– les études de cohorte (études prospectives) mesurent, en règle générale, pendant plusieurs années, dans une population donnée, l’exposition à des facteurs nutritionnels (aliments, nutriments, comportements alimentaires et activité physique) avant l’apparition d’un événement santé. Elles visent à montrer l’existence d’une séquence chronologique entre l’exposition nutritionnelle et la survenue de la maladie. Cependant, l’ensemble des facteurs pouvant intervenir dans la relation nutrition et maladies ne pouvant être contrôlés, la mise en évidence d’une association ne permet pas de conclure de façon formelle à une relation causale ;
– l’intervention nutritionnelle permet, quant à elle, d’assigner une consommation contrôlée d’un facteur nutritionnel pressenti comme protecteur à la population étudiée pour en mesurer l’impact sur le risque de maladie ou la qualité de la santé (pour des raisons éthiques, cela n’est pas réalisable pour des facteurs présumés à risque). L’intervention peut être réalisée chez des sujets issus de la population générale (essai de prévention primaire) ou sur des malades (essai de prévention secondaire). La distribution des individus dans les différents groupes (groupe d’intervention ou groupe témoin) doit être aléatoire (randomisée) afin de réduire l’importance de facteurs de confusion (par exemple âge, sexe, statut tabagique…), on parle alors d’essais contrôlés ran- domisés. Ces essais doivent être réalisés autant que possible en « double aveugle », c’est-à-dire que ni le volontaire ni l’expérimentateur ne connaissent cette distribution. Cette approche méthodologique est essentielle dans l’obtention de la preuve d’une relation causale entre le facteur nutritionnel étudié et le risque de pathologies. Cependant, à moins d’utiliser des suppléments alimentaires, il est difficile d’intervenir sur l’alimentation sans que les participants en aient conscience.
En France, diverses études épidémiologiques dans le champ de la nutrition ont été réalisées, ou sont en cours, et contribuent à l’identifi- cation des facteurs de risque ou de protection liés à la nutrition intervenant dans le déterminisme des maladies chroniques. C’est le cas notamment des études SU.VI.MAX (étude d’intervention) et de l’étude NutriNet-Santé (étude de cohorte d’observation).
Étude SU.VI.MAX
Les résultats de l’analyse2 ont montré qu’il n’a pas été trouvé de différence entre les deux groupes en ce qui concerne les cardiopathies ischémiques. Pour les cancers, chez les hommes, le risque de développer un cancer (tous sites confondus) était réduit de 31 % dans le groupe recevant les antioxydants à doses nutritionnelles (risque relatif [RR] = 0,69, intervalle de confiance [IC] à 95 % : 0,53-0,91 ; p < 0,008). Cet effet n’a pas été trouvé chez les femmes. En revanche, concernant les localisations spécifiques, l’incidence des cancers cutanés3 était plus élevée dans le groupe des femmes supplémentées par rapport aux femmes du groupe placebo (RR : 1,68 ; p : 0,03) ; à l’inverse, elle était plus faible dans le groupe des hommes supplémentés par rapport aux hommes du groupe placebo (RR : 0,67 ; p : 0,11). Il a été trouvé globalement une réduction modérée (non significative) de l’incidence du cancer de la prostate dans le groupe supplémenté (RR : 0,88 : IC à 95 % : 0,60-1,29). Cependant, l’effet est différent selon le niveau initial du taux de l’antigène spécifique de la prostate (PSA).4 Chez les hommes dont le taux de PSA initial était normal (< 3 ng/mL), on a observé une forte réduction significative du risque de cancer de la prostate dans le groupe ayant reçu la supplémentation (RR : 0,52 ; IC à 95 % : 0,29-0,92). En revanche, chez les hommes dont le taux de PSA était supérieur ou égal à 3 ng/mL, le risque relatif était plus élevé (mais non significatif). Il n’a pas été trouvé de différences de niveaux plasmatiques de PSA et d’insulin-like growth factor (IGF) entre le groupe supplémenté et le groupe placebo.
Concernant les critères intermédiaires, la supplémentation n’a pas permis d’améliorer le profil lipidique et pourrait même avoir des effets délétères sur ce profil, avec un risque accru d’hypercholestérolémie chez les femmes et une augmentation globale des triglycérides.5 L’examen échographique des carotides et la mesure de la vitesse d’onde pulsée (carotide-fémorale), réalisés sur un sous-échantillon de sujets de plus de 50 ans, a montré un pourcentage plus élevé de sujets ayant des plaques carotidiennes dans le groupe supplémenté, mais les sujets de ce groupe avaient une vitesse d’onde pulsée plus faible (indiquant une moindre rigidité artérielle).6 Aucun effet de la supplémentation par les antioxydants n’a été noté sur le risque d’hypertension artérielle, de diabète et de syndrome métabolique. Cependant, il a été trouvé, de façon constante, une relation inverse entre les niveaux plasmatiques initiaux en bêtacarotène et le risque de ces pathologies.
