Élargir le recours à l’euthanasie et au suicide assisté (ESA) aux patients souffrant d’affections psychiatriques soulève de nombreuses questions et suscite l’opposition de nombreuses associations de psychiatres.
La loi, dans les pays où elle existe, permet d’envisager l’ESA chez les personnes pleinement capables d’agir et de décider atteintes d’une affection grave, chronique et invalidante ou d’une maladie grave et incurable causant des souffrances physiques ou psychologiques intolérables.
La souffrance des patients atteints de pathologies psychiatriques est aussi, voire plus, insupportable que celle des autres patients. Selon un principe de non-discrimination, ils devraient pouvoir recourir à l’ESA ; or la prévention du suicide est un enjeu majeur des soins en psychiatrie.
Les patients demandant ou ayant eu recours à l’ESA pour motif psychiatrique (ESAp) sont cliniquement très comparables aux patients morts par suicide : dépression, troubles de la personnalité, antécédents de tentative de suicide, isolement social.1 Ainsi, le risque est de convertir des suicides « traditionnels » en ESAp et/ou d’augmenter la mortalité par suicide en donnant accès à des moyens létaux.
Trois grandes questions se posent alors, sur un plan strictement médical, sans convoquer « l’éthique » :2
– comment affirmer l’irréversibilité ou l’incurabilité d’une maladie psychiatrique ?
Il n’existe pas de facteurs pronostiques robustes pour prédire l’évolution d’un trouble psychiatrique ;
– qu’est-ce que la souffrance insupportable ?
Ce concept très subjectif fait référence à la douleur psychologique qui est au cœur du processus suicidaire ; le suicide est un moyen de s’en défaire (et non d’échapper à la vie). Dans une étude, tous les patients décédés par ESAp décrivaient une douleur psychologique irréversible ; ceux ayant refusé un traitement avaient davantage de dimensions de douleur psychologique (irréversibilité, perte de contrôle, sentiment de vide) ;3
– qu’en est-il de la capacité de discernement et de prise de décision des patients demandant une ESAp ?
Bien que psychopathologie ne signifie pas que le patient en soit dépourvu, il est très probable que les patients sollicitant une ESAp ont une capacité limitée à envisager des alternatives et des perspectives à long terme ; cette analyse est cependant subjective (discordance fréquente entre les évaluateurs).4
Les patients atteints de troubles psychiatriques doivent être protégés de la possibilité d’ESAp. Il y a tellement à faire pour mieux les prendre en charge !5 Les difficultés d’accès aux soins dans le système de santé français constituent un obstacle majeur à la mise en place de traitements en santé mentale. La question n’est donc pas tant de savoir si la douleur psychologique est irréversible mais plutôt si les priorités politiques peuvent permettre de dégager des moyens suffisants pour la traiter et offrir toutes les options possibles aux patients. 

Références

1. Olié E, Courtet P. The controversial issue of euthanasia in patients with psychiatric illness. Jama 2016;316(6):656-7.
2. Nicolini ME, Kim SY, Churchill ME, Gastmans C. Should euthanasia and assisted suicide for psychiatric disorders be permitted? A systematic review of reasons. Psychological Medicine 2020;50(8):1241-56.
3. Lengvenyte A, Strumila R, Courtet P, Kim SY, Olié E. « Rien ne fait moins mal qu’être mort ». La douleur psychologique dans les descriptions de cas d’euthanasie et de suicide assisté psychiatrique aux Pays-Bas. The Canadian Journal of Psychiatry 2020;65(9):612-20.
4. Doernberg SN, Peteet JR, Kim SY. Capacity evaluations of psychiatric patients requesting assisted death in the Netherlands. Psychosomatics 2016;57(6):556-65.
5. Courtet P, Olié E. Controverses au sujet du suicide assisté chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques. Bulletin de l’Académie nationale de médecine 2022;206:632-6.