Il est important de diagnostiquer ces surdités car elles sont fréquentes, et ont un retentissement socioprofessionnel non négligeable alors qu’elles sont, pour la plupart, accessibles à un traitement chirurgical, ou à défaut prothétique.
La surdité de transmission à tympan normal se définit comme une diminution de la capacité auditive en relation avec une perturbation de la transmission de l’onde sonore, depuis un tympan normal jusqu’à un nerf cochléaire intègre. Elle se différencie de la surdité de perception, liée à une atteinte neurosensorielle, c’est-à-dire une atteinte de la cochlée ou des voies et centres nerveux auditifs rétrocochléaires. Une baisse d’audition unilatérale ou bilatérale est un motif relativement fréquent de consultation en médecine générale.1 Elle atteint 9,3 % de la population française.2 Les objectifs de la conduite à tenir face à une surdité de transmission à tympan normal sont de la reconnaître dès la consultation en médecine générale, par l’otoscopie et les manœuvres instrumentales, d’orienter le diagnostic et d’en déduire les possibilités thérapeutiques et évolutives.

Rappel sur le système tympano-ossisculaire

C’est une entité anatomophysiologique transmettant les ondes sonores de l’oreille externe vers l’oreille interne, en accordant l’impédance de l’onde transmise par voie aérienne à l’impédance des milieux liquidiens labyrinthiques. Il joue également un rôle de protection cochléaire. Cet ensemble comprend deux éléments, la membrane tympanique et la chaîne ossiculaire, solidarisés par l’inclusion du manche du marteau dans la membrane tympanique, l’ensemble se situant dans la caisse du tympan.
La membrane tympanique est constituée de la pars tensa et de la pars flaccida :
– la pars tensa est une membrane fibreuse, épaisse, dont la partie centrale, l’ombilic, correspond à l’extrémité inférieure du manche du marteau. À peu près circulaire, d’environ 10 mm de diamètre, elle représente la majeure partie du tympan. Elle est constituée de trois couches : épidermique (externe), fibreuse, et muqueuse (interne). La couche fibreuse s’épaissit à la périphérie pour constituer l’annulus, qui s’encastre dans une rainure osseuse. En haut, ce bourrelet se dirige vers la courte apophyse du marteau pour former les ligaments tympano-malléolaires antérieurs et postérieurs ;
– la pars flaccida est située au-dessus des ligaments tympano-malléolaires, elle est beaucoup plus petite, dépourvue de couche fibreuse et ne joue aucun rôle dans la physiologie de l’audition.
À l’examen otoscopique (fig. 1), la membrane tympanique normale est à demi-transparente, de coloration gris perle et brillante ; on y distingue le manche du marteau, oblique en bas et en arrière, se terminant au centre par l’ombilic. Le triangle lumineux part de l’ombilic vers l’avant et légèrement vers le bas. Par transparence, on peut visualiser le promontoire, saillie mamelonnée occupant les deux tiers antérieurs de la face interne de la caisse du tympan, correspondant au relief du premier tour de spire de la cochlée, et la branche descendante de l’enclume, en haut et en arrière.
En dedans du tympan, les trois osselets, le malleus (marteau), l’incus (enclume) et le stapes (étrier) sont reliés entre eux par des articulations. L’ensemble, recouvert par la muqueuse de la caisse, forme une chaîne qui traverse la caisse du tympan, de la membrane tympanique à la fenêtre vestibulaire (ou fenêtre ovale). L’étrier est le plus médial et le plus utile des osselets d’un point de vue physiologique ; il est constitué d’une platine qui s’encastre dans la fenêtre vestibulaire de l’oreille interne.

