Après l’annonce récente du franchissement du seuil des 100 000 morts en France dus à la Covid-19, les questions sur l’excès de mortalité imputable à la pandémie depuis 2020 refont surface. La hausse de la mortalité en 2020 serait de 9 % par rapport à 2019, mais que cache ce chiffre ? Les premières analyses de l’Insee viennent d’être publiées…

 

Publiées début 2021, les premières données de l’Insee concernant le nombre de décès en 2020 établissent celui-ci à 667 400 (toutes causes confondues) ; l’excédent par rapport à 2019 est de 53 900. Un accroissement de 9 % qui, en prenant en compte l’augmentation régulière des décès liée au vieillissement des Français, s’établirait plutôt à 7 %.

Séparés par période et classe d’âge, ces chiffres montrent une moindre mortalité en janvier et février 2020 par rapport aux deux années antérieures (la grippe saisonnière ayant causé 7 500 décès en moins par rapport à la même période de 2019, par exemple), suivie d’un excédent de 27 % observé lors de la première vague de Covid (1er mars-30 avril) au niveau national, par rapport à la même période de l’année précédente. L’excédent s’est maintenu, quoique moins important, par la suite : +1 100 décès entre le 1er mai et le 31 août ; +33 000 (+16 %) entre le 1er septembre et le 31 décembre, lors de la deuxième vague.

Cette hausse n’aurait concerné cependant que les personnes de 65 ans et plus (+10 %), et elle est restée négligeable en deçà : +2 % entre 50 et 64 ans ; -1 % entre 25 et 49 : -6 % chez les moins de 25 ans. Pour expliquer ces derniers chiffres en baisse, l’Insee évoque un effet protecteur du confinement sur certaines causes de décès (par exemple, la diminution de la mortalité routière)… Aux États-Unis, par exemple, la Covid-19 a pris la place du suicide dans le « top 10 » des causes de décès en 2020, par rapport aux deux années précédentes. Car, sans surprise, selon les données partielles pour la France, de ces décès toutes causes confondues, ceux qui sont attribuables à la Covid-19 concernent en effet tout particulièrement les sujets âgés : 93 % des victimes de la maladie ont plus de 65 ans et leur âge moyen est de 82 ans.

Un constat semblable à celui, par exemple, de la Suisse, où la surmortalité globale de 20 % lors de la première vague se « combine » à une sous-mortalité observée sur d’autres périodes de l’année (comme au début, avec l’absence de pic dû à la grippe, et des possibles mécanismes de compensation par ailleurs) pour donner une sous-mortalité globale en 2020 (mais avant la deuxième vague) de -3,3 %. Un chiffre qui lui-même cache une très importante surmortalité chez les plus de 65 ans, notamment dans certains cantons (+80 % pour certains !).

En France, ce type de variations selon les régions est également observée. Sur l’ensemble de l’année, les 3 régions métropolitaines ayant les plus forts excédents de mortalité par rapport à 2019 sont : l’Île-de-France (+18 % ; et +90 % en considérant seulement la première vague), le Grand-Est (+13 % ; et +55 % sur mars-avril) et l’Auvergne-Rhône-Alpes (+14 % ; mais +38 % depuis septembre), auxquelles s’ajoute, pour l’outremer, Mayotte avec un excédent de+24 %. Dans les trois premières, 6 départements ont connu un excédent de mortalité allant de 20 à 40 % (Seine-Saint-Denis, Essonne, Seine-et-Marne, Haut-Rhin, Savoie et Haute-Savoie), ce qui peut en partie s’expliquer par des déterminants sociaux, soit que la catégorie socio-professionnelle des habitants de ces départements les ait amenés à travailler en première ligne, donc à être plus exposés à la contamination, soit que globalement la pauvreté soit plus élevée dans certaines des communes en question, constituant également un facteur de risque.

En effet, selon une autre analyse récente de l’Insee, les communes franciliennes avec une surmortalité importante en 2020 abritent des populations plus précaires que les autres, cumulant de ce fait certains risques et d’être contaminés et de développer plus de formes graves (du fait du gradient social de santé, les polypathologies chroniques déséquilibrées – facteur de risque connu pour la Covid – y sont plus fréquentes). L’enquête EpiCov constatait ainsi dès octobre 2020 que les personnes habitant un logement exigu ou surpeuplé (moins de 18 m2 par personne pour celles qui partagent un logement) étaient 2,5 fois plus nombreuses à avoir été atteintes de Covid pendant la première vague ; celles habitant une commune très densément peuplée (au moins 1 500 habitants par km2 avec un minimum de 50 000 habitants) sont deux fois plus nombreuses à avoir été positives. 

Deux facteurs – surpeuplement du logement et densité communale – dont le cumul est courant dans les communes à plus bas revenus, touchant tout particulièrement les 25-34 ans, les personnes sans diplôme et les personnes immigrées d’origine non européenne.

Appuyant ce constat, une autre étude de l’Insee rapportait que la surmortalité (toutes causes confondues) constatée en 2020 avait concerné deux fois plus les sujets nés à l’étranger que ceux nées en France : +17 % contre +8 %. Pour les premiers, cette augmentation était de 49 % entre mars et avril pour par rapport à la même période en 2019, contre +23 % pour les personnes nées en France. Une hausse qui a particulièrement touché ceux nés en Afrique (+55 % pour les originaires du Maghreb, +117 % pour les autres pays d’Afrique) ou en Asie (+92 %). Une tendance également observée lors de la deuxième vague, mais avec un moindre écart : +26 % entre septembre et décembre par rapport à la même période en 2019 (contre +16 %).

Si, toutes origines confondues, l’augmentation des décès concerne surtout les sujets âgés de 65 ans et plus, parmi les personnes immigrées d’origine non européenne, les décès des moins de 65 ans ont connu une très forte augmentation qui contraste avec la quasi-stabilité observée dans cette même classe d’âge pour les personnes nées en France, surtout pendant la première vague (mars-avril 2020 par rapport à mars-avril 2019) : +4 % pour ces derniers, contre +31 % en pour les personnes nées au Maghreb ; +101 % pour celles nées dans un autre pays d’Afrique ; +79 % pour celles nées en Asie.

En effet, les personnes d’origine africaine ont figuré souvent parmi les plus exposées au risque de contamination en première vague, exerçant plus souvent des professions dont l’activité s’est poursuivie pendant le premier confinement. En outre, si cette analyse de l’Insee n’inclut pas des données sur les conditions de vie des personnes étudiées (taille des logements, professions, moyens de transports pour se rendre au travail), ou sur leur état de santé (prévalence de certaines pathologies chroniques), ne permettant pas de contrôler pour ces facteurs, l’enquête EpiCov avait conclu qu’en mai 2020 la séroprévalence plus élevée parmi les personnes immigrées nées hors Europe que parmi les personnes non immigrées s’expliquait par des conditions de vie moins favorables…

Toutes ces données n’étant cependant que partielles, il faudra attendre leur consolidation pour tirer des conclusions définitives, en particulier sur la répartition et la variation des décès rapportés aux causes principales. Mais, en attendant, une chose est sûre : la France a connu, en 2020, un pic de mortalité jamais atteint depuis la Seconde guerre mondiale. 

L.M.A., La Revue du Praticien

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