À ce jour, aucun argument ne justifie d’imposer à un patient une antibiothérapie prolongée pour traiter des symptômes chroniques attribués à une piqûre de tique.
En médecine, nous aimons bien comprendre pour nous adapter et agir en conséquence. C’est l’essence même de la démarche scientifique : être confronté à une problématique, faire des analyses, proposer des hypothèses et vérifier expérimentalement si ces hypothèses s’avèrent justes. C’est cette démarche, rationnelle et logique, qui a permis de faire progresser la médecine à son niveau actuel.
En l’occurrence, la problématique est celle de la maladie de Lyme, en tout cas de sa forme présumée chronique. Le terme chronique implique un premier débat, car il renvoie à la notion de durée, mais aussi à celle de la persistance, voire de l’incurabilité. Concernant la durée, il ne fait pas de doute que Borrelia, la bactérie causale, peut rester plusieurs années dans l’organisme en l’absence de traitement, comme cela a été bien démontré pour l’acrodermatite chronique atrophiante.1
Quant à l’évolution après traitement, le sujet fait débat. Il n’existe aucune donnée scientifique démontrant un lien de causalité entre la persistance de Borrelia et la présence de symptômes chroniques. Par ailleurs, dans notre pratique, les patients se plaignant de symptômes chroniques attribués à une infection transmise par les tiques n’ont pas toujours de signes biologiques témoignant de la présence de Borrelia. Pour pallier cette absence de preuve, et pour continuer à pouvoir incriminer la responsabilité de la tique, les partisans de ces formes chroniques avancent la possibilité que les symptômes pourraient être en rapport avec d’autres agents infectieux transmis par les tiques. Or il n’y a pas, à ce jour, d’argument sérieux pour incriminer des agents infectieux transmissibles lors d’une piqûre de tique et pouvant être à l’origine de manifestations chroniques.
Persistance de Borrelia, présence d’autres agents infectieux : tous ces arguments justifieraient pour certains une escalade antibiotique dont l’objectif serait de pouvoir « éradiquer » ces agents infectieux qui seraient à l’origine des troubles ressentis par les patients. On prolonge la durée des traitements, on multiplie les anti-infectieux de toutes sortes : antifongiques, antiparasitaires, anti-anaérobies... Les traitements qui sont proposés ne sont pas bien codifiés : seuls points communs, une durée de plusieurs mois, voire parfois de plusieurs années, et une association de plusieurs molécules concomitantes prises en continu, en alternance (par rotation des principes actifs) ou par cures successives dont le nombre est variable d’un prescripteur à l’autre (dépendant probablement de la tolérance du patient…). Mais que sait-on de la capacité des infections transmises par les tiques à provoquer des manifestations chroniques ? On connaît de mieux en mieux la babésiose, l’anaplasmose, les fièvres récurrentes… mais les symptômes que déterminent ces infections n’ont rien de chronique.
Pas d’arguments tirés des études
Mais soyons rationnels : regardons de quelles informations nous disposons dans la littérature médicale scientifique. Il faut reconnaître que l’analyse n’est pas simple. Les études s’intéressant aux traitements de longue durée pour des symptômes chroniques après piqûres de tique sont confrontées à un problème majeur. Comment définir par avance les bons candidats au traitement prolongé, alors que l’on ne dispose d’aucune preuve tangible de la présence d’un agent infectieux ? Pire : comme certains considèrent que les tests ne sont pas suffisamment fiables (risque de faux négatifs), alors quels critères de non-inclusion faut-il appliquer ? Les études ne peuvent donc s’appuyer que sur des critères cliniques, qui sont souvent difficiles à définir avec précision. Et plus on multiplie ces symptômes, plus on démultiplie le risque d’inclure des patients n’ayant que peu de raison d’être traités par antibiotiques. Le questionnaire proposé par Horowitz en est la parfaite illustration : la validation « empirique » de ce questionnaire diagnostique permet aux auteurs de conclure qu’il permet de faire la différence entre une population saine par rapport à une population ayant une maladie transmise par les tiques, mais sans aucun critère définissant cette dernière population !2
Pour autant, des études se sont intéressées à la problématique. On peut reprocher à certaines de manquer de rigueur méthodologique, mais elles ont l’avantage de pouvoir donner des pistes intéressantes. Des enquêtes observationnelles ont ainsi suggéré que des traitements de 3 mois chez des patients ayant des manifestations prolongées attribuées à une borréliose de Lyme (avec des critères de définition peu stricts) étaient associés à une évolution plus favorable que les traitements plus courts.3 Quand on analyse le devenir à long terme, il en ressort qu’au-delà de 3 mois il n’y a plus de bénéfice clinique, tout particulièrement pour les symptômes neurologiques qui sont parmi les plus gênants.4 Mais en l’absence de contrôle, il est difficile d’en tirer des conclusions. On sait très bien combien de nombreux facteurs personnels ou environnementaux peuvent intervenir dans le vécu d’une maladie chronique.