En conclusion, l’étude SU.VI.MAX n’a pas montré d’effet de la supplémentation pour les maladies cardiovasculaires dans les deux sexes. En revanche, l’apport adéquat de vitamines et minéraux antioxydants pendant 7,5 ans a réduit l’incidence des cancers tous sites confondus, mais cette réduction n’a concerné que les hommes, chez qui l’on constate également des apports alimentaires spontanés moyens plus faibles en antioxydants. Chez les femmes, l’effet de l’intervention ne s’est pas traduit par un effet décelable, voire s’est accompagné d’un effet défavorable pour le cancer de la peau. Mais il faut noter que les femmes, d’une façon générale, avaient un statut initial en antioxydants (mesuré par les taux sanguins de vitamines et minéraux antioxydants au départ de l’étude) meilleur que celui des hommes.
Les différents effets observés dans notre étude suggèrent que les effets des antioxydants peuvent être modulés par les doses utilisées (nutritionnelles versus pharmacologiques), le statut basique en antioxydants des sujets (différent selon le sexe ou le statut nutritionnel) et leur état de santé (sujets sains versus à risque). De fortes doses d’antioxydants peuvent être délétères chez les sujets à haut risque ou ayant un cancer infraclinique.
Les résultats de l’étude SU.VI.MAX et les travaux épidémiologiques disponibles ont permis d’orienter les recommandations de santé publique vers des conseils nutritionnels promouvant la consommation des aliments riches en vitamines antioxydantes (au moins 5 fruits et légumes par jour) avec une grande réserve vis-à-vis de la supplémentation au long cours, avec de fortes doses et notamment chez des sujets exposés à des facteurs de risque de cancer.
À la fin de la période de supplémentation (1994-2003), il a été proposé aux participants de continuer à participer à l’étude SU.VI.MAX 2 en répondant à des questionnaires et en participant à des bilans clinico-biologiques (mais sans supplémentation). Cette cohorte permet aujourd’hui de mieux comprendre les relations entre la nutrition et la qualité du vieillissement.
Étude NutriNet-Santé
– étudier les relations entre les apports en nutriments, aliments et comportements alimentaires et l’incidence des pathologies ayant un coût humain, social et économique important : cancers, maladies car- diovasculaires, obésité, diabète de type 2, hypertension artérielle, dyslipidémies, syndrome métabolique, polyarthrite rhumatoïde, migraine, dépression, allergies… ainsi que la qualité de vie et le vieillissement, la mortalité globale et spécifique ;
– étudier les déterminants (sociodémographiques, économiques, psychologiques, sensoriels, goûts, aversions, préférences…) des comportements alimentaires, de l’état nutritionnel et de l’état de santé ;
– surveiller dans le temps l’évolution des apports alimentaires et de l’état nutritionnel de la population ;
– évaluer l’impact de campagnes ou d’actions de santé publique (connaissance, perception, efficacité...).
Les participants à l’étude (les nutrinautes) ont été recrutés par diverses campagnes de presse. Le recrutement est toujours en cours. L’ensemble des nutrinautes est suivi grâce au site développé à cet usage (www.etude- nutrinet-sante.fr). Tous les questionnaires et collectes de données sont conçus pour être remplis directement en ligne sur le site, à l’aide d’une interface HTML sécurisée. Toutes les conditions de sécurité informatique et physique des données sont assurées.
À l’inclusion, tous les sujets remplissent un dossier de base8 comprenant différents questionnaires : sur l’alimentation (3 enregistrements alimentaires de 24 heures sur 21 jours), l’activité physique, les données anthropométriques, sociodémographiques, le mode de vie et l’état de santé (dont l’existence d’antécédents personnels ou familiaux de cancer).
Dans le cadre de leur surveillance, les participants reçoivent chaque mois un e-mail automatisé les informant sur l’avancement de l’étude et sur les nouveaux questionnaires à remplir pour compléter leur dossier (jamais plus d’un questionnaire par mois d’une durée maximale de 20 minutes). Des données sont également collectées sur la santé des participants au travers de questionnaires spécifiques ou les déclarations spontanées par les volontaires de tout problème de santé dans leur espace personnel sur Internet.
Par l’accès à une large population au niveau national, par la quantité et la qualité des données collectées et par la capacité d’intégrer « à la carte » de nouveaux questionnaires (sur toute la population ou sur des sous-échantillons), l’étude NutriNet-Santé permet de constituer une gigantesque base de données sur la nutrition et la santé de la population vivant en France et sera une des plus grandes bases de données épi- démiologiques dans le champ de la santé dans le monde.
À ce jour, diverses analyses de la cohorte NutriNet-Santé ont abouti à plus d’une cinquantaine de publications scientifiques internationales et plus d’une soixantaine de communications orales ou affichées dans des congrès (les résumés en français des publications sont accessibles sur le site info.etude-nutrinet-sante.fr).
