Le surpoids et l’obésité sont un problème majeur de santé publique du XXIe siècle. En France, en 2015, d’après l’étude ESTEBAN, leur prévalence chez les enfants de 6 à 17 ans a atteint 17 %, dont 4 % pour les situations d’obésité.1  

L’obésité, maladie chronique, doit être prise en charge le plus tôt possible, donc dès l’enfance. L’outil d’aide à la consul-tation présenté permet de guider le médecin de famille sur plusieurs aspects, souvent redoutés : comment aborder sereinement le sujet avec la famille ? comment annoncer le diagnostic ? comment structurer le suivi ? 

Constat alarmant d’un dépistage insuffisant

Une étude réalisée en France a mis en évidence un dépistage insuffisant : seuls 44 % des médecins déclarent dessiner les courbes staturopondérales régulièrement. Or lorsque les médecins sont formés, 88 % d’entre eux réalisent ce dépistage.2 

Les médecins généralistes déclarent avoir un manque de formation, de temps et de rémunération pour les consultations dédiées au surpoids pédiatrique ainsi qu’un manque de connaissances du réseau de professionnels formés sur le territoire. Ils déplorent également un manque d’outils disponibles, facilement accessibles et ludiques. L’annonce diagnostique est vécue comme un frein,3,4 avec la crainte d’une approche critique ou blessante, et le risque d’aggraver la situation.

Organisation d’un dépistage et d’une prise en charge efficaces

Repérage précoce, le rôle décisif du médecin traitant 

Un jeune en situation d’obésité à l’âge de 12 ans a 60 % de risque de le rester à l’âge adulte.5 

Une prise en charge précoce permet de limiter les complications à moyen ou long terme d’ordre respiratoire, cardiovasculaire, rhumatismal, métabolique et psychosocial. Elle doit être adaptée, fondée sur les principes de l’éducation thérapeutique du patient (ETP), sans jugement ni culpabilisation, au risque d’obtenir l’effet contraire de celui recherché.

Les médecins généralistes, piliers du système de santé français, acteurs dans la prévention primaire et secondaire à tous les âges de la vie, constituent la clé de voûte de lutte contre ce problème de santé publique.6 

Maillage national

Depuis 2001, la France a entrepris de multiples actions de santé publique afin de prévenir l’obésité pédiatrique. Le Programme national nutrition santé (PNNS)7 a été mis en place et couvre actuellement la période 2019 - 2023.

Des réseaux régionaux de prévention et de prise en charge de l’obésité pédiatrique (RéPPOP) ont été créés afin d’assurer une meilleure prise en charge de cette pathologie ; par exemple, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce réseau se nomme ObEP PACA.8 

Depuis 2011, des centres spécialisés de l’obésité (CSO) ont vu le jour sur l’ensemble du territoire national, avec la double mission de prendre en charge les obésités sévères et d’organiser la filière de soin.

Dernièrement, l’expérimentation OBEPEDIA a mis en lumière l’importance du lien ville-hôpital, y compris dans les situations sévères et complexes, et la nécessité d’avoir des professionnels de santé formés à la prise en charge du surpoids infantile sur le territoire.9 

Enfin, très récemment le dispositif « Mission : retrouve ton cap », mis en place par la Sécurité sociale, permet aux enfants de 3 - 12 ans en surpoids ou à risque de le devenir de bénéficier d’une prise en charge précoce, multiple et remboursée à 100 % (diététicien, psychologue, activité physique).

Bases de la prise en charge

L’obésité est reconnue comme une maladie chronique. La prendre en charge suppose la mise en place de changements de comportements dans une démarche d’éducation thérapeutique.

Prise de conscience nécessaire

Changer les comportements et adopter de nouvelles habitudes nécessite de respecter plusieurs étapes, que les Drs Prochaska et DiClemente ont regroupé sous le terme de « cercle de Prochaska » en 1982.10 Selon eux, le patient doit passer par cinq étapes, nécessaires au changement de comportement : la précontemplation, la contemplation, la préparation au changement, le changement et le maintien du changement. Repérer le stade dans lequel le patient se situe permet au soignant d’adapter la stratégie motivationnelle.

Établi au départ pour le sevrage tabagique, ce modèle est actuellement adapté et étendu à toute pathologie pour laquelle un changement de comportement est nécessaire. L’obésité, en tant que maladie chronique, en fait partie.

 « Éduquer plutôt qu’informer »

L’éducation thérapeutique11,12 a été identifiée au début des années 2000 et reconnue comme l’un des piliers du Plan national d’éducation à la santé de 2001. Partie intégrante d’une prise en charge centrée sur le patient, elle a pour but de l’autonomiser et d’améliorer sa qualité de vie dans la prise en charge de sa maladie chronique.13 

L’éducation thérapeutique se démarque de la simple transmission d’information ; elle permet au patient de s’interroger et de trouver lui-même les solutions qui lui conviennent le mieux.