Diagnostic acoumétrique et audiométrique

Examen clinique

L’interrogatoire précise les circonstances de découverte de la surdité (traumatisme crânien, infection oto-rhino-laryngée [ORL], prise de médicaments ototoxiques…), le mode de survenue (brutal ou progressif), l’ancienneté, le mode évolutif et son caractère uni- ou bilatéral. Le patient peut se plaindre d’acouphènes, de vertiges ou d’une autophonie (entendre sa propre voix de façon anormalement forte) ou d’une paracousie (mal percevoir la hauteur des sons [son grave ou aigu], leur intensité ou la localisation de leur source). On recherche les antécédents familiaux d’otospongiose ou de malformation de l’oreille et autres maladies génétiques.
L’examen clinique se poursuit par l’inspection de l’oreille externe, pour éliminer une malformation, une cicatrice ou un écoulement provenant du conduit auditif externe. La palpation, portant sur la région cervico-­mastoïdienne, est normale
L’examen otoscopique des deux oreilles commence par le côté atteint. On examine ainsi le conduit et le tympan, dont on peut apprécier la mobilité à la manœuvre de Valsalva (donnant un reflet de la valeur fonctionnelle de la trompe auditive). Par définition, il est normal.
L’acoumétrie, réalisée au diapason 512 Hz, met en évidence une formule transmissionnelle, avec un signe de Weber latéralisé du côté atteint, ou du plus atteint, et un Rinne négatif, c’est-à-dire une conduction osseuse anormalement meilleure que la conduction aérienne (fig. 2). Le reste de l’examen ORL, vestibulaire et neurologique est normal. Ainsi, au terme de l’examen clinique, il est possible d’orienter le diagnostic et d’adresser le patient à un confrère spécialisé en ORL.

Examens paracliniques

L’audiométrie tonale liminaire permet de confirmer et de quantifier les données de l’acoumétrie. En cas de surdité de transmission à tympan normal, la courbe aérienne est abaissée alors que la courbe osseuse est conservée. La différence des seuils auditifs en conduction osseuse et en conduction aérienne constitue le Rinne audiométrique, qui est dit ouvert (fig. 3).
L’audiométrie vocale évalue le retentissement social de la surdité, notamment en mesurant le seuil d’intelligibilité. On note une courbe décalée vers la droite, sans trouble de l’intelligibilité.
La tympanométrie étudie la compliance du système tympano-ossiculaire par des pressions d’air variables. Une courbe normale est centrée sur la pression 0. En cas de dysfonctionnement tubaire, elle est déviée vers les pressions négatives (pic dévié à gauche). En cas d’épanchement, elle est plate. En cas de rigidité du système tympano-ossiculaire, le pic est abaissé.
L’étude du réflexe stapédien, obtenu par une stimulation forte (supérieure à 80 dB), provoque une contraction réflexe bilatérale du muscle de l’étrier dont la mise en œuvre se fait par le nerf facial : il s’agit d’un réflexe acoustico-facial. En cas de surdité de transmission supérieure à 20 dB, l’atteinte du système tympano-ossiculaire est responsable de la disparition de ce réflexe.
La tomodensitométrie en coupes fines axiales avec reconstruction coronales et sagittales, sans injection, a pour objectif d’évaluer le cadre osseux, le canal facial, l’aération de la caisse du tympan, de la mastoïde et l’état de la chaîne ossiculaire.

Diagnostic différentiel

Une fois fait le diagnostic positif de surdité de transmission, il faut éliminer les surdités liées à une atteinte de l’oreille externe, à un tympan pathologique et l’oreille cophotique.
Les surdités de transmission par atteinte de l’oreille externe sont dues aux bouchons de cérumen, aux corps étrangers et tumeurs du conduit auditif externe ainsi qu’aux pathologies infectieuses de ce conduit (otite externe, furoncle). Enfin, les aplasies majeures se caractérisent par l’absence de conduit auditif externe.
Les surdités de transmission à tympan pathologique sont liées à des traumatismes directs (par coton-tige) et aux traumatismes crâniens responsables d’une perforation tympanique. Les barotraumatismes et les blasts auriculaires peuvent également induire des lésions tympaniques ou ossiculaires. Les otites peuvent toutes induire une surdité de transmission.
La cophose est parfois un piège diagnostique, l’acoumétrie retrouvant un « faux Rinne négatif ». Une courbe fantôme et un faux Rinne ouvert sont également retrouvés en audiométrie si l’assourdissement de l’oreille controlatérale est mal réalisé car les réponses obtenues au cours des tests proviennent en fait de l’oreille opposée (oreille saine) à l’oreille testée.

