque de développer un strabisme précoce dépend du degré de prématurité (âge gestationnel, poids de naissance), du degré de maturation neurologique et de l’instabilité du parcours développemental.

Lésions neurologiques : il s’agit principalement de pathologies neurologiques pouvant survenir in utero durant le 3e trimestre : hémorragie intraventriculaire et leucomalacie périventriculaire, généralement associées au strabisme précoce ;

Amétropies : il s’agit essentiellement d’amétropies fortes, par exemple une hypermétropie de plus de 3,5 dioptries multiplie le risque de strabisme par 13.

Facteurs environnementaux : ces facteurs peuvent jouer un rôle dans la genèse du strabisme précoce. Ils entrent dans le cadre de syndromes d’anomalies de la grossesse ou de la délivrance (âge maternel, tabagisme, alcoolisme, prise d’antibiotiques, consommation d’alcool, de tabac, consommation d’antibiotiques, irradiation et infection pendant la grossesse, menace d’accouchement prématuré, hypoxie ou souffrance néonatale, césarienne, ictère néonatal, hémorragie durant la grossesse, décollement placentaire, placenta praevia, rupture prématurée de la poche des eaux, anomalie de présentation et prématurité). Leur rôle est prépondérant dans le strabisme précoce, les facteurs héréditaires (facteur inné) étant plutôt présents dans la genèse des strabismes tardifs accommodatifs, et de la divergence intermittente.

Anomalies génétiques et chromosomiques telles que la trisomie 21.

Points forts
Strabisme de l'enfant

POINTS FORTS À RETENIR

Le strabisme est une affection grave qui, non traitée, aboutit à la perte fonctionnelle de l’œil dévié, c’est-à-dire à une amblyopie unilatérale.

L’interrogatoire est primordial, il doit être méticuleux et détaillé (antécédents personnels et familiaux, traitement entrepris, date d’apparition du strabisme). Les facteurs de risque sont importants à rechercher et à connaître.

Lorsque l’enfant est petit, un test rapide est l’occlusion d’un œil : si cela déclenche un mouvement de défense asymétrique (« plus d’un côté que de l’autre »), il y a suspicion d’amblyopie, et un examen plus approfondi est nécessaire.

Il n’existe pas « un » mais « des » strabismes, dont le diagnostic peut ne pas être toujours évident, expliquant qu’au moindre doute il faut adresser l’enfant à un spécialiste.

Le médecin traitant, plus proche de la famille, doit participer au traitement du strabisme de l’enfant en s’assurant de l’observance de celui-ci car c’est un traitement long et difficile dans la durée où le pronostic visuel de l’enfant est en jeu.

Recommandations
« Strabisme de l’enfant », chapitre 23, Collège des ophtalmologistes universitaires de France (COUF), page 227-232.
« Formes cliniques de strabismes », chapitre 12, rapport de la Société française d’ophtalmologie 2013, pages 187-239.

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