Avant le lancement de la convention citoyenne sur la fin de vie, le CCNE a rendu un avis ouvrant la voie au suicide assisté dans certains cas limites. En quoi cela diffère-t-il de l’euthanasie ? Si la législation évoluait en ce sens, quelles seraient les répercussions pour les médecins ? Un entretien éclairant avec Pierre Le Coz, professeur à l’université d’Aix-Marseille et membre de l’Académie nationale de médecine.

Quelle est la voie qui semble se dessiner en France concernant la fin de vie ?

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu le 13 septembre 2022 un avis1 dans lequel il estime « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir » : il s’agirait, pour résumer, d’une aide au suicide dans certains cas limites, à savoir pour les personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais à moyen terme. En revanche, l’instance n’a évoqué l’hypothèse de la dépénalisation de l’euthanasie que dans des circonstances exceptionnelles, pour « résoudre » une inégalité par rapport aux personnes citées précédemment : c’est-à-dire, pour les patients se trouvant dans ces mêmes situations mais qui seraient dans l’incapacité physique de se suicider.

En quoi le suicide assisté diffère-t-il de l’euthanasie ?

Pour un observateur extérieur ils peuvent paraître équivalents à peu de choses près, mais pour le médecin la différence est cruciale : dans le cas du suicide assisté, il prescrit la substance létale ; dans le cas de l’euthanasie, il doit l’administrer.

Sur un plan juridique, la dépénalisation du suicide assisté implique un changement de paradigme moins important que pour l’euthanasie : la loi interdit de tuer autrui, mais elle n’interdit pas le suicide.

Sur un plan éthique, l’euthanasie se situe à un degré plus élevé de gravité sur l’échelle des transgressions morales. C’est pourquoi le suicide assisté semble être une « troisième voie » plus acceptable entre le respect de l’autonomie du patient et le devoir de protéger toute vie humaine. Aujourd’hui, des inégalités persistent, puisque les patients qui en ont les moyens se rendent déjà dans les pays frontaliers pour recevoir cette aide à mourir. Mais l’aide active à mourir est un geste qui est tout sauf anodin ! Dans le cas de l’euthanasie, ondemande tout de même au médecin de gérer mentalement le fait d’avoir directement donné la mort à quelqu’un, donc de vivre avec ce souvenir plus ou moins traumatisant. En outre, cette démarche lui donne un pouvoir excessivement important, car il s’agit de braver l’interdit de tuer qui est au fondement de la vie en société. En revanche, dans le suicide assisté, le malade prend pour ainsi dire ses responsabilités. En résumé, la question de la fin de vie est une question de « justice commutative » (Aristote) : chacun fournit un effort pour rentrer dans le monde de l’autre – le médecin est d’accord pour entrer dans l’univers des peurs et des représentations du malade ; inversement, ce dernier fait l’effort de se situer à la place du médecin et de prendre la mesure de ce qu’il lui demande…

Beaucoup de médecins soutiennent que « donner la mort n’est pas un soin » : le suicide assisté répond-il à cette objection, dans la mesure où la mort n’est pas donnée directement ?

S’incliner face à un refus de soin est une manière de prendre soin du patient, de prendre en compte sa perception personnelle de ce qui est bien pour lui. Mais bien que la responsabilité du médecin soit atténuée dans l’aide au suicide (par rapport à l’euthanasie), elle n’en demeure pas moins lourde : c’est son diagnostic qui conditionne l’enclenchement ou non du processus, c’est lui qui authentifie la nature de la demande et en évalue le caractère justifié ou non. Enfin, il incombe au médecin le devoir de s’assurer que la demande du patient n’est pas liée à un état dépressif et/ou une souffrance pouvant faire l’objet d’une prise en charge spécifique.

Le CCNE a d’ailleurs précisé que si la législation était amenée à évoluer vers une dépénalisation du suicide assisté, elle devrait s’accompagner d’une clause de conscience spécifique (donc accompagnée d’une obligation de référer le patient à un praticien qui accepte de le prendre en charge). Une nécessité que le président du Conseil national de l’Ordre des médecins a également soulignée afin que « la loi protège le médecin ».2

Si cette évolution devait se confirmer, comment pourrait-elle être appliquée ?

Il faudrait trouver un équilibre en mettant en place des garde-fous pour éviter les dérives, tout en laissant un cadre suffisamment souple pour que la procédure ne devienne pas inapplicable.

En pratique, les cas évoqués par le CCNE où le suicide assisté serait autorisé pourraient concerner, par exemple, certaines pathologies neurodégénératives de pronostic sombre (maladie de Huntington, maladie de Charcot…), des situations pour lesquelles la législation actuelle n’apporte pas de réponse car le pronostic vital n’est pas engagé à court terme.

Le CCNE pose certaines conditions pour s’assurer que la demande est justifiée : le patient est atteint d’une pathologie grave et incurable engageant le pronostic vital et se trouve dans une situation de souffrances « intolérables et irréversibles » ; la demande d’aide à mourir n’est pas la manifestation d’un syndrome anxiodépressif qui appellerait une thérapie adaptée ; le traitement des douleurs ou de toute autre source d’inconfort a été réalisé « au mieux de l’état de l’art médical » et il n’existe pas d’autre moyen d’apaiser ces souffrances ; enfin, la demande d’assistance au suicide est libre de toute pression, éclairée et réitérée.