Professeur d’université, André Giordan préconise d’« éduquer plutôt qu’informer ».14 En effet, une simple transmission d’information permet sa compréhension mais limite l’amorce d’un changement de comportement. Le patient reçoit l’information sans l’avoir élaborée, pensée ni réfléchie par lui-même.

Accompagner le praticien par un outil simplifié 

Le constat d’un dépistage insuffisant a initié la création d’un guide intitulé « Surpoids de l’enfant : comprendre pour mieux accompagner » (à télécharger sur ce lien : https ://bit.ly/3Q3qLT8, ou avec le QR code, fig. 1). Il permet d’aider les médecins généralistes à identifier au mieux les déterminants de la prise pondérale des enfants de 3 à 12 ans de manière concise et pertinente (« comprendre ») et leur apporte quelques clés pour la prise en charge (« accompagner »).

Au-delà des connaissances, il est fondamental d’apporter aux médecins des pistes pour organiser et structurer les entretiens, en les fondant sur une approche d’éducation thérapeutique intégrée aux soins, clé de la réussite.

Ce guide composé de deux feuillets se veut accessible, facile à utiliser en consultation en cabinet de ville pour un gain de temps ; il est  découpé en plusieurs parties, permettant de guider le professionnel de santé dans son utilisation.

Un contenu très pratique

En proposant une méthode et en préconisant l’utilisation des concepts empruntés à l’entretien motivationnel et à l’éducation thérapeutique, le guide permet d’apporter au médecin généraliste un certain confort et une confiance pour aborder le sujet avec davantage de sérénité.

Une page est dédiée à l’annonce du diagnostic ainsi qu’à la structuration de la consultation (fig. 2), s’appuyant notamment sur le cercle de Prochaska.

Un arbre décisionnel (fig. 3) permet également d’aider le praticien à identifier les éléments qui nécessiteraient une orientation vers un spécialiste.

Certains propos ont été transformés en verbatim afin de faire passer un message de manière plus rapide et efficace. Par exemple, « ce n’est pas juste une question de poids mais aussi d’âge et de taille » car, contrairement à l’adulte, un enfant grandit ! Il est donc important de toujours analyser le poids par rapport à la taille et donc de calculer l’indice de masse corporelle (IMC).

Sur une double page, des propositions de questions pertinentes, validées par un groupe d’experts, à poser à la famille et à l’enfant, permettent d’explorer les différents déterminants de la prise pondérale de l’enfant (environnement, sommeil, alimentation, activité physique, psychologie) [fig. 4]. L’utilisation de questions ouvertes permet de faire émerger chez le patient et sa famille de nouvelles habitudes acceptables et réalisables. Le patient peut ainsi s’exprimer librement sur un sujet sans que le médecin soit trop directif dans sa demande.

Des QR codes reprenant les ressources locales du territoire (réseaux de professionnels de santé formés, associations de Maisons sport-santé et recommandations de la Haute Autorité de santé) figurent dans le guide. Il peut apporter aux médecins généralistes les informations utiles au dépistage et à la réorientation de l’enfant quand cela leur paraît nécessaire.

 Perspectives

Le guide a été évalué et validé par les médecins généralistes des Alpes-Maritimes et a été présenté lors du Congrès national de médecine générale, qui a eu lieu en novembre 2023 à Lyon. Il serait intéressant de le développer au niveau national en adaptant les ressources sur les réseaux pluridisciplinaires locaux. 

Encadre

Méthode d’élaboration du guide

Étude par la méthode Delphi,1 méthode d’élaboration de consensus obtenue en croisant les avis d’experts de manière répétée.

18 experts choisis dans le département des Alpes-Maritimes :

  • 6 médecins
  • 3 diététiciennes
  • 3 infirmières Asalée
  • 3 enseignants en activité physique adaptée
  • 3 psychologues

Critères d’inclusion :

  • expérience de prise en charge des enfants en surpoids
  • au minimum au travers de la formation validante DPC organisée par le CSO

Items :

  • d’après les recommandations de la HAS2
  • revue de la littérature
  • expérience de l’équipe du CSO
  • expérience sur le terrain

Questionnaire à remplir en ligne

Méthode d’évaluation :

  • évaluation de la pertinence des items qui figureront dans le guide à l’aide d’une échelle numérique de 1 à 9, l’échelle de Likert (1 correspondant à un désaccord complet et 9 une adhésion totale) ;
  • zone de commentaire libre afin de permettre au groupe d’experts de laisser des remarques amenant à modifier ou reformuler certains items ou en formulant de nouvelles propositions ;
  • réponses anonymes ;
  • synthèse des réponses envoyée après chaque tour ;
  • interprétation des réponses à l’aide des critères de Rand ;1

Une proposition est jugée :

  • en consensus si elle obtient une convergence positive (≥ 80 % des réponses supérieures à un score de 7 et la médiane est ≥ 7) ;
  • en accord si elle obtient une convergence positive (50 à 100 % des réponses entre 7 et 9 et moins de 30 % des réponses entre 1 et 3) ;
  • en désaccord dans les autres cas.

