Les médecins sont fréquemment confrontés à des questions de patients ou de leur entourage sur le rôle du stress dans la maladie, beaucoup étant convaincus qu’il en est à l’origine. Au contraire, d’autres nient farouchement toute implication psychique alors même qu’elle apparaît évidente. S’il est un organe pour lequel cette problématique dite psychosomatique est très souvent abordée, c’est bien la peau.1 Qu’en est-il vraiment ?
Qu’est-ce que Le stress ?
En français, ce mot désigne à la fois le facteur d’agression produisant des effets sur l’organisme et l’ensemble de ces manifestations. L’élément déclenchant n’est pas obligatoirement psychologique, il peut être physique (une maladie, par exemple). D’ailleurs, une pathologie cutanée provoque souvent à la fois un stress physique et psychique. Il peut être aigu ou chronique ; le premier ayant un retentissement majoré lorsqu’il complique une anxiété chronique.
Sa cause et ses manifestations sont très variables. Un événement sera plus ou moins stressant selon les individus et chez une même personne, en fonction des moments de sa vie. Pourtant, les mécanismes sont identiques, quelle que soit leur origine : seuls varient l’intensité et le terrain. Les conséquences physiques et psychologiques dépendent à la fois de l’inné (génétique) et de l’acquis (événements de vie). Elles ne résultent pas du facteur déclenchant. Ainsi, lorsqu’un patient développe une poussée de dermatose, cela n’est lié ni à la nature du stress (conflit professionnel, rupture sentimentale, décès d’un proche…) ni à son caractère aigu ou chronique, mais au terrain génétique et aux cofacteurs associés. Il en va de même pour d’autres atteintes : ulcère de l’estomac, asthme, infarctus du myocarde ou hypertension artérielle sont liés à la pathologie préexistante ou sous-jacente. L’organe atteint ne traduit aucune signification psychique particulière.
Le stress active l’axe corticotrope, au niveau hypothalamo-hypophysaire, et le système nerveux sympathique. Depuis quelques années, on sait qu’il existe des équivalents dans la peau et que la production de CRH (Corticotropin-Releasing Hormone), d’adrénocorticotrophine (ACTH), de cortisol, d’adrénaline ou de noradrénaline peut être directement induite, comme celle de neuromédiateurs tels que la substance P ou le CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide). Ils modifient alors le fonctionnement cutané et aggravent potentiellement les dermatoses.
Il est désormais acquis que le stress agit sur toutes les fonctions de l’organisme, en particulier immunitaire, tant les liens anatomiques (innervation des organes immunitaires, connexions entre cellules nerveuses et immunes) et fonctionnels (récepteurs activables par les neuromédiateurs sur les cellules immunitaires) sont nombreux. Les neuromédiateurs sont, de ce fait, comme les hormones, les vecteurs du stress sur la peau.
Stress et maladies cutanées
Les manifestations de l’anxiété sur la peau sont classiques : hypersudation, rougissement, blêmissement ou, à plus long terme, une peau plus grasse ou plus sèche voire une alopécie.
Le stress peut aggraver de nombreuses maladies cutanées, ce d’autant plus que l’immunité et/ou l’inflammation y jouent un rôle : psoriasis, dermatite atopique ou séborrhéique, pelade, vitiligo, acné, herpès, etc. C’est aussi le cas de situations où le système neuro-hormonal cutané est fortement impliqué : alopécies et peaux sensibles essentiellement.
Le psoriasis est la dermatose pour laquelle le rôle du stress sur l’aggravation ou le déclenchement de poussées est le mieux caractérisé (50 à 80 % des cas). Toutefois, son implication n’est en général déterminée qu’a posteriori. Lorsqu’il évolue sur de longues durées, il entretient également la chronicité de la pathologie ; a fortiori en cas de troubles anxieux caractérisés ou de dépression.
Le stress aigu provoque une poussée dans le mois, voire la semaine qui suit. Lorsqu’il est chronique, élevé ou accompagné d’une dépression, le retentissement est plus sévère.
La susceptibilité individuelle est primordiale. Certaines personnes ont un psoriasis totalement dépendant de leurs événements de vie ou de leur niveau de stress alors que chez d’autres, il ne joue aucun rôle. Entre ces 2 extrêmes, toutes les nuances sont possibles.
