Pour surveiller l’épidémie de Covid-19, les principaux indicateurs utilisés ont été les nombres de décès, d’admissions en réanimation ou en hospitalisation conventionnelle, et le nombre de nouveaux cas confirmés. En France, ces indicateurs ont été surveillés et publiés tous les soirs par Santé publique France.
Séparer le bruit du signal
Pour étudier l’évolution de l’épidémie à partir des décès, des admissions à l’hôpital ou des cas confirmés, il est important de séparer le « bruit » du « signal ». En effet, tous ces chiffres sont beaucoup plus faibles les samedis et dimanches, et particulièrement élevés les lundis ; pour les décès, il s’agit probablement d’un report des enregistrements des décès du week-end au lundi suivant. À cause de ce phénomène, observé dans la plupart des pays, on étudie l’évolution de la moyenne glissante sur sept jours, c’est-à-dire qu’on remplace la valeur observée le jour J par la moyenne des sept valeurs observées entre J - 3 et J + 3. C’est ce que font les principaux sites qui présentent les données internationales de l’épidémie.1,2 Ainsi, rien ne justifie l’obstination de certains médias grand public à communiquer sur le nombre de décès survenant les dimanches. Par exemple, Le Monde et Libération ont rapporté le nombre de décès du 10 avril 2022 (45 !), ce qui pouvait paraître rassurant alors qu’il a été suivi de 178 décès le lendemain.
Décalage entre les indicateurs
Par rapport au déroulement de l’infection, les différents indicateurs donnent des informations plus ou moins décalées dans le temps. Il en est ainsi des nombres de décès, d’admissions en réanimation et en hospitalisation conventionnelle, et de cas confirmés en France (figures disponibles sur https://bit.ly/3m2LOXD).
Les évolutions des admissions à l’hôpital et en réanimation sont à peu près synchrones. Pendant longtemps, on a observé environ une admission en réanimation pour cinq admissions à l’hôpital (
Les nombres d’admissions à l’hôpital et de décès ne sont pas synchrones (
Les évolutions des cas confirmés et des décès ne sont pas non plus synchrones, et la
Il y avait beaucoup plus de décès par rapport au nombre de cas avant cette période car de très nombreuses personnes contaminées (non hospitalisées) n’ont pas été testées.
Nombre versus taux
On peut facilement convertir ces indicateurs (exprimés en nombres) en taux, en les divisant par le nombre d’habitants, qui est de 67,8 millions au 1er janvier 2022.* Si l’échelle verticale est graduée de 678 en 678, on peut y repérer les taux pour 100 000 directement car 678/67 800 000 = 1 pour 100 000 (figures illustrant cette échelle en ligne sur https://bit.ly/3m2LOXD). D’autres courbes peuvent comporter une échelle en taux par million (figures disponibles en ligne : https://bit.ly/3m2LOXD).
Incidence
Pour mesurer la fréquence d’une maladie, on étudie en général son incidence, c’est-à- dire le nombre de nouveaux cas survenant dans un laps de temps donné dans une région géographique ou dans une population déterminée. L’incidence des infections par le SARS-CoV-2, donc le nombre de nouvelles contaminations survenant chaque jour, n’est disponible dans aucun pays. Pour la connaître, il faudrait suivre des personnes qui ne sont pas infectées, et enregistrer les infections et la durée du suivi de chaque personne. Dans une étude réalisée en Israël, environ 600 000 personnes ayant reçu quatre doses de vaccin contre le Covid et 600 000 personnes ayant reçu trois doses ont été suivies quelques semaines. La fréquence quotidienne des infections graves a été de 1,5 pour 100 000 personnes avec quatre doses et de 3,9 pour 100 000 personnes avec trois doses.3
En France, les autorités fondent une partie de leur surveillance sur le nombre de cas confirmés divisé par le nombre d’habitants, qu’elles appellent « taux d’incidence ».
