L’aspect « entreprenarial » (mon logiciel de correction automatique me conseille « entrepreneurial » mais une rapide recherche sur internet confirme que je peux garder « entreprenarial », j’apprends même que c’est accepté au Scrabble, pour les amateurs !) de la médecine générale est non seulement un fossé évident entre la fac et la vraie vie, mais surtout une vraie difficulté, que l’on apprivoise certes, avec les années. Je dis bien « apprivoiser » et non « maîtriser », car je pense que le pourcentage de médecins qui ont des palpitations lorsqu’un courrier à entête de l’Urssaf arrive dans la boîte aux lettres est largement supérieur à celui des médecins qui se disent : « Cool, un courrier que je n’aurai pas à scanner dans un dossier de patient ! ».
Certes, les modes d’exercice sont multiples, ce qui pourrait rendre l’apprentissage des aspects administratifs du métier compliqué. Mais, après tout, on apprend bien les différentes néphropathies glomérulaires... je me délecte en redécouvrant l’item 260 de l’ECN, « Néphropathie vasculaire : diagnostiquer une néphroangiosclérose, une sténose de l’artère rénale, une microangiopathie thrombotique, une maladie des emboles de cristaux de cholestérol ». Or je ne crois pas qu’on demande aux futurs néphrologues de connaître la signification des acronymes SCI, SCM, AGA, CPTS, PDS, ROSP, OPTAM, SNIR, RIAP…
L’apprentissage se fait donc « sur le tas » – ou plutôt la montagne –, essentiellement grâce aux stages chez le praticien, et donc de façon très dépendante du lieu de ces stages.
Première difficulté : la comptabilité
On peut certes choisir la facilité en prenant un comptable, puisque c’est leur métier. Le fait de déléguer paraît séduisant, mais cela a un coût non négligeable, et il est judicieux de maîtriser ce qui va directement déterminer notre revenu. L’exercice en libéral (qui concerne encore une majorité de médecins généralistes) implique de trouver un équilibre entre les charges et le restant, qui correspond finalement au salaire.
Le terme de « charges » parle à lui tout seul : c’est bien un poids que le jeune médecin ressent les premières années, entre les déclarations à ne pas rater et les coûts du cabinet toujours difficiles à évaluer au début. On entend dire qu’il reste en général 50 % des honoraires perçus une fois les charges déduites, mais les premières années il y a un manque de lisibilité : rattrapage Carmf la troisième année d’exercice après les deux premières années forfaitaires ; impact des congés maternité avec des années beaucoup moins rémunératrices mais qui font baisser les charges Urssaf et Carmf seulement deux ans plus tard, etc.
L’Urssaf, justement
Je me surprends à ne pas l’avoir citée en première difficulté ! Notre bac + 9 ne suffit pas toujours à comprendre le calcul des cotisations : entre les cotisations provisionnelles, l’appel de cotisation n+1, l’appel de cotisation n+2 et la régularisation des cotisations, il y a de quoi en perdre son latin (alors imaginez si on n’a pas fait de latin !). L’Urssaf regroupe une multitude de type d’entreprises (avec ou sans TVA, avec ou sans associés…) et donc un fonctionnement complexe, rébarbatif et, bien sûr, évolutif dans le temps. Voici une ligne issue de ma feuille Urssaf : « CSG/CRDS sur revenus d’activité et sur cotisations sociales personnelles obligatoires », on est loin de la sémiologie ! Une formation sur ces sujets me paraîtrait donc indispensable. Et je n’évoque même pas le remplissage de la déclaration 2035 même si c’est la saison !
CPAM : des liaisons dangereuses
Ne pouvant aborder la totalité des aspects administratifs de la gestion du cabinet, je choisis en conclusion de parler des liaisons (parfois dangereuses) avec la CPAM. L’apprentissage se fait par le retour (toujours tardif) des formulaires mal remplis, via le patient en général. Il faudrait donc au minimum connaître les démarches (accident de travail, maladie professionnelle, bon de transport…) et surtout les situations avec évolution défavorable : consolidation avec séquelles, passage en invalidité après un long arrêt de travail… Car c’est bien le patient qui pâtit de la méconnaissance de tous ces dispositifs. Le médecin conseil n’est jamais joignable directement, et ce travail se fait évidemment en dehors du temps de consultation.
On comprend donc que les jeunes générations soient attirées par le salariat, proposé souvent par de grosses structures type MSP (maison de santé pluridisciplinaire). Le risque actuel, me semble-t-il, est que des fonds de financement créent ces structures (c’est ce qui se passe pour les radiologues de ville depuis quelques années), offrant au médecin un exercice « clé en main ». C’est séduisant, mais il sera sans aucun doute attendu une rentabilité en retour, dépossédant le médecin de la gestion de son temps de consultation.