Il me semble que le médecin traitant devrait être érigé en acteur incontournable dans ce processus : sa connaissance du patient et son suivi sur le long terme le rendent plus à même d’examiner au mieux les conditions que je viens de citer.

Ensuite, comme il a été recommandé par le CCNE, une collégialité s’impose. Mais, à mon sens, elle devrait être à géométrie variable pour s’adapter à la pluralité des situations cliniques (l’avis d’un confrère, d’un psychiatre ou bien un expert assermenté à la Cour). Je pense en revanche qu’une procédure collégiale obligatoirement hospitalière engendrerait une lourdeur administrative incompatible avec des situations de relative urgence (exemple : un patient qui développe une maladie de Huntington).

Un délai de réflexion d’un mois pourrait être envisagé, mais pas davantage car à quoi bon demander à un patient qui souffre d’une maladie neurodégénérative très grave ou d’un cancer incurable de réfléchir pendant six mois ? Enfin, il serait souhaitable que ce deuxième entretien se fasse en présence d’un proche qui ait compris et accepte la demande du requérant. L’information et l’accord des proches me semblent importants, car il ne faut pas négliger les répercussions psychologiques que le suicide de quelqu’un, même assisté (moins brutal, plus apaisé), peut avoir sur son entourage. Un accompagnement psychologique, aussi bien pour le patient que pour les proches, devrait être systématiquement proposé.

Reste enfin la question de l’encadrement de cette assistance au suicide : la personne pourra-t-elle prendre le produit létal seule à son domicile, comme cela se fait dans l’Oregon, ou bien sera-t-elle accompagnée, par exemple par une association, comme en Suisse où le processus est plus ritualisé et les personnes moins seules ?

Il faudrait, pour fixer tous ces aspects, des recommandations de bonne pratique qui seraient plutôt des consignes que des conditions impératives, afin que le dispositif reste suffisamment souple pour être opérationnel et modulable au cas par cas.

Pour finir, en quoi une légalisation de l’aide active à mourir bouleverserait-elle les soins palliatifs ?

Tout d’abord, le CCNE a bien précisé qu’avant d’envisager une évolution de la législation, il faut donner tous les moyens aux professionnels des soins palliatifs de répondre correctement aux besoins des patients : c’est-à-dire, d’en atteindre le plus grand nombre sur le territoire national, d’apaiser au mieux les souffrances, de généraliser l’usage des directives anticipées, etc. – en somme, d’appliquer pleinement la loi Claeys-Leonetti de 2016, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. En effet, il est frustrant d’avoir l’impression que tout n’a pas été fait aujourd’hui pour attaquer le problème à la racine : si les gens étaient apaisés dans leur souffrance et leurs douleurs, l’envie de mourir s’estomperait – ou tout au moins les demandes deviendraient résiduelles.

Pour autant, force est de reconnaître que cette loi ne répond pas à toutes les situations. Par exemple, la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, possible dans certains cas (souffrances réfractaires et pronostic vital engagé à court terme), ne s’applique pas aux cas évoqués par le CCNE dans cet avis – je pense en particulier à certaines pathologies neurodégénératives où le pronostic vital n’est pas forcément engagé à court terme.

Ainsi, les situations décrites par le CCNE ne se chevauchent pas entièrement avec celles qui sont déjà prises en charge en soins palliatifs : en ce sens, je ne crois pas que ces derniers soient bouleversés si le suicide assisté – appliqué dans un nombre de cas très restreint – était légalisé. Je ne pense pas, en d’autres termes, que le suicide assisté devienne l’avenir de la mort : ce sont des cas qui resteront rares, dans lesquels ce type d’aide active à mourir sera considéré comme un acte de solidarité, toléré à titre dérogatoire. Ne pas banaliser cet acte est le seul moyen de répondre à l’objection de la contradiction entre les politiques de prévention du suicide et l’éventuelle légalisation du suicide assisté : les cas autorisés devront répondre à des critères plus stricts que ceux établis par exemple en Suisse.

Il y a, finalement, une complexité inhérente à ces discussions : d’une part, une loi ne pourra jamais, quoi qu’il arrive, être exhaustive et répondre à chaque situation avec toutes ses spécificités ; d’autre part, tout simplement, la mort ne sera jamais facile pour les hommes ! On a beau fantasmer sur l’idée d’une mort idéale, elle n’existe pas : mourir n’a jamais été une partie de plaisir pour personne… Les médecins, qui sont au cœur de ces discussions aujourd’hui, auront ainsi toujours le devoir – quand bien même une loi les autoriserait à apporter une assistance au suicide – de s’assurer qu’il n’y a pas d’autre moyen pour apaiser les souffrances d’un patient. Ils pourront alors se souvenir de cette méditation de Pascal : « Tous les hommes recherchent d’être heureux (…). C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. »

Références

1. CCNE. Avis 139. Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité. 13 septembre 2022.
2. Garré C, Tranthimy L. Aide active à mourir : « Le médecin accompagnateur, sûrement. Effecteur ? Ce n’est pas son rôle », selon le président de l’Ordre. Le Quotidien du médecin, 15 septembre 2022.
À lire aussi : Le Coz P. Fin de vie : il faut distinguer suicide assisté et euthanasie. Rev Prat (à paraître).