Résultats :

  • 2 rondes successives ;
  • taux de perdus de vue 0 %, taux de réponses 100 % ;
  • 69 propositions dont 23 reformulations à la suite de la première ronde.

Exemple : le titre du guide ne devrait pas utiliser le mot équilibre qui serait « à connotation alimentaire et normalité » et « un mot assez vaste », le terme « retrouver » étant vécu comme gênant et « impliqu[ant] une perte ».

  • La ressource des maisons Sport Santé sur le territoire était importante à ajouter aux ressources disponibles pour le médecin et a été ajouté.
  • Il est important d’adopter une posture non jugeante.
  • L’éducation thérapeutique du patient se décrit par la phrase suivante « Aide moi à faire par moi-même et avec mon entourage »

1. Booto Ekionea JP, Bernard P, Plaisent M. Consensus par la méthode Delphi sur les concepts clés des capacités organisationnelles spécifiques de la gestion des connaissances. Rech Qual 2011 ;29(3) :168. 

2. HAS. Guide du parcours de soins  : surpoids et obésité chez l’enfant et l’adolescent(e). Haute Autorité de Santé. Février 2023. Disponible sur : https ://bit.ly/3QvY8zL 

Références
1. Santé publique France. Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (ESTEBAN 2014-2016). Volet Nutrition, chapitre Corpulence. 43 p. 
2. Vimeux L. Pratiques et attentes des médecins généralistes et pédiatres libéraux de Poitou-Charentes concernant le diagnostic et la prise en charge de l’obésité pédiatrique. Thèse pour l’obtention du diplôme d’État de docteur en médecine. Université de Bordeaux, 2017 : https://bit.ly/46Sgdx1 
3. Goujeon O. Les freins au dépistage et à l’initiation de la prise en charge de l’obésité infantile : enquête auprès des médecins généralistes de Maine-­et-Loire. Thèse pour l’obtention du diplôme d’État de docteur en médecine. Université d’Angers, 2016 : https://bit.ly/48YoHVq 
4. Boujon L, Balvay C. Surpoids et obésité de l’enfant : freins à la prise en charge par les médecins généralistes. Thèse pour l’obtention du diplôme d’État de docteur en médecine. Université Grenoble Alpes, 2020 : https://bit.ly/3tDI8Te 
5. HAS. Surpoids et obésité : repérer plus tôt et mieux prendre en charge.Communiqué de presse. Octobre 2011. 
6. Dutrieu-Pascaud S. Prévention et dépistage du surpoids et de l’obésité chez l’enfant et l’adolescent : le rôle clé du médecin généraliste. Thèse pour l’obtention du diplôme d’État de docteur en médecine. Université de Limoges, 2016.
7. Ministère de la Santé et de la Prévention. Lancement du 4e Programme national nutrition santé 2019-2023. Communiqué de presse. Septembre 2019. 
8. Association ObEP PACA, Centre d’étude et de recherche sur l’obésité et la nutrition en PACA (CERON-PACA) : https://bit.ly/401RNyM 
9. Ministère de la Santé et de la Pré­vention. Expérimentations en cours : https://bit.ly/3tAJVs9 
10. Le cercle de Prochaska et Di­Clemente. Intervenir-addictions.fr (en ligne, consulté le 17 octobre 2023) : https://bit.ly/3S3dVqB 
11. HAS. Éducation thérapeutique du patient (ETP) (en ligne, consulté le 17 octobre 2023) : https://bit.ly/3PWESd3 
12. HAS. Éducation thérapeutique du patient. Définition, finalités et organisation. Juin 2007 : https://bit.ly/40fhdcJ 
13. Lagger G, Chambouleyron M, Lasserre-­Moutet A, et al. Education thérapeutique. 1re partie : origines et modèles. Médecine 2008;4(5):223‑5.
14. Giordan A. Education thérapeutique de la personne, formation pour les personnels soignants (en ligne, consulté le 17 octobre 2023) : https://bit.ly/3rVDiA8

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