Ce « pseudo-taux d’incidence » ne donne pas une estimation acceptable de l’incidence de l’infection. D’abord, le nombre de cas confirmés dépend énormément de la pratique des tests ; de plus, la sélection de la population testée n’a jamais été contrôlée et a varié au cours du temps. En effet, plusieurs études ont montré que la comptabilisation des cas confirmés sous-estimait systématiquement les nombres réels de personnes infectées. Selon l’équipe de Vittoria Colizza,7 le nombre de personnes testées positives pour le SARS-CoV-2 entre le 13 mai et le 28 juin 2020 représentait 10 % des cas pendant cette période, indiquant une sous-estimation d’un facteur 10. Selon un rapport du Conseil scientifique,8 le 1er mars 2021, 17 % de la population aurait été infectée en métropole, soit 11 millions de personnes, à comparer aux 3,8 millions de cas confirmés ; la circulation du virus jusqu’à cette date a donc été sous-estimée environ d’un facteur 3. On peut aussi comparer les rapports entre nombre cumulé de décès et nombre cumulé de cas entre différents pays. Ainsi, à la date du 5 mai 2022, ce rapport s’élève à 0,21 % au Danemark et à 0,51 % en France ; si on considère que le système de santé est aussi efficace dans les deux pays, on peut en déduire que le nombre de cas est sous-estimé en France au moins d’un facteur 2,4 (0,51 %/0,21 % = 2,4).
Prévalence
C’est le nombre de cas présents à un instant donné dans une région géographique déterminée, quelle que soit l’ancienneté de l’infection. Si on ne peut pas déterminer le nombre de cas dans l’ensemble de la population, réaliser une recherche systématique dans un échantillon représentatif de la population est une méthode très efficace et beaucoup moins chère. Les organismes de sondages savent en effet définir un échantillon représentatif, contenant la même proportion de personnes que dans l’ensemble de la population en termes de sexe, d’âge, de niveau de vie, de type de résidence urbaine ou rurale, etc. Ainsi, pour connaître la prévalence des infections Covid, des chercheurs anglais, associés à un organisme de sondages, ont envoyé à des échantillons représentatifs de la population un kit pour effectuer un autoprélèvement nasal, ce dernier étant ensuite envoyé à un laboratoire pour faire un test PCR. Des échantillons successifs de 150 000 personnes ont ainsi été testés de mai 2020 à mars 2022. (La figure représentant les résultats des 19 sondages est disponible sur https://bit.ly/3m2LOXD).4 La prévalence moyenne de l’infection dans le sondage de mars 2022 était d’environ 6 % en moyenne.
Quelle est la relation entre incidence et prévalence ? En première approximation, la prévalence est égale à l’incidence multipliée par la durée moyenne de la maladie.
Ainsi, si l’infection par le SARS-CoV-2 dure environ dix jours, la prévalence est 10 fois l’incidence.
Séroprévalence des anticorps anti-SARS-CoV-2
La surveillance sérologique consiste à rechercher les anticorps anti-SARS-CoV-2 dans des prélèvements sanguins. La séroprévalence quotidienne est le nombre de résultats positifs dans les prélèvements du jour. Les résultats sont positifs chez les personnes qui ont été soit contaminées soit vaccinées et chez qui les anticorps sont encore détectables.
En France, on a recherché les anticorps anti-SARS-CoV-2 dans tous les fonds de tube des prélèvements sanguins réalisés par les laboratoires Cerba ou Eurofins Biomnis pendant une semaine.5,6 Ceci a été fait à sept reprises de la semaine du 9 au 15 mars 2020 à la semaine du 18 au 24 octobre 2021. Les résultats des quatre premiers sondages montrent que la séroprévalence du virus a augmenté de 0,4 % en mars 2020 à 4,9 % en octobre 2020, indépendamment de l’âge, suggérant, contrairement à ce qu’on pensait initialement, que le SARS-CoV-2 a infecté toutes les tranches d’âge (y compris les enfants) dès le début de la pandémie. Dans les deux derniers sondages, en juin et octobre 2021, la fréquence des anticorps augmente avec l’âge, en lien avec la vaccination, qui a débuté dans la population la plus âgée (figure disponible sur https://bit.ly/3m2LOXD).