Concernant les études prospectives contrôlées, elles n’ont pas montré de bénéfice significatif5, 6 sinon sur des symptômes comme la fatigue, pour laquelle on sait qu’il est difficile d’avoir une évaluation précise et objective. L’étude de Berende et al. est celle dont la méthodologie est la plus rigoureuse, en analysant plusieurs groupes de patients traités soit par placebo, soit par une antibiothérapie prolongée. Après 3 mois, il apparaît qu’aucune différence significative, quel que soit le type de symptômes, ne peut être mise en évidence entre les différents groupes de patients.7
Raisonnement paralogique
Alors que reste-t-il pour justifier les antibiothérapies prolongées ? Il reste l’empirisme. Tester et voir. Nous sommes loin de la démarche scientifique, mais finalement peut-être que les limites de notre raisonnement rationnel risquent de méconnaître des possibilités thérapeutiques. Et pourquoi ne pas essayer ? Certains l’ont fait, mais sans volonté de rationaliser les choses, sans chercher à analyser les phénomènes observés. Le raisonnement est alors le suivant : si le traitement antibiotique soulage mon patient, c’est que mon patient avait une infection bactérienne, et comme les signes sont chroniques, on en conclut qu’il s’agit de la maladie de Lyme, connue pour induire des manifestations prolongées : raisonnement paralogique… sans intérêt scientifique ! Une bonne étude clinique, méthodologiquement bien maîtrisée, pour laisser le minimum de place à l’arbitraire, aura toujours notre préférence. Nous savons combien la réponse individuelle à un traitement est soumise à beaucoup de facteurs non maîtrisés qui sont autant d’éléments perturbateurs pour notre jugement. Alors il faut garder du recul par rapport aux témoignages de patients ayant souvent de réelles souffrances et dont on expose l’histoire pour mettre en exergue les défaillances de la médecine qui ne les a pas entendus et qui ne leur a pas apporté de solution.
Ce qui manque dans tous ces témoignages, c’est la précision avec laquelle le diagnostic a été réalisé. En l’absence de diagnostic précis, tout le raisonnement médical thérapeutique est défaillant. Nous sommes dans le domaine des aléas impliquant des traitements non éprouvés chez des patients convaincus de leur efficacité : ces témoignages, aussi poignants soient-ils, ne peuvent pas constituer des arguments scientifiques. Or nous ne disposons à ce jour d’aucune évaluation rationnelle d’un ensemble de patients se plaignant de symptômes à la fois invalidants et chroniques et attribués à une manifestation post-piqûre de tique. Un partage des informations serait pourtant le bienvenu, avec une évaluation un tant soit peu rigoureuse : parmi tous les patients traités au long cours, lesquels et combien répondent ? S’agit-il d’une réponse partielle ou complète ? Quels symptômes semblent s’améliorer ? Peut-on identifier des facteurs associés à une meilleure évolution, ou à une réponse, ne serait-ce que partielle ? Autant de questions pour lesquelles nous ne disposons que de peu d’informations et pas suffisamment pour pouvoir être convaincus.
Tentatives d’argumentaires
Alors, à défaut d’avoir des réponses cliniques, on voit certes apparaître des tentatives d’argumentaires sur des données fondamentales. La question de la résistance de Borrelia est souvent évoquée pour expliquer les échecs des traitements courts. Il est cependant curieux de s’appuyer sur ce type d’argument car, par analogie aux autres situations de résistance bactérienne, c’est moins l’utilisation prolongée que le choix du bon antibiotique qui est la clé du succès. Il faut reconnaître que le fait que Borrelia ait une croissance lente limite nos connaissances sur sa sensibilité. Des modèles de sensibilité de Borrelia inclus dans du biofilm montrent qu’un antibiotique comme la daptomycine pourrait avoir une activité supérieure aux bêtalactamines ou aux cyclines. Mais nous sommes très loin des conditions cliniques, et la démonstration est bien insuffisante pour envisager une telle prescription au cours de la borréliose.8 Pourtant, certains adeptes des traitements prolongés le font !
Nous tombons par cet exemple dans des pratiques qui peuvent s’avérer extrémistes et dangereuses, car nous ne disposons que de peu de données sur l’efficacité mais aussi sur l’innocuité de tels traitements. Nous avons, par le passé, connu bien des mauvaises expériences sur des effets indésirables liés à des traitements prolongés dans des indications insuffisamment évaluées.9 La médecine doit tirer les leçons de ces erreurs…
Une autre théorie est celle du déficit immunitaire qui viendrait justifier des traitements prolongés10… mais, une fois de plus, aucune donnée scientifique ne vient confirmer la présence d’anomalies immunitaires chez ces patients.