La méthodologie de l’étude NutriNet-Santé, sa taille d’échantillon et le contrôle de facteurs de confusion majeurs (obésité, activité physique…) permettront d’aboutir à des résultats qui renforceront (ou non) la plausi- bilité du lien entre consommation d’aliments ou de nutriments et santé, lorsqu’existent des hypothèses mécanistiques. Cette étude permet- tra également d’identifier le rôle de certains nutriments, aliments ou comportements alimentaires (et comportements liés aux modes de vie) non encore connus ou reconnus dans la littérature scientifique, comme pouvant moduler le risque de maladies, la qualité de la santé ou étant associés à la mortalité. En outre, par la meilleure compré- hension des déterminants des comportements alimentaires et de l’état nutritionnel, l’étude NutriNet-Santé permettra d’identifier les freins et les leviers sur lesquels il est possible d’agir en termes de santé publique.
Quelques exemples de résultats issus de NutriNet-Santé
• Contribution à la validation du système d’information nutritionnel complémentaire, le 5C/Nutri-Score, destiné à être apposé sur la face avant des emballages des aliments (dont le principe a été intégré dans le cadre de la loi de santé publique promulguée en janvier 2016 et l’arrêté interministériel l’officialisant signé le 31 octobre) : analyses permettant la validation de l’algorithme sous-tendant le calcul du Nutri-Score et démontrant l’efficacité et la supériorité de son format graphique.• Une alimentation pro-inflammatoire (évaluée par un score mesurant le potentiel pro/anti-inflammatoire de l’alimentation) augmente le risque de cancer et la mortalité.• Validation d’un système de détection des individus à risque d’insuffisance en vitamine D par un score fondé sur des caractéristiques individuelles pour une utilisation simple et rapide en pratique clinique. Cette stratégie devrait permettre de limiter les prescriptions de dosages (coûts importants) ou la supplémentation systématique en vitamine D (dont les conséquences à long terme sont mal connues).• Caractérisation des consommateurs d’aliments « bio » dans la sous-cohorte « BioNutriNet ». Une forte consommation de produits « bio » est associée à une meilleure qualité du régime. Il existe, en fait, une diversité de profils des consommateurs de « bio » et de conventionnel, et non pas deux groupes monolithiques. • Effet important de l’attirance sensorielle, notamment pour le gras, sur les consommations alimentaires et le statut pondéral. Ce travail souligne la nécessité de considérer au premier plan la perception hédonique individuelle dans l’étude des comportements alimentaires. • Les personnes pratiquant une technique de relaxation de façon régulière (yoga, méditation) au moins une fois par semaine, depuis au moins un an, ont moins de chance d’être en surpoids ou obèses que les personnes n’ayant jamais pratiqué.• La planification des repas est associée à la diversité des aliments, à la qualité du régime alimentaire et au statut pondéral.
1. Hercberg S, Preziosi P, Briançon S, et al. A primary prevention trial using nutritional doses of antioxidant vitamins and minerals in cardiovascular diseases and cancers in a general population: the SU.VI.MAX study-design, methods, and participant characteristics. SUpplementation en VItamines et Mineraux AntioXydants. Control Clin Trials 1998;19:336-51.
2. Hercberg S, Galan P, Preziosi P, et al. The SU.VI.MAX Study: a randomized, placebo-controlled trial of the health effects of antioxidant vitamins and minerals. Arch Intern Med 2004;164:2335-42.
3. Hercberg S, Ezzedine K, Guinot C, et al. Antioxidant supplementation increases the risk of skin cancers in women but not in men. J Nutr 2007;137:2098-105.
4. Meyer F, Galan P, Douville P, et al. Antioxidant vitamin and mineral supplementation and prostate cancer prevention in the SU.VI.MAX trial. Int J Cancer 2005;116:182-6.
5. Hercberg S, Bertrais S, Czernichow S, et al. Alterations of the lipid profile after 7.5 years of low-dose antioxidant supplementation in the SU.VI.MAX Study. Lipids 2005;40:335-2.
6. Zureik M, Galan P, Bertrais S, et al. Effects of long-term daily low-dose supplementation with antioxidant vitamins and minerals on structure and function of large arteries. Arterioscler Thromb Vasc Biol 2004;24:1485-91.
7. Kesse-Guyot E, Amieva H, Castetbon K, et al.; SU.VI.MAX 2 research group. Adherence to nutritional recommendations and subsequent cognitive performance: findings from the prospective Supplementation with Antioxidant Vitamins and Minerals 2 (SU.VI.MAX 2) study. Am J Clin Nutr 2011; 93:200-10.
8. Hercberg S, Castetbon K, Czernichow S, et al. The Nutrinet-Santé study: a web-based prospective study on the relationship between nutrition and health and determinants of dietary patterns and nutritional status. BMC Public Health 2010;10:242.