Diagnostic causal

Les causes de surdité de transmission à tympan normal sont de deux niveaux : les pathologies de l’oreille moyenne, qui peuvent être responsables d’une surdité évolutive par ankylose, ou par entrave au fonctionnement de la chaîne ossiculaire, ou non évolutive par rupture ossiculaire ; et certaines pathologies de l’oreille interne qui peuvent également entraîner une surdité de transmission.

Surdité évolutive par ankylose


Otospongiose

L’otospongiose est une ostéodystrophie de la capsule otique et des osselets responsable d’une ankylose progressive de la platine de l’étrier dans la fenêtre vestibulaire. Elle semble due à des facteurs génétiques, avec une transmission autosomique dominante à pénétrance variable, et touche plus souvent les femmes chez qui cette maladie semble rythmée par les épisodes de la vie génitale. Elle se manifeste par une surdité de transmission progressive, unilatérale dans 25 % des cas et bilatérale dans 75 % des cas, accompagnée d’autophonie et de paracousie de Willis (amélioration paradoxale de l’audition dans le bruit), et parfois de troubles de l’équilibre.3 L’évolution spontanée se fait vers l’aggravation de la surdité de transmission puis par l’apparition d’une surdité mixte (labyrinthisation). Le signe acoumétrique pathognomonique est le signe de Bonnier où le patient perçoit au niveau de l’oreille malade le son du diapason posé sur sa rotule. L’encoche de Carhart (encoche centrée sur 2 000 Hz) est souvent retrouvée en audiométrie. Le diagnostic de certitude repose sur l’exploration chirurgicale, mais la tomodensitométrie est devenue très performante, permettant une analyse précise de la fenêtre vestibulaire et de la platine de l’étrier : elle montre une hypodensité de la capsule otique dans la région de la fissula ante fenestram, en avant de la platine de l’étrier (fig. 3). Le traitement chirurgical consiste en la mise en place d’un petit piston en Téflon qui entre dans le cadre d’une platinotomie ou d’une platinectomie : la platinotomie consiste en un petit forage de la platine avec mise en place d’un piston introduit dans la zone d’ouverture ainsi créée ; la platinectomie consiste à ôter une petite partie de la platine avec mise en place d’un greffon veineux à l’endroit de la béance qui en résulte. Le piston est alors collé sur la petite veinule servant à obstruer la zone de platinectomie.

Syndrome de House

Le syndrome de House ou de Goodhill est responsable d’une surdité de transmission à tympan normal acquise, caractérisée par la fixation de la tête du marteau à son contenant osseux (la cavité de l’oreille moyenne) liée à l’ossification des ligaments antérieurs et/ou supérieurs du marteau (fig. 4). Le traitement chirurgical vise à rétablir la mobilité ossiculaire en sectionnant l’attache osseuse ou en modifiant le montage ossiculaire (ossiculoplastie).4
Pour mémoire, l’ostéogenèse imparfaite de Lobstein (« maladie des os de verre ») et la maladie de Paget peuvent être responsables d’une surdité de transmission à tympan normal du fait d’une atteinte d’un ou plusieurs osselets.

Surdité non évolutive par rupture de la chaîne ossiculaire

L’aplasie mineure entraîne une surdité de transmission à tympan normal liée à une anomalie de la chaîne ossiculaire, anomalies qui peuvent être multiples (fig. 5).
Les traumatismes peuvent être responsables de fracture et/ou de disjonction ossiculaire (fig. 6). Le signe acoumétrique de Lewis signe la rupture des osselets, avec une conduction osseuse (diapason posé sur la mastoïde) anormalement meilleure que la conduction cartilagineuse (diapason posé sur le tragus).