LES PATIENTS, PREMIÈRES VICTIMES
L’ensemble de cette polémique, qui n’a vraiment rien de scientifique, prend une tournure teintée de croyances où chacun y va de sa conviction et la met au service des patients qui ne comprennent plus ce déchaînement de discussions et de polémiques. Car il ne faut pas oublier que ce sont bien les patients qui sont les réelles victimes de cette dérive à la médiatisation outrancière. Là où les patients fragiles s’inquiètent de leur état de santé, ils vont trouver des médecins qui arrivent à les convaincre que leur vie est en danger, mais surtout qui parviennent à les convaincre que la solution réside dans ces traitements anti-infectieux prolongés. Il s’agit d’une double peine pour ces patients, qui non seulement sont en souffrance mais à qui on assène un diagnostic affublé du qualificatif « chronique » qui ne laisse pas présager d’évolution favorable. On les rend dépendants du traitement en leur faisant croire que leur bonne santé, voire leur vie, en dépend. Qui résisterait à ce discours ?
Alors, devant tant de passion, on ne peut que regretter que les uns et les autres n’arrivent pas à prendre le recul nécessaire pour analyser posément et avec calme la situation. Les patients ne savent plus à qui s’adresser : la confiance entre le médecin et son patient est remise en cause. À travers cette polémique, c’est toute la médecine qui est ébranlée. Mais pour croire en l’existence de symptômes chroniques post-piqûre de tique, la médecine n’est-elle pas en droit d’exiger bien plus d’arguments que les convictions des uns et des autres ? Je pense que nous sommes encore loin de devoir réinventer toute la démarche qui a fait de la médecine ce qu’elle est aujourd’hui : émettre des hypothèses, bien sûr, mais il faut pouvoir les vérifier, les expliquer et les confirmer. Or, à ce jour, rien ne justifie l’escalade antibiotique pour ces symptômes chroniques attribués à une piqûre de tique. Seules des cures d’antibiotiques de 4 semaines maximum dans les borrélioses de Lyme définies sur des critères cliniques stricts et confirmés par les examens biologiques ont fait la preuve de leur efficacité clinique. La prise en charge ne doit faire aucune concession à la vérité, ce qui n’empêche pas de continuer à accompagner ces patients sans les rejeter : c’est probablement cela qu’ils attendent réellement de la médecine.
1. Lenormand C, Jaulhac B, Debarbieux S, et al. Expanding the clinicopathological spectrum of late cutaneous Lyme borreliosis (acrodermatitis chronica atrophicans [ACA]): A prospective study of 20 culture- and/or polymerase chain reaction (PCR)-documented cases. J Am Acad Dermatol 2016;74:685-91.
2. Citera M, Freeman PR, Horowitz RI. Empirical validation of the Horowitz Multiple Systemic Infectious Disease Syndrome Questionnaire for suspected Lyme disease. Int J General Med 2017;10:249-73.
3. Donta ST. Tetracycline therapy for chronic Lyme disease. Clin Inf Dis 1997:25:S52-S56.
4. Clarissou J, Song A, Bernede C, et al. Efficacité d’une antibiothérapie au long cours pour un « syndrome polyorganique post-morsure de tiques » (SPOT) chronique. Med Mal Infect 2009;39:108-15.
5. Krupp LB, Hyman LG, Grimson R, et al. Study and treatment of post Lyme disease (STOP-LD). A randomized double masked clinical trial. Neurology 2003:60:1923-30.
6. Fallon BA, Keilp JG, Corbera KM, et al. A randomized, placebo-controlled trial of repeated IV antibiotic therapy for Lyme encephalopathy. Neurology 2008;70:992-1003.
7. Berende A, ter Hofstede HJM, Vos FJ, et al. Randomized trial of longer-term therapy for symptoms attributed to Lyme disease. N Engl J Med 2016;379:1209-20.
8. Feng J, Weitner M, Shi W, Zhangand S, Zhang Y. Eradication of biofilm like microcolony structures of Borrelia burgdorferi by daunomycin and daptomycin but not mitomycin c in combination with doxycycline and cefuroxime. Front Microbiol 2016;7:62.
9. Derumeaux G, Ernande L, Serusclat A, et al.; REGULATE trial investigators. Echocardiographic evidence for valvular toxicity of benfluorex: a double-blind randomised trial in patients with type 2 diabetes mellitus. PLoS One 2012;7:e38273.
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