Risque cumulé
Le nombre cumulé de décès attribués au Covid-19 depuis le début de l’épidémie est un indicateur important. Pour comparer la mortalité cumulée dans différents pays, il est nécessaire de rapporter les nombres de décès à l’effectif de la population. Ainsi, la mortalité par Covid-19, cumulée depuis le début de la pandémie jusqu’au 22 avril 2022 est, par million d’habitants, de 3 042 aux États-Unis, 2 525 au Royaume-Uni et 2 210 en France métropolitaine.1
Qu’en retenir ?
L’ensemble des données montre que le nombre de cas confirmés et son dérivé, le « pseudo »-taux d’incidence (nombre de cas confirmés divisé par le nombre d’habitants), ne donnent pas une vision fiable de l’ensemble de l’épidémie.
Le nombre de lits d’hospitalisation conventionnelle et de réanimation occupés par des patients atteints de Covid, sur lesquels les autorités se sont appuyées surtout lors des premières vagues, n’est pas non plus un bon indicateur de l’épidémie. En effet, l’occupation des lits dépend non seulement des entrants mais aussi des sortants : ce sont les admissions qui permettent d’en surveiller la dynamique.
En conclusion, pour surveiller l’évolution de l’épidémie, les indicateurs les plus fiables, en tout cas dans les pays développés, sont les nombres de décès, les nombres d’admissions en réanimation et en hospitalisation conventionnelle, et la prévalence. En Angleterre, les évolutions de la prévalence et de la mortalité et les évolutions de la prévalence et des admissions à l’hôpital (
Pour faire le bilan de l’épidémie, et comparer ce bilan entre pays, l’indicateur le moins mauvais est le nombre cumulé de décès attribués au Covid divisé par le nombre d’habitants. Ainsi, d’après Worldometer,1 le 10 mai 2022, les nombres cumulés de décès par Covid-19 par million d’habitants était de 5 400 en Bulgarie, 2 700 en Italie, 2 600 au Royaume-Uni, 2 200 en France, 290 en Australie et 165 en Nouvelle-Zélande.
* La variation de la population passée de 67,5 millions au 1er janvier 2020 à 67,8 millions au 1er janvier 2022 peut être négligée.
1. https://www.worldometers.info/coronavirus/
2. https://ourworldindata.org/coronavirus
3. Bar-On YM, Goldberg Y, Mandel M, et al. Protection by a Fourth Dose of BNT162b2 against Omicron in Israel. N Engl J Med 5 avril 2022.
4. https://spiral.imperial.ac.uk/bitstream/10044/1/95323/2/REACT_R18_and_SI.pdf
5. Le Vu S, Jones G, Anna F, Rose T, Richard JB, Bernard-Stoecklin S, Goyard S, Demeret C, Helynck O, Escriou N, Gransagne M, Petres S, Robin C, Monnet V, Perrin de Facci L, Ungeheuer MN, Léon L, Guillois Y, Filleul L, Charneau P, Lévy-Bruhl D, van der Werf S, Noel H. Prevalence of SARS-CoV-2 antibodies in France: results from nationwide serological surveillance. Nat Commun. 2021 May 21;12(1):3025. doi: 10.1038/s41467-021-23233-6.PMID: 34021152
6. https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-etudes-pour-suivre-la-part-de-la-population-infectee-par-le-sars-cov-2-en-france#block-357070
7. Pullano G, Di Domenico L, Sabbatini CE, Valdano E, Turbelin C, Debin M, Guerrisi C, Kengne-Kuetche C, Souty C, Hanslik T, Blanchon T, Boëlle PY, Figoni J, Vaux S, Campèse C, Bernard-Stoecklin S, Colizza V. Underdetection of cases of COVID-19 in France threatens epidemic control. Nature. 2021 Feb;590(7844):134-139. doi: 10.1038/s41586-020-03095-6. Epub 2020 Dec 21
8. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_11_mars_2021.pdf