Surdité par entrave au fonctionnement de la chaîne ossiculaire

L’otite séromuqueuse est un état inflammatoire chronique et actif de la caisse du tympan et de ses cavités annexes, avec la présence au sein des cavités d’un épanchement séreux aseptique derrière une membrane tympanique modifiée mais non perforée (fig. 7). Bien que cette cause ne respecte pas strictement la notion de « tympan normal », il faut y penser lors du bilan causal, en raison de sa grande fréquence en médecine de ville chez l’enfant entre 1 et 5 ans prédisposé aux infections rhinopharyngées et aux otites moyennes aiguës, mais également chez l’adulte. Chez ce dernier, l’enjeu est alors de ne pas méconnaître une tumeur du cavum devant une otite séromuqueuse unilatérale persistante.
Un processus occupant, tel un cholestéatome à tympan fermé ou une autre tumeur confirmée à la tomodensitométrie, peut être responsable d’une surdité de transmission à tympan normal évolutive.

Surdité par atteinte de l’oreille interne

En 1998, Minor décrit pour la première fois une surdité de transmission à tympan normal qui correspondrait à une déhiscence du canal semi-circulaire supérieur (fig. 8). Il s’agit d’un défaut de couverture du canal semi-circulaire supérieur par l’os temporal, à l’origine d’un phénomène de « troisième fenêtre » (qui viendrait s’ajouter à la fenêtre vestibulaire et à la fenêtre cochléaire de l’oreille moyenne). La fenêtre ainsi créée entraînerait une dissipation de l’énergie acoustique des ondes sonores, expliquant ainsi la surdité. Entité clinique rare et encore débattue, elle est à évoquer devant une surdité de transmission à tympan normal chez un patient rapportant des acouphènes pulsatiles et/ou des troubles de l’équilibre provoqués lors de la manœuvre de Valsalva et au bruit fort. Il s’agit de « l’effet Tullio ».5

Conclusion

Le diagnostic positif d’une surdité de transmission à tympan normal repose sur l’otoscopie et l’acoumétrie, et est confirmé par l’audiométrie. Le diagnostic étiologique de certitude repose sur l’exploration chirurgicale de la caisse du tympan, actuellement avantageusement remplacée, ou au moins précédée d’une tomodensitométrie-scanner des rochers.
Le traitement est le plus souvent chirurgical, au moins pour l’otospongiose, la fixation atticale du marteau, l’aplasie mineur et le syndrome de Minor. L’appareillage audioprothétique est une autre possibilité en cas de contre-indication ou de refus de la chirurgie, ou d’otospongiose labyrinthisée.
Références
1. Signoret J. Évolution du contenu de la consultation de médecine générale en termes de maladies chroniques, aiguës et de prises en charge non pathologiques entre 1993 et 2010. Versailles : Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, thèse pour le diplôme d’État de docteur en médecine 2012. https://bit.ly/2xiDf53
2. Collège national d’audioprothèse. Partie 1 : Déficience auditive : étiologie, épidémiologie et conséquences. In : Déficits auditifs en France : livre blanc. Paris : Collège national d’audioprothèse, 20017:12-4.
3. Siddiq MA. Otosclerosis: a review of aetiology, management and outcomes. Br J Hosp Med 2006;67:472-6.
4. Bruzzo M, Bracccini F, Caces F, Vallicioni JM, Chas A, Magnan J. Le syndrome de la tête du marteau fixée. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 1998;115:279-83.
5. Minor LB, Solomon D, Zinreich JS, Zee DS. Sound- and/or pressure-induced vertigo due to bone dehiscence of the superior semicircular canal. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 1998;124:249-58.

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Résumé

Les surdités de transmission à tympan normal sont définies par une diminution de la capacité auditive en relation avec une perturbation de transmission de l’onde sonore depuis un tympan normal jusqu’à un nerf cochléaire intègre. L’intérêt de diagnostiquer ces surdités tient d’une part à leur grande fréquence, d’autre part au retentissement socioprofessionnel qu’elles peuvent induire, et enfin au fait qu’une grande partie d’entre elles sont accessibles à un traitement chirurgical, ou à défaut prothétique. La tomodensitométrie contribue à l’orientation diagnostique et au bilan préopératoire. Si les pathologies de l’oreille moyenne dominent en fréquence les causes possibles de surdité de transmission à tympan normal, avec en tête l’otospongiose, des anomalies de l’oreille interne, pouvant être responsables de surdité de transmission ou de surdité mixte, ont été récemment répertoriées grâce aux progrès de l’imagerie numérique moderne.