Quant à l’intensité du prurit, elle est augmentée par l’anxiété, quelle que soit l’évolution du psoriasis lui-même. Elle peut aussi altérer la réponse au traitement de manière importante : une étude a par exemple montré que son niveau prédisait mieux la rapidité de réponse à la photothérapie que la dose d’ultra-violets utilisée !2
Anxiété et dépression sont 3 fois plus fréquentes chez les patients atteints de psoriasis que chez les sujets sains. Toutes les deux sont des facteurs d’aggravation. En cause :
– une plus forte sensibilité au stress, principal facteur déclenchant des poussées ;
– une production accrue de TNF, substance P et interleukine 6, induite par la dépression ;
– une détérioration accrue de la qualité de vie ;
– une perception exacerbée du prurit ;
– une alexithymie (difficulté dans l’identification et l’expression des émotions) ;
– une moins bonne adhésion au traitement, source de mauvaise observance ;
– une augmentation de la consommation d’alcool et de tabac, facteurs délétères bien connus.
Finalement, 4 situations sont possibles (
Que faire en pratique ?
Il faut tenter d’évaluer sans aucun préjugé ni interprétation excessive la part du stress et/ou des troubles psychiques dans la maladie. S’en tenir à des faits et retracer la chronologie permet une appréciation objective.
Il faut bien sûr écouter le point de vue du patient mais celui-ci peut être teinté d’idéologie, entre les tenants du « tout est dû au stress » et ceux du « il n’y a jamais de relation ». Des opinions aussi tranchées et donc totalement erronées sont parfois retrouvées chez certains confrères.
Le meilleur moyen de rompre le cercle vicieux est de proposer un traitement efficace sur la maladie dermatologique. Il ne faut pas hésiter à utiliser des thérapeutiques puissantes et à prendre un avis spécialisé, ce d’autant plus que les maladies cutanées ne doivent pas être considérées comme bénignes. Il a été démontré qu’elles altéraient autant la qualité de vie que l’insuffisance cardia- que ou les cancers.3
Enfin, il faut proposer une prise en charge « psy » au sens large du terme mais adaptée à chaque personne.
Une attitude bienveillante, un soutien psychologique, une alliance thérapeutique avec le patient (et parfois l’entourage) sont extrêmement utiles.
Des techniques de gestion du stress doivent être recommandées s’il y est réceptif. Cela peut aller de la méditation, du yoga et de la relaxation aux thérapies cognitivo-comportementales et aux psychothérapies d’inspiration analytique.
La simple pratique de sports ou d’activités ludiques, artistiques ou musicales peut également aider.
Parfois, il faut proposer des traitements anxiolytiques ou antidépresseurs, mais seulement après un diagnostic psychiatrique précis. Les inhibiteurs de recapture de la sérotonine sont alors les plus appropriés.
Stress et peau : 4 scénarios
Le plus souvent : aucune relation manifeste entre le stress ou les troubles psychiques et les dermatoses
Très fréquemment, les pathologies cutanées induisent des troubles psychiques et sont une cause de stress
Le stress ou les troubles psychiques aggravent une maladie dermatologique : cas fréquent
Plus rarement : les troubles psychiques ou le stress sont à l’origine de troubles cutanés :
• perceptions anormales :
– prurit psychogène ;
– douleurs psychogènes : glossodynie, vulvodynie ;
– dysmorphophobie ;
– hyponcondrie ;
– délires d’infestation.
• lésions cutanés :
– graves : pathomimie, excoriations psychogènes.
– non graves : trichotillomanie, onychotillomanie
1. Misery L. Votre peau a des choses à vous dire. Paris: Larousse; 2019: 235 p.
2. Fortune DG, Richards HL, Kirby B, et al. Psychological distress impairs clearance of psoriasis in patients treated with photochemotherapy. Arch Dermatol 2003;139:752-6.
3. Rapp SR, Feldman SR, Exum ML, Fleischer AB Jr, Reboussin DM. Psoriasis causes as much disability as other major medical diseases. J Am Acad Dermatol 1999;41(3 Pt 1):401-7.