L’Académie nationale de médecine dénonçait, en 2020, le fait que seules 50 % des demandes de titres de séjour pour raison de santé sont désormais acceptées, contre 75 % auparavant. Et ce, depuis que la décision dépend, non plus de l’avis des médecins des agences régionales de santé, mais de celui de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, sous l’égide du ministère de l’Intérieur.1 L’instauration d’un délai de carence de trois mois pour l’affiliation des demandeurs d’asile à l’Assurance maladie semble d’ailleurs n’avoir qu’un objectif : diminuer l’immigration médicale, qui est pourtant un phénomène marginal. Ainsi, selon une enquête de 2019 de l’Irdes, 10 % seulement des personnes éligibles à l’aide médicale d’État (AME) répondent être venues en France pour des raisons de santé (les motifs les plus fréquents étant économique et politique).Et le Pr Olivier Bouchaud* rappelle, dans un texte publié par la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), que « près de la moitié des migrants africains chez qui on a détecté le VIH avaient été infectés, non pas dans leur pays d’origine, mais bien en France » !2 Le parcours migratoire et les conditions d’accueil sont donc eux-mêmes responsables de pathologies : le Dr Frédéric Sorge** confirme, à propos des enfants migrants, que leur «état de santé (…) est influencé par les conditions sanitaires de leur pays d’origine, l’exposition au stress et aux agents pathogènes, l’insalubrité de leur hébergement et l’insécurité alimentaire durant leur parcours migratoire et dans leur pays d’accueil, ainsi que par les troubles psychologiques parentaux ».3
En France, pour une prise en charge à 100 % de leurs frais de santé, les personnes en situation irrégulière sont éligibles à l’AME, créée en 2000, en remplacement de l’aide médicale d’urgence préexistante pour pallier l’exclusion des travailleurs sans papiers ne pouvant bénéficier d’une couverture sociale de droit commun par l’Assurance maladie. Mais les démarches d’accès à ces prestations sont complexes, et 70 % des patients reçus en centres de soins de l’ONG Médecins du monde n’avaient aucun droit ouvert en 2020 !
Dans un rapport de 2021 coordonné par cinq ONG, il est précisé que « près d’un demandeur d’asile sur deux nécessite des soins urgents ou assez urgents mais avec un retard de recours aux soins », dénonçant ainsi « une dégradation croissante de l’accès à la santé des migrants ».4 Pourquoi ? On l’a vu, l’accès à une couverture santé est de moins en moins facilité ; s’y ajoutent une méconnaissance des migrants de leurs droits et des barrières culturelles et linguistiques, freinant d’autant la demande de soins.
Un amendement proposant la suppression de l’AME au profit d’une aide ne couvrant que les « soins urgents » a été voté au Sénat le 15 mars 2023. Raison économique ? Alors même que, dans le projet de loi de finances pour 2022, le budget de l’AME ne représentait que 0,4 % de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ? En avril dernier, les sociétés savantes Spilf, SRLF (Société de réanimation de langue française), SFSP (Société française de santé publique) et SFMU (Société française de médecine d’urgence) ont signé un communiqué commun sur la suppression de l’AME : ils considèrent cet amendement « contraire aux principes des droits humains garantissant un droit à la santé pour tous », comme « un non-sens d’un point de vue économique, les prises en charge tardives hospitalières des pathologies étant particulièrement coûteuses », et estiment que cela « va limiter l’accès aux soins d’une population déjà fragilisée ». Ils ajoutent que « toutes les études démographiques démontrent que la migration pour raison de santé est minoritaire (…), que cette mesure n’aura aucun effet sur les flux migratoires ».5
Tout porte en effet à croire que cet amendement, s’il était voté à l’Assemblée nationale, conduirait à limiter la prise en charge des pathologies chroniques et l’accès aux soins de prévention, risquant donc d’augmenter le recours aux services d’urgence, voire le renoncement aux soins… un non-sens sanitaire et économique !
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